Une leçon d’opéra très britannique

par

George Benjamin (né en 1960) : Lessons In Love and Violence. Livret de Martin Crimp (né en 1956).  Katie Mitchell, mise en scène ; Stéphane Degout, King, Barbara Hannigan, Isabel, Gyula Orendt, Gaveston/Stranger, Peter Hoare, Mortimer ; Samuel Boden, Boy, later young King ; Ocean Barrington, Girl, Jennifer France, Krisztina Szano, Andri Björn Robertson , Witnesses.  Orchestre of the Royal Opera House, Georges Benjamin, dir.Première mondiale, Royal Opera House, Covent Garden, 10 mai 2018. DVD-2018- 88 minutes- extras 8 minutes -Livret en anglais, français, allemand- chanté en anglais- sous-titres en anglais, allemand, japonais et coréen - LPCM 2.0- DTS Digital Surrond- 16:9 anamorphic- Opus Arte OA 1221 D.

Déchéance et chute d’un roi anglais (Edouard II, bien qu’il ne soit pas nommé) entouré d’une épouse cynique, d’un favori, d’un baron félon et d’un fils impitoyable… En sept scènes et deux parties, vues à travers le regard des enfants tétanisés, les pulsions que le titre appelle, « amour et violence », se traduisent en éclats de fulgurance glacée. Musique, dialogues et images claquent comme des coups de cravache. D’une beauté allusive, sans cesse imprévisible mais structurée d’une main de fer, la musique, la mise en scène, les costumes, le cadrage et l’interprétation forment une symbiose typiquement britannique. Immersion dans cet univers insulaire où la violence revendiquée dans le titre participe de la séduction de l’opéra sans, pour autant, que l’on puisse parler... d’amour. Après le succès de Written on skin (avec la même équipe) le livret de Martin Crimp offre à nouveau au compositeur un tremplin idéal. Rapide, elliptique, le texte déborde d’allusions shakespeariennes, bibliques (David et Jonathan), littéraires (la petite fille lit le Faust de Goethe). Le trivial côtoie la noirceur de la littérature criminelle anglaise, le non-sens, l’ « undestatement » et les hallucinations d’Hamlet comme l’ambivalence glorieuse d’un Oscar Wilde. De même, Purcell, Dowland et Britten hantent chaque détour de la partition. L’étirement des phrasés, le recours aux aigus en voix de tête ou l’insinuant Chœur de femmes de la scène VI trouvent leur sommet dans le duo onirique entre le roi et son double -le beau Gaveston. Discipliné à l’extrême, le travail scénique (Katie Mitchell) devient l’ingrédient même d’une poétique de la perversité dont seuls les Anglais ont le secret : douceur de miel révélant l’exquise âpreté du gingembre. Vocalement, Gyulia Orendt (Gaveston) marie ces deux ingrédients à ravir et on regrette que son rôle ne soit pas plus important. Le roi de Stéphane Degout, tendu comme un arc, diffuse une autorité et un égarement dignes des meilleurs acteurs du Globe. Face à lui, Isabel (Barbara Hannigan), en arrogante reine de magazine « people » passablement alcoolique, n’intervient vocalement que par salves en une gestuelle saccadée qui ne laisse aucune place à l’émotion et, encore moins, à la compassion. Peter Hoare, fourbe Mortimer dont le nom est repris inlassablement comme une menace ou un mantra, apparaît cauteleux, sournois, trop petit dans son costume de fonctionnaire à lunettes pour incarner la main du destin. Samuel Boden (le fils) énigmatique et Ocean Barrington-Cook (la fille) aux doux traits flamands subissent, eux, la fatalité en silence. L’orchestre de l’Opéra Royal sous la direction du compositeur tisse une étoffe âpre et changeante qui semble imprégner et traverser les personnages.

Saisissantes prises de vues aériennes renforçant l’impression d’être prisonniers, intensité des plans rapprochés dans l’échange amoureux entre le roi et son amant Gaveston, camaïeu des couleurs : le travail cinématographique de Margaret Williams en phase avec une équipe scénique motivée et unie, s’avère tout à fait remarquable avec une mention spéciale pour les cadreurs(euses).

Bénédicte Palaux Simonnet

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