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Picture a Day Like This de George Benjamin à l'Opéra Comique

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L’œuvre, qui s’étend sur un peu plus d’une heure, est traversée par une atmosphère perpétuellement mystérieuse et inquiétante. Au commencement, un silence. Ce silence dense et troublant précède le début de l’histoire, instaurant une attente qui saisit l’auditoire. La scène, faiblement éclairée, dévoile un enclos aux parois de miroirs, renvoyant à chaque personnage le reflet de sa propre image.

La protagoniste, une mère en deuil, exprime d'abord la perte de son enfant avec un détachement apparent, presque distant, avant que la douleur ne l’envahisse. Elle lit alors dans un livre : « Trouve une personne heureuse en ce monde et prends un bouton de la manche de son vêtement. Fais-le avant la nuit et ton enfant vivra ». Commence alors son voyage initiatique, ponctué de rencontres singulières : Les Amants en extase, L’Artisan fier de ses créations, La Compositrice au sommet de sa gloire parcourant le monde, Le Collectionneur qui détient tous les chefs-d’œuvre du globe, et Zabelle habitant son jardin-paradis. Tous se disent heureux, mais finissent par révéler une angoisse profonde et un malheur qu’ils ne parviennent pas à apaiser. La Femme trouvera-t-elle alors ce qu’elle est venue chercher ?

Le livret se compose de phrases courtes, parfois hachées, évoquant le déchirement intérieur des personnages. Ces fragments de texte prennent vie dans une musique construite sur des micro-intervalles ou de larges sauts d’intervalles, signature caractéristique de l’écriture de George Benjamin. D’une atmosphère calme rendue par les micro-intervalles surgissent parfois des éruptions de sentiments intenses, soulignées par ces écarts soudains. Benjamin affine également la caractérisation de chaque scène et personnage grâce à des choix instrumentaux subtils : pour la scène des Amants, par exemple, il recourt à un instrumentarium particulier comprenant des flûtes ténor et basse ainsi qu’une clarinette contrebasse.

Cycle George Benjamin à Lille : lyrisme contemporain

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Alexandre Bloch et l’Orchestre national de Lille ont imaginé un cycle de concerts sur l’un des compositeurs les plus représentatifs de notre temps : George Benjamin (né en 1960). À cette occasion, deux grandes œuvres sont entrées au répertoire de l’ONL : le Concerto pour orchestre et l’opéra Written on Skin. Entre les deux, un concert flash autour de Piano Figures par l’ensemble Miroirs Étendus.

Le concert du 18 janvier, sous la direction de George Benjamin lui-même, est construit avec des pièces qui ont marqué sa vie de compositeur, mais aussi en quelque sorte en hommage à la France. Le compositeur lui-même confie à Alexandre Bloch, le directeur musical de l’ONL, qu’il s’agit d’un programme « très personnel ». Les Offrandes oubliées pour évoquer Olivier Messiaen qui, en tant que son professeur de composition dès l’âge de 16 ans, a joué « un rôle capital » dans sa vie et « éprouve une gratitude infinie à son égard ». Il considère La Mer de Debussy comme « le sommet de l’art de Debussy », avant d’ajouter qu’il a entendu ce triptyque pour la dernière fois à Londres, juste avant le confinement, dirigé par… Alexandre Bloch ! Et, entre eux, Lontano de Ligeti, le compositeur qu’il a bien connu personnellement.

Ses gestes jamais brusques dans sa direction font transparaître sa grande sensibilité aux timbres que proposent différentes combinaisons d’instruments, ainsi que son écoute aiguisée jusqu’au moindre détail. Ainsi, dans son Concerto pour orchestre, où les cordes, les bois, les cuivres et les percussions donnent des figures sonores diversifiées, contrastées et fusionnées, tantôt en se mêlant, tantôt en se chevauchant. La musique, bien que qualifiée d’« insaisissable » par le compositeur, est un festin de timbres. Sur un tapis sonore créé par une pédale de plusieurs instruments, parfois tel un orgue à bouche, chaque instrument a un moment de solo, court ou long. On sent dans l’interprétation la concentration des musiciens au plus haut niveau, pour répondre à la subtilité de la partition et aux indications exigeantes du compositeur. Dans Ligeti, les extraordinaires bois au début lancent un élan qui traverse toute l’œuvre, alors que les effets divers de la nature dans La Mer -changement de lumières, miroitement d’eau, balancement de vagues ou sifflement du vent ; écumes, houles, déferlement- sont minutieusement détaillés par la direction de George Benjamin qui ne laisse échapper les moindres intentions de Debussy.

Au-delà des apparences, et si émouvant : « Picture A Day Like This » de George Benjamin et Martin Crimp

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Au Festival d’Aix-en-Provence, dans l’écrin bienvenu du Théâtre du Jeu de Paume, les spectateurs ont été invités à passer au-delà des apparences d’une réalité si souvent trompeuse. Un voyage plus qu’émouvant grâce à la conjugaison réussie d’un texte et d’une partition, de leur mise en scène et de leur interprétation.

L’auteur et le compositeur : Martin Crimp et George Benjamin. C’est la quatrième fois qu’ils collaborent dans l’écriture d’un opéra. Une collaboration qui nous a valu il y a quelques années le magnifique Written On Skin. Ces deux-là, qui sont amis, ont donc l’habitude de travailler ensemble. Quelle belle complicité. Ce qu’ils nous proposent, ce n’est pas la juxtaposition, mais bien la conjugaison d’un texte et d’une partition. Superbe tissage de mots et de notes. La musique éclaire les mots, les mots s’accomplissent dans la musique. 

Une musique qui jamais n’est pléonasme ni simple illustration-amplification de ce qui se dit. Non, elle est, dans ses nuances subtiles -quelle orchestration- langage significatif. L’entendre, l’écouter, c’est en savoir davantage, c’est vivre et comprendre mieux ce qui est en jeu. Quelle délicatesse, quelle retenue, quels élans, quels éclats aussi. Qui d’autre que George Benjamin pouvait la mieux exprimer en dirigeant lui-même un Mahler Chamber Orchestra à l’unisson de ses intentions.

Les jeux de l'amour et du pouvoir au Liceu “Lessons in love and violence” de Georges Benjamin

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Le Liceu maintient son cap à travers les difficultés que le monde culturel connaît, et met en scène la co-production, avec les opéras d' Amsterdam, Hambourg, Chicago, Lyon et Madrid, du nouvel opéra de Georges Benjamin créé à Londres en 2018. Le succès de ce compositeur va bien au-delà du « bien mérité » : il est un acteur incontournable de la musique actuelle et a fortiori de l'opéra. C'est le troisième élément de sa trilogie avec le librettiste Martin Crimp après Into the Little Hill et Written on Skin. Ici, le livret est extrait d'une pièce de Christopher Marlowe, le « rival » de Shakespeare. Katie Mitchell en signe une mise en scène qui déplace l'histoire du Roi Edward II de Caernarfon du XIVe siècle à l'actualité, dans un décor qui pourrait évoquer celui de n'importe quel gouvernant aimant à l'obsession le luxe et les œuvres d'art. Et qui oublie de ce fait ses obligations envers ses gouvernés, n'écoutant que sa propre passion amoureuse pour son favori et conseiller Piers Gaveston. Ce qui le mènera à une issue dramatique pour son pouvoir et celui de sa famille. Sur scène, on pourrait presque parler d'un opéra de chambre, avec un plateau assez réduit. Par contre, l'orchestre est tellement élargi qu’il doit occuper, pour des raisons sanitaires, une partie du parterre, devenant ainsi presque le protagoniste central. Si l'écriture vocale de Benjamin est très éloquente et traduit admirablement la palette des états d'âme des personnages, il faut bien avouer que son travail d'orchestration est somptueux : à chaque tableau il nous donne des nouveaux frissons et nous transporte dans des paysages sonores bien différenciés, ayant parfois recours à des instruments inhabituels comme le cymbalum. Mérite aussi du directeur musical, Josep Pons, titulaire de la maison, dont le geste sobre et le calme olympien face aux difficultés de l'écriture réussissent à extraire tellement de couleurs et d'éléments sonores de l'œuvre que, à la fin du spectacle, la première réaction est l'envie de la réécouter et de la revoir dès que possible. Et l'intelligibilité du texte ne se trouve jamais compromise ni par les musiciens ni par l'orchestration, extrêmement subtile.

Le travail de Katie Mitchel, détaillé et rythmique, nous invite à réfléchir sur les jeux perfides du pouvoir et combien toute notion de morale ou loyauté devient presque incompatibles. La précision dans les mouvements, presque chorégraphiés, nous tient en haleine tout au long de la pièce. Le malaise qu'elle provoque en nous devient indescriptible lorsqu'elle a recours à la présence des enfants du Roi, aussi bien pendant les ébats avec Gaveston qu'au milieu des sordides trames ourdies par Mortimer pour accroître son pouvoir, se servant de la trahison dont la Reine est victime. Et, pour comble, les enfants assistent également à la décapitation de Gaveston, en guise de leçon pour le nouveau Roi, qui ordonnera à son tour l'exécution de Mortimer... Tout un programme !

Une leçon d’opéra très britannique

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George Benjamin (né en 1960) : Lessons In Love and Violence. Livret de Martin Crimp (né en 1956).  Katie Mitchell, mise en scène ; Stéphane Degout, King, Barbara Hannigan, Isabel, Gyula Orendt, Gaveston/Stranger, Peter Hoare, Mortimer ; Samuel Boden, Boy, later young King ; Ocean Barrington, Girl, Jennifer France, Krisztina Szano, Andri Björn Robertson , Witnesses.  Orchestre of the Royal Opera House, Georges Benjamin, dir.Première mondiale, Royal Opera House, Covent Garden, 10 mai 2018. DVD-2018- 88 minutes- extras 8 minutes -Livret en anglais, français, allemand- chanté en anglais- sous-titres en anglais, allemand, japonais et coréen - LPCM 2.0- DTS Digital Surrond- 16:9 anamorphic- Opus Arte OA 1221 D.