Une victoire de la musique à La Monnaie

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A La Monnaie, Die Walküre de Richard Wagner est une « victoire de la musique » grâce à ses interprètes et à la façon dont Alain Altinoglu sublime son orchestre. Romeo Castellucci l’inscrit dans une mise en scène qui culmine en un troisième acte d’une intensité bouleversante.

Cette production de La Walkyrie fait la part très belle aux voix et à l’orchestre. Une réalité d’autant plus remarquable que beaucoup d’entre les spectateurs s’interrogeaient sans doute plutôt sur la façon dont son metteur en scène allait se l’approprier. Ce qui est dorénavant courant dans le monde de l’opéra : on va découvrir La Walkyrie de Castellucci, le Macbeth de Warlikowski, le Cosi fan tutte de Tcherniakov. 

A La Monnaie, le public a profondément vécu la partition de Wagner, dont il est inutile de rappeler combien elle est particulièrement essentielle par ce qu’elle raconte, ce qu’elle dit, ce qu’elle annonce, ce qu’elle évoque, ce qu’elle rappelle, ce qu’elle suggère. Alain Altinoglu, en fin connaisseur de l’œuvre (allez découvrir sur le site de La Monnaie la petite « conférence au piano » qu’il lui a consacrée), en a exalté les splendeurs. Quelle lisibilité dans le propos, quelle expressivité. Et comme il a été compris et suivi par un Orchestre Symphonique de la Monnaie aussi convaincant dans ses déferlements que dans les séquences plus délicates confiées à l’un ou l’autre instrumentiste en solo. Bonheur des voix aussi. Quelle précision dans les longs monologues récapitulatifs, quelle force et quelle intensité émue dans les duos décisifs de l’œuvre. Je pourrais les évoquer tous, mais il en est un qui a bouleversé le public, le dernier, celui qui réunit Wotan et Brünnhilde, le moment de la punition de la fille désobéissante, le moment de la sentence prise à contrecœur, un moment d’amour, d’infinie tendresse, un moment d’adieu. Brünnhilde, c’est Ingela Brimberg, incarnation épanouie de ce merveilleux personnage ; Wotan, c’est Gabor Bretz, prisonnier de ses choix, de ses erreurs, un dieu si humain en fait dans ses contradictions. Quels élans chez le Siegmund de Peter Wedd et la Sieglinde de Nadja Stefanoff. Quelle autorité cruelle implacable chez la Fricka de Marie-Nicole Lemieux. Quelle menace primitive émane du Hunding d’Ante Jerkunica. Quelle fantastique présence des Walkyries - la meilleure sans doute de celles que j’ai vues- : Karen Vermeiren, Tineke Van Ingelgem, Polly Leech, Lotte Verstaen, Katie Lowe, Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, Iris Van Wijnen et Christel Loetzsch.

Et Romeo Castellucci, me direz-vous ? Justement, si les voix sont ainsi à la fête, c’est que sa mise en scène ne nous distrait pas de ce qui se chante, elle amplifie l’œuvre, la donnant à entendre et à vivre au mieux. Ce qu’il nous offre aux yeux ne nous ferme pas les oreilles. L’acte III est particulièrement révélateur, abouti. Il s’ouvre, on le sait, sur le retour des Walkyries rapportant les chevaliers morts pour les mettre au service du Walhalla. Le rideau s’ouvre sur un plateau plongé dans la pénombre. Une pénombre dans laquelle nous distinguons huit chevaux, oui, vous avez bien lu, huit vrais chevaux. Voilà qui avait fait parler avant la représentation : Castellucci veut amener des chevaux sur la scène de La Monnaie ! Eh bien, cette présence -discrète finalement- est d’une profonde pertinence dramaturgique quand on la combine avec l’agitation des Walkyries habillées de noir et faisant tourner leur bouclier, et les cadavres nus si blancs des chevaliers morts qu’elles ramènent. Un véritable souffle emporte cette séquence. A la fin de l’acte, le père et la fille, de noir vêtus, se retrouvent donc seuls sur le plateau. Derrière eux descend un immense panneau à la lumière intense, qui va s’incliner et finira par se poser sur le corps de Brünnhilde étendue en longue chemise blanche. Un cercle s’enflamme. Tout est joué. Dans les deux actes précédents, rien non plus, dans les dispositifs scéniques du metteur en scène, n’était venu compromettre la rencontre des pauvres héros de cette histoire et les chants sublimes qui les disent.

N'empêche, Castellucci on est, Castellucci on reste, et je m’interroge encore -comme pas mal d’autres que j’ai croisés- à propos de l’épée magique qui, à peine dégagée de la jupe de Sieglinde (et non d’un arbre), est remisée dans un frigo-congélateur ! Ou à propos de ces meubles qui tournent et tournent en une valse improbable à l’acte I. Ou encore la raison pour laquelle Hunding entre dans un confessionnal en en enjambant le portillon ? Le metteur en scène a eu ses raisons que la nôtre ignore…

Après la dernière scène, à la fin de la longue représentation, le public a exprimé dans une longue ovation à la fois son émotion et son bonheur.  

Bruxelles, La Monnaie, le 21 janvier 2024

Stéphane Gilbart

Crédits photopgraphiques : Monika Rittershaus

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