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Le conte est bon : « Siegfried » de Richard Wagner à La Monnaie

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Tout commence par des images projetées d’enfants réunis dans un atelier de dessin ; tout s’achève par des images projetées de dessins de ces enfants. Ce qu’ils ont dessiné : les protagonistes d’un conte.

Ce conte, nous allons en vivre les péripéties ; ce conte, c’est le Siegfried de Richard Wagner, du moins tel que Pierre Audi l’a conçu et mis en scène.

C’est un conte initiatique, un récit d’apprentissage, l’histoire d’un jeune homme en quête de ses origines, en quête de son identité, en quête de la mission qui l’attend. Une quête compliquée, rendue problématique par des personnages hypocrites, malfaisants, retors, qui veulent se servir de lui pour assouvir leurs désirs -ainsi le nain Mime. Une quête qui ne sera possible que grâce à la réussite d’une épreuve déterminante : vaincre le dragon Fafner, gardien d’un anneau magique, d’un heaume magique et d’un trésor. Une quête qui obligera à « se débarrasser du père » en neutralisant Wotan et sa lance. Une quête facilitée par l’intervention d’un oiseau bienvenu. Une quête qui s’accomplira dans la délivrance d’une jeune femme (condamnée lors de l’épisode précédent de La Walkyrie), Brünnhilde, celle qui le révélera définitivement à lui-même dans un amour transcendant réciproque.

Oui, c’est un beau conte à la belle trame linéaire, immédiatement lisible, captivant dans ses péripéties, dans les identifications-répulsions qu’il provoque pour ses personnages, avec ce qu’il faut d’inquiétude et de satisfaction, de prodige et d’émerveillement.

Scéniquement, cela se concrétise notamment avec l’une de ces grandes installations qu’affectionne le metteur en scène : on se souviendra de « l’espace rouge » d’Anish Kapoor pour Pelléas et Mélisande ou de l’immense croix pour Tosca. Cette fois, il s’agit d’une grande structure arborescente omniprésente, soudain trouée de lumières, soudain autrement colorée. Il y a aussi l’immense néon-lance de Wotan-épée Nothung, ou encore le petit personnage-oiseau couvert de plumes… et quelques peluches nounours-doudous.

Oui, mais c’est du Wagner, me direz-vous, sans doute surpris de ne pas voir apparaître une abondance de paratextes, de sous-textes, d’allusions-connotations en tous genres socio-politico-psychanalytico-philosophico-etc. Eh bien, oui, ce Wagner-là se vit avec le regard retrouvé d’un jeune enfant confronté aux émerveillements d’un conte. Bien sûr, quand on le revit en soi chez soi, on y (re)trouve toutes sortes de prolongements en tous ces genres-là. Mais ils ne nous ont pas été imposés.

Le bonheur de cette production est qu’on s’y abandonne !

Cette façon de traiter l’œuvre, si elle est un choix, est aussi la conséquence d’un contexte de création : on le sait, Pierre Audi a joué au dépanneur. Il a accepté de poursuivre cette Tétralogie que La Monnaie n’a pu mener à son terme comme elle l’espérait avec Romeo Castellucci. Il lui a donc fallu travailler dans l’urgence, aller à un certain essentiel. Un bel essentiel dans la mesure où il nous permet de vivre sans filtre la partition wagnérienne, de pouvoir l’apprécier dans toutes les richesses de ses pages instrumentales et vocales.

Triomphe de la musique anglaise sous la direction d'Alain Altinoglu

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Ce vendredi soir a lieu le concert de l’Orchestre Symphonique de la Monnaie à Bozar. Cette soirée est dédiée à la musique anglaise. À la direction, nous retrouvons Alain Altinoglu, le directeur musical de la Monnaie. Le ténor Ed Lyon et le corniste Jean-Pierre Dassonville sont les deux solistes du soir. Au programme, l’Ouverture ‘The Tempest’, op.22 de Thomas Adès, la Sérénade pour ténor, cor et cordes, op.31 de Benjamin Britten et les Variations Enigma, op.36 d’Edward Elgar.

Le concert débute avec l’Ouverture ‘The Tempest’, op.22 de Thomas Adès. Tirée de son deuxième opéra composé en 2004, cette courte pièce est intense avec de nombreuses dissonances. Cette pièce, interprétée avec impétuosité, décrit à merveille une tempête et à quel point celle-ci peut s’avérer impressionnante. 

La soirée se poursuit avec la Sérénade pour ténor, cor et cordes, op.31 de Benjamin Britten. Cette œuvre est un cycle de chansons écrit en 1943 pour ténor, cor solo et orchestre à cordes. Composé pendant la Seconde Guerre mondiale à la demande du corniste Dennis Brain, il s'agit d'une mise en musique d'une sélection de six poèmes de poètes anglais sur le thème de la nuit, avec ses aspects calmes et sinistres. Ces six poèmes sont encadrés par un prologue et un épilogue interprété uniquement par le corniste sur un cor naturel. Le Prologue est interprété avec brio par Jean-Pierre Dassonville. Le premier poème, Pastoral, est à la fois contemplatif à certains moments et à la fois plus joyeux et léger à d’autres. Le cor d’harmonie, d’usage pour les six poèmes, ajoute une belle couleur. Le deuxième poème, Nocturne, se distingue par son dialogue entre les deux solistes. Dans le troisième poème, Elegy, le ténor Ed Lyon chante avec une grande expressivité. Les tenues syncopées des cordes sont agrémentées des pizzicatos des contrebasses. Ces dernières donnent un relief certain à cette partie de l’œuvre. Le quatrième poème, Dirge, débute avec un solo du ténor avant d’être rejoint au fur et à mesure par les cordes. L’entrée du cor, assez tardive dans ce mouvement, arrive au point culminant avant que le chemin inverse ne se fasse laissant le soliste terminer seul cette partie de la pièce. Le cinquième poème, Hymn, se distingue par sa légèreté grâce aux pizzicatos interprétés avec un côté pétillant. Jean-Pierre Dassonville quitte la scène pour le dernier poème, Sonnet. On retrouve le côté contemplatif du premier poème avec une certaine douceur et rondeur dans le son des cordes. Ed Lyon donne une très belle prestation avec de la musicalité et du relief. La Sérénade se clôture avec l’Épilogue où nous retrouvons Jean-Pierre Dassonville dans les coulisses avec son cor naturel. Cette dernière partie est comme une métaphore représentant la nuit s’estompant avec un son devenant de plus en plus lointain. Alain Altinoglu mène avec grande précision les cordes de l’orchestre, elles aussi très attentives aux deux solistes du soir. L’interprétation de cette œuvre est vivement applaudie par le public.

Une victoire de la musique à La Monnaie

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A La Monnaie, Die Walküre de Richard Wagner est une « victoire de la musique » grâce à ses interprètes et à la façon dont Alain Altinoglu sublime son orchestre. Romeo Castellucci l’inscrit dans une mise en scène qui culmine en un troisième acte d’une intensité bouleversante.

Cette production de La Walkyrie fait la part très belle aux voix et à l’orchestre. Une réalité d’autant plus remarquable que beaucoup d’entre les spectateurs s’interrogeaient sans doute plutôt sur la façon dont son metteur en scène allait se l’approprier. Ce qui est dorénavant courant dans le monde de l’opéra : on va découvrir La Walkyrie de Castellucci, le Macbeth de Warlikowski, le Cosi fan tutte de Tcherniakov. 

A La Monnaie, le public a profondément vécu la partition de Wagner, dont il est inutile de rappeler combien elle est particulièrement essentielle par ce qu’elle raconte, ce qu’elle dit, ce qu’elle annonce, ce qu’elle évoque, ce qu’elle rappelle, ce qu’elle suggère. Alain Altinoglu, en fin connaisseur de l’œuvre (allez découvrir sur le site de La Monnaie la petite « conférence au piano » qu’il lui a consacrée), en a exalté les splendeurs. Quelle lisibilité dans le propos, quelle expressivité. Et comme il a été compris et suivi par un Orchestre Symphonique de la Monnaie aussi convaincant dans ses déferlements que dans les séquences plus délicates confiées à l’un ou l’autre instrumentiste en solo. Bonheur des voix aussi. Quelle précision dans les longs monologues récapitulatifs, quelle force et quelle intensité émue dans les duos décisifs de l’œuvre. Je pourrais les évoquer tous, mais il en est un qui a bouleversé le public, le dernier, celui qui réunit Wotan et Brünnhilde, le moment de la punition de la fille désobéissante, le moment de la sentence prise à contrecœur, un moment d’amour, d’infinie tendresse, un moment d’adieu. Brünnhilde, c’est Ingela Brimberg, incarnation épanouie de ce merveilleux personnage ; Wotan, c’est Gabor Bretz, prisonnier de ses choix, de ses erreurs, un dieu si humain en fait dans ses contradictions. Quels élans chez le Siegmund de Peter Wedd et la Sieglinde de Nadja Stefanoff. Quelle autorité cruelle implacable chez la Fricka de Marie-Nicole Lemieux. Quelle menace primitive émane du Hunding d’Ante Jerkunica. Quelle fantastique présence des Walkyries - la meilleure sans doute de celles que j’ai vues- : Karen Vermeiren, Tineke Van Ingelgem, Polly Leech, Lotte Verstaen, Katie Lowe, Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, Iris Van Wijnen et Christel Loetzsch.

La rare et monumentale Symphonie n°3 de Glière à Bozar

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Ce samedi 23 avril, l’Orchestre Symphonique de la Monnaie et le Belgian National Orchestra s’unissent le temps d’un concert pour interpréter la Symphonie N°3 en si mineur « Il’ya Muromets »  op 42 de Reinhold Glière. Cette œuvre à programme en quatre mouvements, composée entre 1909 et 1911, illustre parfaitement le postromantisme. Elle est un assemblage de quatre poèmes symphoniques que nous pourrions associer à ceux de Franz Liszt. L’orchestration aurait réussi à impressionner Nikolaï Rimski-Korsakov, le tout avec une expressivité harmonique digne de Richard Wagner. Pour fini,r nous pourrions comparer la longueur et l’effectif de cet ouvrage à la Troisième Symphonie de Gustav Mahler. En effet, d’une durée de plus ou moins 80 minutes, elle est interprétée par pas moins de 105 musiciens issus des deux phalanges bruxelloises et placés sous la direction d’Alain Altinoglu.

Cette symphonie s’inspire de légendes populaires du pays natal de Glière. Le compositeur relate l’héroïsme du bogatyr Illia de Mourom, héros épique du Moyen Âge, originaire du Grand-Duché de Kiev, qui a lutté contre le mal mais qui a fini changé en pierre. Le compositeur russe d’origine germano-polonaise réussit à nous raconter cette histoire avec une musique trépidante. 

Dans le premier mouvement, Ilia Mourometz, le fils d’un paysan, est resté assis pendant trente années quand, un jour, deux pèlerins de passage lui ordonnent de devenir un bogatyr et de partir en quête de Svyatogor, le plus puissant des guerriers. Celui-ci, lorsque Ilya le retrouve, lui lègue tous ses pouvoirs avant de mourir. Au niveau de l’interprétation, les pupitres graves de l’orchestre sont principalement sollicités dans le début de ce mouvement. Après quelques minutes d’une certaine sobriété, un solo à l’unisson de la clarinette basse et du cor anglais est interprété avec justesse sur un tapis des cordes. Par la suite, un pupitre de cors conquérants lance le premier vrai crescendo de l’œuvre. Un grand choral solennel de cuivres s’ensuit. Après un nouveau passage grandiose, tout se calme pour laisser place à un solo subtil de percussion. La conclusion du mouvement est triomphale : Ilia Mourometz a reçu les pouvoirs de Svyatogor.