Yeol Eum Son, Mozart en intégrale 

La pianiste Yeol Eum Son fait l’évènement avec une intégrale des sonates pour piano de Mozart (Naïve). Enregistrée en studio, cette intégrale, qui est amenée à faire référence, marque les débuts de la musicienne coréenne pour le label Naïve avec qui elle entame une collaboration. Crescendo Magazine est très heureux de s’entretenir avec cette artiste d’exception. 

Vous faites paraître  une intégrale des sonates pour piano de Mozart. Qu'est-ce qui vous a motivé à enregistrer ce cycle complet ? 

Cela a toujours été mon rêve, ou mon "plan". Mais je ne savais pas que le moment viendrait si vite. Mais je suis heureuse de l'avoir fait à mon jeune âge;  afin d'avoir une autre chance à un stade ultérieur de ma vie ?

Que représentent pour vous le style et l'écriture pianistiques de Mozart ?

C'est en jouant du Mozart que je me sens le plus à l'aise. Il est difficile d'expliquer pourquoi avec des mots, mais... Je me sens en quelque sorte "déchargée" lorsque je les joue. C'est comme si je ne me sentais pas sous pression pour "produire" ou "exécuter" quoi que ce soit. En général, je me contente de jouer et la forme de la musique suit... bien que, la plupart du temps, j'aie une forte imagination, qui est principalement liée à ses opéras - les personnages, certaines scènes ou événements particuliers, etc. etc. En tout cas, pour moi, Mozart n'est peut-être pas un compositeur de "musique absolue". Je traite presque toujours sa musique comme... du théâtre, ou des arias.

Vous avez enregistré ce cycle complet sur une période de 6 mois. Quels sont les défis physiques et intellectuels que vous avez dû relever pour réaliser cette intégrale dans un studio d'enregistrement ? Avez-vous enregistré les sonates dans l'ordre chronologique de leur composition ?

L'ordre d'enregistrement était complètement aléatoire ! J'ai commencé par celles que je connaissais, puis je les ai progressivement mélangées avec certaines sonates jamais jouées... Il y a bien sûr eu quelques difficultés mais, dans l'ensemble, je dois dire que ce fut l'expérience d'enregistrement la plus relaxante de ma vie. Pour être honnête, il y avait quelques raisons pratiques à cela. Par exemple, le fait que je n'étais pas soumise à une dynamique de travail extrême, ce qui peut facilement épuiser quelqu'un dans un studio d'enregistrement parce que nous sommes parfois amenés à répéter quelques phrases encore et encore. En parlant de répéter : lors de cette session d'enregistrement, j'ai essayé de ne pas les diviser en morceaux et d'enregistrer les choses mesure par mesure. Au lieu de cela, je les ai écoutés plusieurs fois.

Les difficultés intellectuelles concernaient surtout les premières sonates, car le compositeur y était beaucoup plus... particulier, détaillé et presque affirmé. Je me sentais certainement moins "libre" avec elles au début, en comparaison des sonates tardives. Il m'a fallu un certain temps pour les digérer et les jouer "aussi librement".

Le fait de gérer un enregistrement sur une période aussi courte vous a-t-il amené à modifier votre conception de certaines de ces sonates ?

Contrairement à d'autres répertoires, j'ai eu l'impression que l'enregistrement de ces sonates ne serait pas une question de consommation de temps... Je crois qu'il existe des liens entre le temps que le compositeur a consacré à une œuvre et le temps que cette œuvre demande à l'interprète pour l'interpréter. Ainsi, je n'utiliserai pas la même méthode d'analyse pour interpréter la Sonate Hammerklavier de Beethoven et pour interpréter les Impromptus de Schubert. De nombreuses Sonates de Mozart ont un sens pour moi lorsqu'elles sont fraîchement enregistrées. Et le fait de les enregistrer toutes dans un court laps de temps n'a pas nécessairement changé mon point de vue sur les sonates, comme je m'y attendais.

Quel était votre état mental et physique après ces sessions d'enregistrement ? Était-il difficile de se concentrer sur d'autres projets après une période aussi intense ?

Mozart ne devient jamais un "envahisseur" pour moi... Par exemple, j'aurais besoin d'un certain temps après m'être complètement consacré à des compositeurs comme Beethoven, Schumann ou certains des géants russes, pour m'en détacher. Mais avec Mozart, je n'ai jamais ressenti un tel besoin... C'est peut-être parce que c'est en jouant Mozart que je me sens la plus naturelle avec moi-même ? Ou peut-être parce que la langue de Mozart est en fait universelle... Si l'on y réfléchit, il est lié à de nombreux autres langages -celui de Tchaïkovski, de Prokofiev ou de Chostakovitch, de Ravel, et bien sûr d'autres compositeurs classiques tels que Mendelssohn et Schubert.

Certaines de ces sonates sont-elles vos préférées ?

Après les avoir toutes enregistrées, j'ai fini par aimer un peu tout, mais les anciennes favorites de l'enfance restent, bien sûr : La Sonate en la mineur, la Sonate en la majeur (K.331), la Sonate en ré majeur (K.311), la petite Sonate en sol majeur (K.283), ou la petite sonate en do majeur (K.545)...

Avez-vous déjà une autre œuvre complète pour piano d'un autre compositeur dans vos projets ?

Peut-être Schumann ? C'est un autre compositeur dont je me sens très proche. De plus, sa musique pour piano est un genre qui capture absolument sa quintessence. Mais j'espère aussi consacrer une plus grande partie de ma vie à Mozart, notamment en tant qu'artiste du disque. Je veux enregistrer davantage d'œuvres pour clavier, outre les sonates, également les concertos pour piano, et les sonates pour violon (sonates pour piano et violon) -qui sont l'un de mes Mozart préférés ! Et éventuellement les œuvres d'autres compositeurs qui ont été inspirés par Mozart !

Le site de Yeol Eum Son : www.yeoleumson.com

• A écouter : 

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : intégrale des sonates pour piano. Yeol Eum Son, piano.   1 coffret de 6 CD Naïve. V8049 (parution le 17/03). 

 

Crédits photographiques : (c) Marco Borggreve

Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot