Serge Prokofiev en boîte
Serge Prokofiev (1891-1953). The Collector’s Edition. Oeuvres pour piano, musique de chambre, concertos, ballets, symphonies, musique de film, Suites pour orchestre, opéras, Pierre et le Loup. Notice en anglais, français et allemand. 1 coffret de 36 CD Warner. Référence : 0190296262715.
Alors que l’on célèbre les 70 ans du décès du grand Serge Prokofiev, Warner nous propose l’un de ses coffrets thématiques traditionnels. Comme pour les précédents volumes consacrés à Bartók, Stravinsky ou Saint-Saëns, il ne s’agit pas d’une intégrale, mais d’un très large panorama sur base des fonds des labels EMI, Teldec, Virgin et Erato en reprenant des versions déjà très connues et piliers des rééditions qui voisinent des enregistrements plus ou moins oubliés.
Pour les œuvres pour piano et les concertos pour piano, Warner a puisé dans ses catalogues. Vladimir Ovchinnikov, Michel Beroff, Nikolaï Lugansky, Cyprien Katsaris, Aldo Ciccolini, Roustem Saitkoulov, György Sebök, Nicholas Angelich, Rafael Orozco sont aux manettes des oeuvres pour piano. Toutes ces interprétations composent un panorama bigarré de styles, tout en rendant justice à la variété des approches possibles dans ces partitions. Pour les concertos pour piano, 7 interprétations ont été retenues… pour les 5 partitions, car le coffret propose 3 versions différentes du célèbre Concerto n°3. Les sept pianistes retenus sont : Andrei Gavrilov, Beatrice Rana, Martha Argerich, Alexis Weissenberg, Michel Beroff, Sviatoslav Richter et Serge Prokofiev lui-même.
Pour les œuvres pour violon et violoncelle, le catalogue Warner est dominé par les gravures légendaires de David Oistrakh au violon et de Mstislav Rostropovitch au violoncelle, que ce soit dans les partitions concertantes, chambristes ou solistes. Cependant, le coffret propose également des interprétations d’autres artistes, qu’ils soient également des légendes comme Itzhak Perlman, Nathan Milstein ou Janos Starker, ou des stars de notre époque à l’image de Vadim Repin, Frank Peter Zimmermann ou Vilde Frang. Cette addition de compétences interprétatives de si haut niveau est évidemment un atout de cette boite. Des œuvres pour formations de musique de chambre convoquent tant le Quartetto Italiano que le Quatuor Borodine ou les Berliner Solisten.
Du côté des grands tubes orchestraux, les intégrales des ballets Roméo et Juliette et Cendrillon avec le London Symphony Orchestra sous la baguette d’André Previn sont à l'honneur : ce sont des enregistrements majeurs de ces ballets, magnifiés par un orchestre de démonstration. Du côté des suites des ballets, on se réjouit de retrouver Armin Jordan dans celles tirées de Romeo et Juliette. Le chef suisse, au pupitre de l’Orchestre de la Suisse romande, est en recherche d’une finesse dans la lisibilité de l’écriture du compositeur et chaque épisode est une saynète amoureusement peinte. Il y a certes des lectures plus virtuoses et anguleuses, mais Armin Jordan propose un parti pris qui permet de redécouvrir ces morceaux rabâchés. Autre belle surprise, la Suite de Cendrillon par l’Orchestre de Strasbourg sous la baguette de l’excellent Alain Lombard, un enregistrement trop oublié qui doit faire ses débuts en CD. On aimerait d’ailleurs que Warner propose un coffret en hommage au grand chef français.
Les symphonies sont partagées entre André Previn à Londres (Symphonies n°1 et n°7) et Mstislav Rostropovitch (Symphonies n°2 à n°6) avec l’Orchestre National de France. Certes les pupitres de la phalange parisienne présentent un fini moins léché que ceux du LSO, mais l’engagement est total sous la direction d’un Rostropovitch qui semble jouer sa vie. La rudesse du trait et la puissance narrative de la direction font de ces enregistrements des références. Notons que la Symphonie n°4 est présentée ici dans ses 2 versions : celle, originale, de 1930 et celle, profondément remaniée, de 1947. Les autres oeuvres pour orchestre font la part belle à des références du catalogue EMI : la Suite scythe de Simon Rattle à Birmingham, la Sinfonietta de Riccardo Muti avec le Philharmonia, le Pas d’Acier d’Igor Markevitch avec ce même Philharmonia. On se réjouit de retrouver comme raretés les Nuits d’été par Paavo Berglund et l’Orchestre de Bournemouth ou la suite du Fils prodigue par l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo et Lawrence Foster. Autres grandes interprétations tirées du catalogue EMI : Alexandre Nevsky par Previn et le LSO et Ivan le Terrible par Muti et le Philharmonia, des lectures engagées et particulièrement convaincantes.
Du côté des opéras : deux intégrales multi-récompensées. Guerre et Paix par Rostropovitch, la première intégrale de l’autre côté du Rideau de fer dans une distribution de prestige avec Galina Vishnevskaya dans le rôle de la Comtesse Natalya Rostova, Nicolai Gedda en Anatol Kuragin ou encore Lajos Miller en Prince Andrei Bolkonsky. Le musicien russe galvanise les forces chorales de Radio France. Cette intégrale, tirée du catalogue Erato, fut bardée de récompenses à sa sortie. Autre grand succès : l’intégrale en français de l’Amour des trois oranges, sous la direction de Kent Nagano à Lyon, une somme gravée pour Virgin qui fut l’un des grands accomplissements musicaux du chef américain lors de son mandat lyonnais.
Les polyglottes se réjouiront de retrouver l’inévitable Pierre et le Loup en 6 langues : français, anglais, allemand, espagnol, néerlandais et japonais, avec différentes interprétations : Karajan, Mehta, Nagano, Markevitch.
Les coffrets Warner proposent toujours quelques enregistrements historiques et on peut retrouver ici le compositeur lui-même au piano pour quelques gravures conservées sur rouleau. Au titre des curiosités : le compositeur chantant des extraits d’Ivan le Terrible, deux airs tirés de la collection de Lina Prokofiev, la première épouse du compositeur. Enfin, deux courtes interviews radiophoniques de 1946 pour des médias américain et russe.
Le notice de présentation est synthétique mais juste et les pochettes reprennent des illustrations dans le style russe des avant-gardes du début du XXe siècle.
Un coffret solide au niveau éditorial et qui permet de redécouvrir des interprétations oubliées.
Note globale : 9
Pierre-Jean Tribot