Beau, tout simplement beau : « la Calisto » à Aix-en-Provence
Beau, oui, tout simplement beau, dans ce que l’on entend et dans ce que l’on voit. Quel bel écrin, quel dispositif scénique adéquat ont imaginé Jetske Mijnssen, la metteure en scène, et Julia Katharina Berndt, la scénographe. Les grands espaces d’un somptueux hôtel particulier du XVIIIe siècle, lambris, bougies, fauteuils et bergères, service en porcelaine et personnel aussi efficace que discret. Un plateau tournant pour faciliter le jeu des entrées et sorties, des apparitions-disparitions. Les costumes d’Hannah Clark sont joliment d’époque.
Une histoire compliquée : Jupiter fait encore des siennes ! Sa proie, cette fois, la belle Calisto, si éprise de Diane. Le roi des dieux, conseillé par son âme damnée de Mercure, va donc recourir à une usurpation d’identité – un procédé habituel chez lui - pour abuser de la vierge amoureuse. Leur entourage est, lui aussi, habité par toutes sortes de pulsions irrésistibles : ceux qui aiment en vain, ceux qui veulent posséder, celle qui voudrait être aimée, ceux qui ourdissent ; les naïfs, les retors, les idéalistes, les fourbes. On se déguise, on cache ses sentiments, on complote, on menace. Des quiproquos en veux-tu en voilà. Du baroque vénitien quoi, dont on sait que Cavalli est un maître.
C’est une comédie, joliment enlevée, mais pas que. Il y a du Marivaux, mais aussi du Choderlos de Laclos. On badine, mais on n’hésite pas à menacer, couteaux à l’appui.
Il y a aussi le fait qu’une œuvre prend des sens nouveaux en fonction du contexte de ses représentations. Cette façon de disposer ainsi des femmes, d’en abuser, de les tromper, de les minimiser, de les (re)jeter suscite immédiatement d’autres résonances en nous. Et le rire cède la place à notre désormais refus de ces façons de faire. Les déplorations de Calisto et l’air si poignant de Junon en deviennent plus que révélateurs. Jupiter, d’ailleurs, « ne l’emportera pas au paradis », poignardé par sa victime abusée, même s’il l’avait dédommagée en quelque sorte en la métamorphosant pour l’éternité en étoile dans le ciel étoilé.
Fête pour les yeux, tout cela est donc beau et élégant. Toujours léger, notamment grâce à quelques séquences joliment chorégraphiées par Dustin Klein, et d’ailleurs bien dansées par ceux qui sont d’abord des chanteurs.
Fête pour les oreilles aussi. Grâce au travail d’adaptation de l’œuvre pour le lieu particulier de l’Archevêché d’Aix, réussi par Sébastien Daucé pour son ensemble Les Correspondances : les six instruments de la création sont devenus trente-cinq. Comme ils sonnent bien, ainsi dirigés en toute subtilité fidèle au propos.
Quant aux interprètes, ils sont dix, judicieusement distribués, chacun à sa place, chacun à sa voix ! Lauranne Oliva a tous les élans, tous les espoirs et toutes les désillusions de la Calisto ; Alex Rosen est un Jupiter plus que savoureux dans ses désirs irrésistibles et ses métamorphoses, voix comprise. Mais celle que je retiendrai, c’est Anna Bonitatibus : Junon qui nous chante d’une façon si émouvante, si bouleversante, son triste sort d’épouse délaissée, d'épouse bafouée. Voilà la réussite et la justification d’un opéra : c’est par l’envoûtement délicat d’un chant qui nous subjugue que la réflexion s’installe. Oui, le spectacle vivant est une conviction sensorielle.
En rentrant chez eux, dans la nuit d’Aix, les spectateurs ont levé les yeux vers le ciel : ils y ont vu briller l’étoile de Calisto.
Aix-en-Provence, Théâtre de l'archevêché, 10 juillet 2025
Crédits photographiques : Monika Rittershaus