Vivaldi : Guillaume Rebinguet Sudre rend les sonates pour violon à l’art des Tenebrosi

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Vivaldi Incognito. Antonio Vivaldi (1678-1741) : Sonates pour violon en ré mineur RV 12, en ré majeur RV 10, en do mineur RV 6, en mi bémol majeur RV 756. Adagio du Concerto pour violoncelle en sol mineur RV 416. Guillaume Rebinguet Sudre (*1978) : Toccata pour clavecin en sol majeur. Preludio pour théorbe en si bémol majeur. Guillaume Rebinguet Sudre, violon. Étienne Mangot, violoncelle. Simon Waddell, théorbe. Clément Geoffroy, clavecin. Livret en français, anglais. Novembre 2023. 60’05’’. L’Encelade ECL 2302

« Il m’a semblé intéressant de mettre en lumière quelques-unes de ses plus belles sonates pour violon et basse continue : un répertoire dans lequel Vivaldi se montre toujours créatif et original, mais dans un esprit assez différent des concerti auxquels le public est plus habitué » explique la notice signée de Guillaume Rebinguet Sudre. Ce Vivaldi-là n’est certes pas celui des Quatre Saisons, mais pour autant ne s’anonymise pas dans cet incognito invoqué dans le titre du CD.

Au menu, quatre sonates, non tirées des opus II ou V, mais trois provenant du « Manuscrit de Manchester » (acquis en 1965 par la City Library de la ville britannique) dont elles furent exhumées par le musicologue Michael Talbot. Coup sur coup, les douze sonates du recueil furent enregistrées par Fabio Biondi (Arcana, juin 1991) puis Andrew Manze avec La Romanesca (Harmonia Mundi, mars-septembre 1992), qui pour l’intégrale dominent toujours la discographie.

Trois de ses œuvres (dont les RV 6 et 12 ici enregistrées) préexistent sous une autre mouture dans un manuscrit dit « de Dresde » où elles furent vraisemblablement ramenées de Venise par Johann Georg Pisendel (1687-1755), virtuose de la cour saxonne. Selon Talbot, tel qu’il l’analysait dans le BBC Music Guide dédié au Prete Rosso (Londres, 1979), cette réécriture reflète une évolution stylistique : « dans la partie de violon, une ligne plus chantante, quasi-opératique, remplace en plusieurs endroits les énergiques double-croches ; quelques harmonies ont été émoussées ; plus surprenant, la basse dans plusieurs mouvements a été entièrement refaçonnée pour devenir un décor (parfois trop) discret » (page 68, –nous traduisons).

Le programme inclut aussi la sonate RV 10, qui ne figure que dans le manuscrit dresdois, et quelques pages valorisant les trois compères de l’accompagnement. Un Adagio du concerto RV 416 confié au violoncelle d’Étienne Mangot, et deux compositions de Guillaume Rebinguet Sudre : un Preludio pour le théorbe de Simon Waddell, et une Toccata pour le clavecin de Clément Geoffroy, construit par Guillaume Rebinguet Sudre, facteur de cet instrument dérivé d’un anonyme napolitain du milieu du XVIIe siècle.

C’est un Amati de la même époque, vers 1650, qui a inspiré le modèle dont joue ici le soliste. Plus veineuse et charnue que chatoyante, la sonorité se charpente dans une captation prégnante qui place le violon en avant-plan et flatte sa première octave. À tel point qu’en passant de la plage 9 à 10, on ne saisit d’abord pas que le violon a cédé la place au violoncelle. Une présence un peu fatigante, d’autant que le gargantuesque niveau de gravure invite aussi à modérer le potentiomètre de quelques décibels.

Cette opulence du bas-médium, cette matité de l’aigu qui révèle formes et sens sans dissoudre les ombres par l’éclat, confèrent au discours une gravité très patricienne. Même dans l’Allegro RV 10, qui devient plus poseur qu’extravagant, quoique délicieusement conteur, maniérant les double-cordes d’une noble affectation. Rien de bel cantiste, pourtant. L’aisance technique ne s’exhibe pas superficiellement, mais la dextérité aligne avec aplomb la volière ornementale de la Corrente-Allegro du RV 6, et assèche le jarret de la Gigue RV 756 dans une chorégraphie sous contention.

Tout au long de l’album, les bustes nets, contrastés sur fond d’opacité, que structure l'équipe d'Hexaton ne sont-ils dignes du climat puissamment dramatique et de la « ténébreuse phosphorescence » que Jean-Michel Brèque, dans son Venise édité aux PUF, associe au Tintoret ?

Christophe Steyne

Son : 8,5 – Livret : 8,5 – Répertoire : 8-9 – Interprétation : 9

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