Donaueschinger Musiktage 2025 : un festival de création

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Mi-octobre à Donaueschingen, on frissonne sous le vent gris d’un automne où résonne, comme ailleurs, le repli sur soi d’un monde qui s’était voulu ouvert, qui maintenant cède au cri, à la colère, autojustifiée, déifiée et déconnectée de sa réalité biologique (l’émotion est un moteur d'action, un outil de communication et un moyen d'adaptation) : les tribuns des réseaux (ils n’ont plus rien de sociaux) abrutissent et outrancient, conspuent et excluent, bradent et liquident – la liberté, le climat, la solidarité, la science (au profit de l’eau de javel), le légitime, la culture. Emergeant de la grisaille que nos efforts clairsemés peinent à dégager, les moments consacrés à l’art viennent comme des îles : les Donaueschinger Musiktage sont une de ces oasis, à la fois institution ancrée dans l’histoire et ogive fureteuse et dénicheuse – un des rares festivals à accueillir de grands ensembles (le financement institutionnel) et à privilégier la création (l’ouverture). Plus que centenaire, c’est sa collaboration de 75 ans avec la radio SWR (Südwestrundfunk) qu’on fête cette année – une impulsion décisive en matière d’expérimentation musicale et de diffusion internationale.

L’ombre (simple) de Pierre Boulez

C’est Anthèmes I, pour violon seul, qui m’attire au premier événement du vendredi – dont je découvre, un peu distrait, l’essentiel du programme en prenant place à la Strawinsky Saal des Donauhallen : une cohorte de discours célébrant l’anniversaire – ma compréhension de la langue allemande étant ce qu’elle est, je me rabats sur le texte anglais contenu dans la bible du festival (un véritable livre de près de 300 pages) et vois ma patience récompensée par un bienvenu entracte entre causeries.

Pierre Boulez est coutumier des transformations et versions multiples de nombreuses de ses pièces – un retravail constant d’un matériel musical jamais définitivement figé, guidé notamment par l’évolution technologique ; ainsi, la partition du (court et réjouissant) Anthèmes I, qui date de 1991, se base sur un fragment de la partie de violon d’…explosante-fixe… et connaît une révision (et augmentation : la longueur de la pièce double) en 1994 à l’IRCAM, sous le titre d’Anthèmes II, version électroacoustique pour violon et électronique en temps réel (ordinateur et six haut-parleurs) – le titre se réfère à la fois au concept de « thème », à « anthem », composition de psaumes et d’hymnes des 16ème et 17ème siècles et au chrysanthème.

La fin des palabres est ponctuée par un avant-goût de la performance du soir (à laquelle je n’ai pas prévu d’assister) de la platiniste Mariam Rezaei, DJ anglaise férue de musiques nouvelles, d’expérimentation et d’improvisation, qui utilise un système digital de platines vinyles (deux ici, quatre à 23 heures) pour manipuler en temps réel un grand nombre de samples – pour l’occasion, des échantillons des archives SWR / Donaueschinger Musiktage : c’est la coloration hip-hop et musique de club qui me repousse.

La lumière (sensible) de Philippe Leroux

A 20 heures, c’est le vrai concert d’ouverture, avec le SWR Symphonieorchester (l’orchestre en résidence), dirigé par François-Xavier Roth, natif de Neuilly-sur-Seine, de renommée internationale, pour quatre nouvelles pièces, dont la première, Im Entfalten. Dem Andenken an Pierre Boulez, de Mark Andre (le compositeur français établi à Berlin, habitué du festival, rend hommage à celui dont on fêtait cette année le 100ème anniversaire de la naissance) m’évoque, dans ses déploiements fragiles et éphémères, le bourgeonnement des noisetiers qui marque le début du printemps : les chatons mâles s'ouvrent et libèrent le pollen à destination des fleurs femelles aux stigmates rouges ; la vie hésite et tourbillonne, féconde et donne des fruits ; les bourgeons s’ouvrent peu à peu et de nouvelles feuilles surgissent – la musique d’Andre est une mosaïque de détails qui éclosent, disséminés dans l’orchestre, que l’on suit des yeux, toujours avec un temps de retard.

Avec sa conception spécifique de la composition (le son, l’espace, le corps ; l'architecture, l'acoustique, l'hypergéométrie – qui transcende la géométrie), Turgut Erçetin (né à Istanbul, diplômé à la Stanford University) s’appuie, pour There recedes a silence, faceting beyond enclosures, sur l’architecture seldjoukide (une ancienne dynastie turcique), les jeux d’ombre et de lumière des sculptures en pierre : au départ pensée comme un concerto, le compositeur développe sa partition (pour clarinette et orchestre) parallèlement à l’observation des symétries géométriques et de leurs liens avec l’espace – l’émotion, soumise au formalisme du concept, doit surtout au jeu du clarinettiste Carl Rosman, longtemps partie prenante aux ensembles Musikfabrik et ELISION.

Comme on va aux champignons avant la fricassée, Imsu Choi, formée au CNSMD (Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse) à Paris et à l’IRCAM (elle étudie aussi les ondes Martenot), prépare l’écriture de sa musique en collectant d’abord ses ingrédients : battements, infrasons, textures harmoniques, amas sonores – qu’elle organise ensuite en fonction de contrastes, macro / micro, horizontal / vertical, puissant / délicat, jouant sur la masse de l’orchestre et les micromouvements qu’il englobe – composer, c’est « comme trouver un chemin dans un labyrinthe », explique la sud-coréenne, donnant sens au titre de l’œuvre (Miro). Ses humeurs sont fantasques, évoquent une cellule dans le liquide amniotique qui aspire, ingère et prolifère, délaissant le programme génétique pour la mutation hasardeuse, qu’elle débarrasse en temps réel de ses scories, ses essais non transformables, pour ne garder que le bon grain – et l’ivresse qu’il procure.

Philippe Leroux parcourt, lui, les lieux de son histoire de vie, une expérience personnelle qu’il met en musique dans Paris, Banlieue (Un informe journal de mes rêveries) (un sous-titre en allusion au « promeneur solitaire » de Jean-Jacques Rousseau) : bâtissant une esthétique captivante, faite d’une myriade d’événements sonores (renforcée encore par l’utilisation, parfois teintée d’humour, de fichiers électroniques issus de pièces orchestrales anciennes du compositeur – l’orchestre est la ville, le dispositif électroacoustique, la banlieue –, il raconte, dans une géographie qui lui sert de plan (lors du final, les musiciens, les uns puis les autres en action, pointent du doigt sur une carte virtuelle dessinée dans l’espace de la salle, les directions des lieux parcourus), le va-et-vient constant, des pendulaires qui vivent à l’extérieur et travaillent au centre, des activités de la ville qui attirent momentanément les habitants de la périphérie, des lassés du bruit avides d’un air plus respirable. Formellement, la partition est écrite selon les trajectoires entre les lieux de vie : cinq grandes périodes, et autant de mouvements, structurés selon une conception pensée dans l’abstrait et ancrée dans le réel – les allers-retours son / structure répondent aux allers-retours ville / banlieue.

Kaja Draksler : élan slovène à la sauce hollandaise

Mes rencontres successives, au fil des concerts et au gré de leur programmation, avec l’esthétique du compositeur franco-grec (il naît à Athènes et vit à Paris) sont ambigües, voire paradoxales : le langage singulier de Georges Aperghis, cultivé à partir d’une relation entre musique et texte qu’il peaufine depuis ses débuts, interpelle, éveille l’intérêt et excite ma curiosité – mais échoue à neutraliser ma ligne d’attention, à asphyxier suffisamment de conscience pour happer, m’engloutir, faire oublier le temps. Si bien que, face à Tell Tales, création d’un peu plus de trois-quarts d’heure pour six voix et alto, que le compositeur sature d’une efflorescence de mots, de phonèmes, de sons vocaux – d’histoires peut-être ; je prends les voix pour ce qu’elles me donnent, sans idiome distinctif, sonores plus que sémantiques – que déclenche, titille, suscite ou rétrocède l’alto (la prolifique Tabea Zimmerman), j’écoute, découvre, écarquille les yeux, me laisse bousculer, heurter, séduire par moments, pendant les quinze premières minutes, sans pour autant glisser dans cet entre-deux de la lucidité, dans cet instant hypnagogique où l’éveil cède au sommeil, où la cochlée se déconnecte du nerf auditif, où du relâchement on passe à la détente – et donc me lasse, nonobstant une performance vocale (l’ensemble Exaudi) bluffante.

Née dans la campagne slovène, qu’elle quitte pour la Hollande où elle complète son cursus de compositrice classique par une expérience de la scène d’impro amstellodamoise, Kaja Draksler réinvestit son village natal après un détour de quelques années à Copenhague ; elle y mène plusieurs projets de front, dont l’étrange et extravagant Bare, Unfolding, qu’elle interprète au piano avec les autres membres de l’octuor qui porte son nom : étrange car, dans cette pièce qui frôle l’heure, l’inspiration vient des mots de Matsuo Bashō, un des quatre maîtres du haïku japonais, et du Kangen Gagaku, cette musique de la cour impériale insensible au passage des siècles ; extravagant par un art du décalage souvent amené par les (petites) percussions, des oasis (voix, Shakuhachi – une flûte japonaise d’origine chinoise), une propension au désordre – comme nous apparaît le monde de celui qui n’ordonne pas selon les normes. Certains spectateurs s’enfuient face à cette tendance foutraque au parfum hollandais – j’y vois l’élan, forcément chaotique, de la vie.

Retrouvailles aux harmonicas, avec Tristan Perich

HANATSUmiroir preste un double service ce samedi après-midi, à l’air libre sur la Lammplatz (en contrebas de la Donauquelle, la source du Danube – une occasion d’arrêter le badaud, touriste ou passant), sur une petite scène exposée au soleil intermittent et froid de l’automne ; on échange quelques mots au café restaurant où l’ensemble strasbourgeois, fondé par la flûtiste Ayako Okubo et le percussionniste Olivier Maurel, reprend des forces, je loge à l’hôtel aménagé dans l’ancienne fabrique d’harmonicas et d’accordéons, Ayako raconte la visite de l’implantation actuelle de Hohner à Trossingen (non loin de Donaueschingen), prélude au partenariat entre l’ensemble et le facteur d’instruments fondé en 1857 par Matthias Hohner. Le vent est frais, le soleil bas (« à 14 heures, sans ses rayons, on avait froid, ensuite on avait du mal à lire la partition ») – du siège où je m’installe, ce sont les traits des harmonicistes que j’ai du mal à distinguer – mais je me réjouis de réentendre (clic) Reflections of a Bright Object de Tristan Perich : cinq interprètes, bien plus d’harmonicas (de toutes tailles), de l’électronique primitive et dix-huit mini-haut-parleurs en trois trépieds (des sons Atari ou Tetris, des images TRS-80 ou RadioShack surgissent de mes souvenirs). « Lorsqu’on travaille avec des formes d’onde 1-bit, les données sont équivalentes au son ; aucune traduction de niveau supérieur n’est nécessaire », développe le compositeur new-yorkais : combiné à des instruments, traditionnels mais dans une configuration inhabituelle, le résultat musical est rafraîchissant et évocateur – comme cette partie à cinq grands harmonicas (si graves que les membranes des enceintes tremblent de rester enfermées), portuaire, où l’on voit les bateaux accoster, les ferries quitter la rade, les grues, conteneurs entre les dents, décharger les cargos.

Je fais un saut à l’Orangerie, lieu historique situé dans le parc du château près du palais baroque de la famille Fürstenberg, qui accueille l’installation Abweichungversuche de la luxembourgeoise Nika Schmitt : Ses « tests de déviation » se répartissent dans la série de pièces en enfilade du bâtiment, pour former une réaction électromécanique en chaîne, générant des sons qui se déplacent dans l’espace avec l’auditeur qui le parcourt, selon un rythme instable, à la fois organisé et décousu.

Un dispositif séduisant, une musique captivante

La Bartók Saal s’ouvre avec quelques minutes de retard (c’est rare, dans une organisation le plus souvent très efficace) et, en y entrant, on en comprend tout de suite la raison : la configuration est inhabituelle, les musiciens du Klangforum Wien disposés en deux demi-ellipses, un percussionniste et les deux conducteurs, dos-à-dos (une caméra et un petit écran retransmettent le regard sévère et concentré de Vimbayi Kaziboni à Xizi Wang), au centre, le public, qui entre alors que la musique déjà percole, invité à se poser sur des coussins ou des tabourets, ronds, entre les interprètes et les chefs, certains spectateurs (une petite fille, à grands pas indécis, donne exemple) choisissant parfois de parcourir lentement la courbe entre les courbes, sous l’éclairage, alors bleu, qui féérise la scène. Parmi les musiciens, à son stand de percussions (certaines, qui font intervenir de longues lames d’aluminium, créées par elle), se trouve la compositrice Hanna Eimermacher, dont le travail prend en considération, outre la musique et l’exploration de la voix, la performance, la lumière et la chorégraphie de l’espace. Dans Aura, sa nouvelle création « respirante », qui fait la part belle aux percussions vibrantes (quatre pupitres), fluide, dont la spatialisation dynamique suit l’ellipse, Eimermacher mobilise deux chefs d’orchestre qui synchronisent, ou pas, les deux moitiés de l’ensemble – et leurs propres gestes – à quoi s’ajoute encore le mouvement des lumières (scénographie : Anselm Dalferth) – et le duo de voix (l’une est préenregistrée) qui s’auto-amplifie, d’une beauté stupéfiante. Un spectacle exaltant.

La durée est un ingrédient du plaisir

Une heure trente est la durée annoncée de la pièce (unique) du concert de 22 heures à la Erich Kästner-Halle, sur les hauteurs de la petite ville, dans le quartier des équipements sportifs et scolaires, une œuvre pour violon et piano, celui-ci tenu par Joseph Houston, celui-là aux mains Sarah Saviet, un duo né à Berlin en 2019. The Blue Hour est le fruit de l’intérêt que porte depuis longtemps Sarah Hennies, compositrice née à Louisville dans le Kentucky, à la répétition, en musique mais aussi dans la vie de tous les jours – ou des nuits quand elle se penche sur la récurrence de certains rêves, si personnels et à l’expérience si commune, qui ne se résolvent jamais – et d’une exploration, nouvelle pour elle, des gammes et des mélodies. Les dissonances au piano n’ont pour autant pas dit leur dernier mot, alors que le violon élonge le temps, les deux se jouant d’une conception temporelle à la Morton Feldman – vite (et à bon escient) contrariée par des ruptures brutales et persistantes, des sons en recherche (des techniques de jeu étendues), âpres et virulents – un violon capable de faire apparaître la guitare du Star Spangled Bangled de Jimi Hendrix est un violon vivant –, sauvages et hypnotiques en même temps : c’est là où joue la longueur, qui aspire et affaisse les paupières, qui baisse la garde et ouvre la porte au rêve. Une bonne surprise.

Russie, Ukraine, Géorgie, Italie

Sur le thème de la « voix nue » (La nuda voce), le Klangforum Wien, dirigé cette fois par le zimbabwéen Vimbayi Kaziboni, prend possession de la Mozart Saal dès 11 heures dimanche, avec quatre créations, dont la première est de la plume d’Alexander Khubeev – je vous ai dit du bien de son Don’t leave the room par le Nadar Ensemble à Utrecht (clic) : Garmonbozia, dans l’imaginaire fertile que David Lynch met en scène dans Twin Peaks, est une hydre à double tête, manifestation de la souffrance de l’homme en même temps que carburant des forces malveillantes envers les humains ; Garmonbozia, dans la pièce du compositeur russe, sème l’étrange, le fantasque, l’effrayant : les instruments sont préparés (du polystyrène pour les cordes), réaccordés (les mélodicas), inventés (des tôles, des boîtes en plastique, de longues cordes), créant un univers désaxé, irrationnel, éthiquement flou et moralement opaque.

Avec de bons résultats thérapeutiques dans la prévention de la rechute dépressive, la pleine conscience recommande de se concentrer sur le présent, d’observer pensées, émotions et sensations sans jugement et d’accueillir l'expérience telle qu'elle survient. C’est à cette pratique de méditation que se réfère l’ukrainienne Anna Korsun, qui titre sa pièce Vivrisses et tente de nous faire entendre, à la façon de l’écoute profonde (consciente et immersive) prônée par Pauline Oliveros, les changements infimes d’une musique qui, serpent lent, ondule imperceptiblement.

L’ironie absurde guide l’artiste géorgien, établi en Norvège, Koka Nikoladze (il enseigne l’électronique live à Oslo et, féru d’électromécanique, crée des Beat Machines) : dans sa Masterpiece, pour ensemble et voix synthétique, il joue avec le chiffre « 7 », que la voix répète de façon incrémentielle (« 7 », « 77 », « 777 »…) et mêle de « . », « * » ou autres interventions minimales (saluant son maître à l’entrée et à la sortie) : le tout sonne comme une comptine enfantine que l’adulte s’approprie, une construction en forme d’impasse (graphiquement plutôt en demi-triangle), dans la laquelle la harpiste manie autant la brosse (sur la colonne de l’instrument) que le sèche-cheveux ou la sirène à manivelle – c’est drôle, il y a de l’idée, et… on ne sait pas très bien qui au fond est le dindon.

Je suis plus touché par la pièce, qui donne son nom au concert, de l’italienne Francesca Verunelli (prix de l’orchestre SWR 2023), qui cible cet instant flou entre les cordes vocales et le son propagé dans l’air, ce moment où la voix devient chant, cette étape où la « voix nue » devient la voix humaine chantante : une musique, dans laquelle la soprane (Johanna Vargas) se pose au même plan que les instruments, tremblotante, fantomatique, au déplacement ininterrompu – émouvante.

Eh bien voilà

Le risque, quand on flirte avec la frontière, c’est de basculer de l’autre côté du miroir : avec son Kaja Draksler Octet, la musicienne slovène m’avait plutôt mis dans sa manche ; en duo (Czajka & Puchacz) avec le percussionniste polonais Szymon Gąsiorek, je résiste à l’envie de prendre mes jambes à mon cou – mais par politesse (ce concept vintage qui mêle respect et considération), je reste. L’une au piano (au clavier autant qu’à la mailloche dans son corps) et au synthé (ponctuellement au chant), l’autre à la batterie et aux percussions, à quoi il ajoute un chant souvent passé au vocoder ou à l’auto-tune (un logiciel de traitement vocal poussé ici vers ses effets robotiques), les deux alignent 45 minutes de bricolage sonore déstructuré où chacun joue, de son côté et sans cohérence apparente, des séquences souvent simplistes à l’esthétique indéfinissable, qui mélange sans liant et où ce qui ressort le mieux sont les passages électro-pop minimalistes à la Emilie Simon noyés par des cymbales censées chasser le candide du genre. Je sors de la manche.

Le renouvellement continu de Laure M. Hiendl

Le concert d’adieu, qui se clôture à la Baarsporthalle par la remise du prix de l’orchestre SWR (attribué cette année, à juste titre, à Philippe Leroux), est traditionnellement précédé par l’exhortation aux porteurs de valises, pressés de reprendre la route / le rail / l’air, de ne pas quitter leur chaise entre la fin de la musique et la proclamation – une demande plutôt bien suivie cette année.

Dans la première pièce, Red Thread Mermaid, à l’écoute des premières mesures de laquelle surgissent des images de dessins animés (tendance Blanche Neige et les sept nains), la croate Mirela Ivičević propose une cuisine mijotée, aux ingrédients volés dans les chansons entendues sur l’autoradio lors de ses voyages d’enfance avec ses parents en Yougoslavie alors unifiée : c’est la diversité qui prédomine, notion chère à celle, métissée, que les nationalistes désignent avec mépris comme « un plat de viande mélangée pour deux » – sympathique, mais, sur une partition, le bon sentiment ne fait pas tout.

Pour Naomi Pinnock, née dans le Yorkshire et étudiante auprès de Harrison Birtwistle au King's College de Londres, ce sont les images, citations et mots épars disposés sur le mur derrière son bureau qui font office de kick off pour sa nouvelle pièce I put lines down and wipe them away : idées des autres et idées à elle se mêlent pour former des couches non finies de substances entre deux états, un flottement dans une mer de sel, lourd et impondérable à la fois, élémentaire, fondamental, apaisant – on se surprend à avancer, yeux fermés sans précaution, en confiance.

Avec son titre à rallonge, The deepest continuity is paradoxically that which continually restarts and renews itself (qui peut se traduire par quelque chose comme « la continuité la plus profonde est paradoxalement celle qui recommence ou se renouvelle sans cesse » – une pensée qui, somme toute, vaut son nombre de mots), s’échappe, en dérive diffuse, d’un emprunt de quelques courtes mesures de la Symphonie n° 7 de Ralph Vaughan William (Laure M. Hiendl s’est fait une spécialité de l’échantillonnage, notamment de partitions) : il y a peu, mais ce n’est jamais exactement pareil (le compositeur viennois utilise avec bonheur la précision des procédés numériques), le geste est fragmenté, les perspectives changent, le surplace avance – la musique de Hiendl est scintillante.

Ça grogne, ça grince, ça jungle, ça scrunche, l’électronique (le SWR Experimentalstudio) se fait entendre dès l’entame dans la création de Hanna Hartman ; dans Advanced Weather Information Processing System, c’est l’immersion que cherche l’artiste sonore et compositrice suédoise vivant à Berlin, quitte à confronter les musiciens (le SWR Symphonieorchester dirigé par Elena Schwarz) à des façons de faire non conventionnelles (des frottements, des scratchs issus d’objets non instrumentaux, des façons inhabituelles de générer un son à partir d’un tambour, d’un violon) et à des sons transformés qui furent un temps ceux de la vie courante (la sonnerie d’un téléphone fixe qui ferme le morceau). Intéressant.

La création et le disque

Ainsi se termine un week-end prolongé (ponctué d’une bonne nouvelle : la reprise de l’édition, sur disque et en digital, cette fois par Wergo, de Schott Music, de certaines pièces de l’édition 2025) consacré à la création de musiques nouvelles – certaines voix s’élèvent, au nom de la soutenabilité : ne vaudrait-il pas mieux rejouer des pièces existantes, plutôt que dépenser (gaspiller) de l’énergie à imaginer de nouvelles partitions ? Les deux, camarades !

Donaueschingen, du 17 au 19 octobre 2025

Bernard Vincken

crédits photographiques : SWR, Astrid Karger, Ralf Brunner, Halosonore

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