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Riccardo Muti à l'occasion de son 80e anniversaire : " La vie est courte, l'art est long "

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Pour le 80e anniversaire du grand chef d'orchestre italien Riccardo Muti, Warner publie un coffret de célébration qui rassemble ses enregistrements symphoniques : l’occasion incontournable d’une conversation avec le Maestro. Notre collègue Nicola Cattò (Rédacteur en chef de Musica et Secrétaire général du Jury des International Classical Music Awards) l’a rencontré.

J'ai rencontré le Maestro Muti à la fin du mois de mai chez lui à Ravenne : après le long entretien, nous nous sommes rendus dans l'après-midi dans un charmant petit théâtre à quelques kilomètres, pour les répétitions de l'Orchestre Cherubini. Il s'agit du Teatro Socjale, inauguré il y a exactement 100 ans et construit à la demande de la coopérative locale des ouvriers agricoles. Muti qui, pendant le Festival de Ravenne, a inauguré un autre minuscule théâtre, celui de Marradi, entre l'Émilie et la Toscane, plaisante : J'avais l'habitude de diriger au Musikverein, maintenant je dirige au Piangipane ! Puis, plus sérieusement, il insiste sur l'importance de revitaliser les nombreux joyaux patrimoniaux disséminés dans toute l'Italie, en confiant leur gestion aux jeunes. Le 28 juillet, le Maestro a eu 80 ans, l'occasion de me remémorer sa longue carrière à la lumière du coffret Warner qui rassemble tous ses enregistrements symphoniques ex-EMI.

Comme cela s'est souvent produit lors de nos rencontres ces dernières années, la conversation commence très naturellement lorsque le maestro voit les couvertures des derniers numéros de notre magazine Musica : cette fois, son regard s'est posé sur Andrei Gavrilov, le protagoniste de plusieurs enregistrements du coffret Warner : les Concertos n°2, n°3 et la Rhapsodie sur un thème de Paganini de Rachmaninov et le Concerto n°1 de Tchaïkovski. C'est précisément en évoquant ce dernier enregistrement que Muti commence à parler du pianiste russe : Il est entré dans le studio, les musiciens du London Philharmonic étaient déjà sur scène, et il a immédiatement dit : Faisons un vrai Tchaïkovski, à la russe. Tout le monde était abasourdi, mais une fois qu'il s'est assis au clavier, on a immédiatement réalisé quel musicien il était ! Discutable, peut-être, mais techniquement splendide. Et des années plus tard, à Philadelphie pour nos enregistrements Rachmaninov, pour donner le “la” à l'orchestre, il a donné un énorme coup sur la touche du piano, si bien que j'ai dû descendre du podium, jouer la même note doucement et leur dire : C’est ceci que la soliste a voulu.

Pierre Boulez, pourquoi il nous manque tant 

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Cela fait déjà cinq ans que Pierre Boulez nous a quittés et, plus que jamais, il nous manque terriblement. Tant pour la justesse de sa vision, la précision de ses arguments, que pour le modèle créatif qu’il défendait : celui de la défense et de la vulgarisation d’une modernité universelle au service de l’esprit des temps contemporains. Comprendre les piliers de la modernité et en tirer la sève pour continuer à avancer. Bien sûr, Boulez pouvait se montrer parfois unilatéral ou irritant, mais une telle probité au service de l’universalisme musical semble désormais inatteignable. 

Si la médiation se veut l’alpha et l’oméga des institutions culturelles, Boulez en faisait l’axe central de son métier de musicien. Rappelons-nous le temps qu’il passait à parler aux publics, et souvent aux plus jeunes, pour leur présenter, sans démagogie, les grands chefs d'œuvre. L’auteur de ces lignes se souvient d’une soirée réservée aux moins de 30 ans où le Maestro expliquait le Sacre du Printemps au pupitre du London Symphony Orchestra devant un parterre bruxellois conquis et fasciné. Rappelons aussi son imagination quand il imposa au public de New York ses Rug Concerts : des évènements où le public bigarré et cosmopolite de New York, assis par terre (les fauteuils étaient enlevés), découvrait les grandes œuvres de Stravinsky ou de Webern et les pièces contemporaines de Crumb ou Carter mises en perspectives avec Bach, Haydn, Purcell, Mozart ou Schumann. Ces concerts drainant un public novice loin de l'académisme des soirées d’abonnements restent, plus de 60 ans plus tard, des modèles absolus ! 

Certains polémistes en mal de notoriété s’en prennent à la musique classique et lui reprochent le manque de diversités en tous genres. Boulez est encore une source d'inspiration. N'a-t-il pas associé ses propres compositions à de la musique traditionnelle d’Asie ? L’auteur de ces lignes se souvient aussi d’un concert autour des rituels qui associait, pour l’inauguration de la Cité de la Musique à Paris, un orchestre traditionnel coréen, les solistes de l'EIC et certains des meilleurs éléments du Conservatoire de Paris autour de son Rituel à la mémoire de Bruno Maderna. Et sa collaboration avec Frank Zappa n’est-elle pas un modèle et une source d’inspiration pour dépasser les frontières entre les genres et les styles ? Mais Zappa était remis en contexte et programmé aux côtés des exigeants Ives, Ruggles et Carter. 

Ludovic Morlot, inspirations Pierre Boulez 

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Ludovic Morlot sera au pupitre de l’Orchestre de Paris pour un concert dans le cadre de la Biennale Pierre Boulez et diffusé en streaming sur le net. Le chef d’orchestre dirigera un programme Debussy, Ravel et Boulez avec en tête d’affiche l’iconique Soleil des Eaux sur des poèmes de René Char. Alors que Pierre Boulez nous a quittés il y a cinq ans, Ludovic Morlot revient sur cette personnalité incontournable dont les idées et les inspirations restent des sources de réflexions et des catalyseurs de créativité . 

Pierre Boulez était une personnalité protéiforme : compositeur, chef d’orchestre, professeur, vulgarisateur, organisateur, penseur…. Que retenez-vous de lui ? 

C’est difficile de résumer tout ce qu’il nous laisse. Tout d’abord, je regrette de ne pas l’avoir connu comme je l’aurais aimé. Je l’ai croisé en backstage, mais je n’ai jamais eu de longues conversations avec lui. J'aurais souhaité le connaître plus tôt dans ma vie et avoir une relation d’élève/professeur avec lui. Ce que je retiens de lui, c’est son immense connaissance, sa culture sans frontières et la force de sa pensée. Il est une personnalité merveilleuse qui réalise l’union entre les grands compositeurs comme Stravinsky, Messiaen, Schönberg, Berg, Webern et ma génération. Tous ces compositeurs ont formé mon intérêt pour la musique orchestrale. 

Je ne suis pas amoureux de tout ce qu’il a composé. Ses partitions tardives comme Sur Incises ou Dérive 2 me séduisent particulièrement, mais je me suis replongé avec plaisir dans ses partitions de jeunesse comme le Visage Nuptial ou le Soleil des Eaux. Comme beaucoup de musiques composées dans les années 1950/1960, ces partitions sonnent de manière plus simple qu’elles sont écrites ! Plus j’étudie ces œuvres, plus j’y trouve des couleurs romantiques. Certes, Pierre Boulez détestait tout retour en arrière et on connaît son jugement sévère sur l’évolution néo-classique d’un Stravinski par exemple, mais derrière la complexité évidente de ces partitions, il y a pourtant un aspect romantique. 

Pour conclure, Pierre Boulez est une source d’inspiration pour sa curiosité et sa soif de connaissance. 

Comme ses camarades Stockhausen ou Berio, Boulez incarne la modernité avec un grand “M”, une volonté de faire table rase et de commencer un nouveau chapitre de l’Histoire de la musique. Cette modernité est-elle pour vous essentielle ?  

Ce qui est intéressant avec Boulez, Stockhausen et leurs condisciples, c’est qu’ils sont nés dans les années 1920 mais tirent un trait complet sur l’héritage de cette période. Leurs carrières de compositeurs commencent après la Seconde Guerre mondiale : une page blanche avec une nouvelle fraîcheur et donc ils incarnent une parfaite modernité. Certes Boulez était un ambassadeur exceptionnel des modernités du début du XXe siècle, mais ses partitions comme les Notations ou le Sonate n°3 sont marquées par un complet renouveau. Je suis d’avis que chaque époque a besoin d’artistes qui procèdent dans un état d’esprit de modernité, parfois plus pour créer un appétit que pour le produit final. Pensons à Stravinsky, il a essayé d’écrire de la musique sérielle, pas tant pour le produit en tant que tel que pour l’ouverture d'esprit que cela générait ! 

George Szell, comme un diamant 

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Le chef d’orchestre George Szell est décédé il y a 50 ans. Alors que Warner réédite un coffret reprenant ses enregistrements, cette partition est l’occasion de parcourir la vie de ce chef d’orchestre réputé pour son niveau d’exigence qui déboucha sur la notoriété du Cleveland Orchestra dont il fut le plus important Directeur musical. 

György Széll voit le jour à Budapest en 1897 dans une famille où la musique est présente au plus haut niveau. La légende veut qu’il développe  très rapidement des aptitudes musicales et à l’âge de 2 ans et demi, l’enfant aurait donné des petites tapes au poignet de sa mère, dès qu’il aurait entendu des fausses notes du piano joué par sa génitrice. A l’âge de neuf ans, il déménage avec ses parents à Vienne et il commence à suivre des cours. Parmi ses professeurs, on note les noms des compositeurs Max Reger et Eusebius Mandyczewski, un ami de Brahms, ainsi que du pianiste Richard Robert, disciple de Bruckner, qui fut l’enseignant de Rudolf Serkin et Clara Haskil. Le jeune Szell est un enfant prodige qui met Vienne à ses pieds et, à l’âge de onze ans, il entreprend un tour d’Europe. La presse anglaise en pâmoison le qualifie de « nouveau Mozart ». Il joue des pièces du répertoire mais aussi ses propres compositions. Pour ses quatorze ans, la prestigieuse maison d’édition Universal de Vienne lui offre un contrat d’exclusivité de 10 ans. A seize ans, il dirige déjà des orchestres et un an plus tard, il est invité à monter au pupitre du Philharmonique de Berlin. Il se fait remarquer par Richard Strauss, qui est stupéfait par la maîtrise de l’adolescent ! Jugez du peu : Szell dirige lors de concert berlinois le poème symphonique Till L’espiègle du compositeur allemand. Si l’oeuvre est désormais un classique, elle était en 1914 une redoutable partition de musique contemporaine et un défi technique pour le chef et l’orchestre. Strauss prend alors George Szell sous son aile et le fait engager à l’Opéra Royal de la Cour de Berlin comme répétiteur, puis assistant. La confiance de Strauss est telle qu’il lui confie les répétitions en vue du premier enregistrement mondial de son poème symphonique Don Juan ! Lors de la session, Strauss est en retard et le jeune chef se retrouve à diriger la première partie de l’enregistrement de l'œuvre. Strauss s’étant rendormi, il arrive au studio avec une heure de retard. Du fait de la technique d'enregistrement d’alors, il est impossible de graver à nouveau, mais Strauss est si satisfait du résultat qu’il accepte que ce demi enregistrement lui soit crédité. La technique de bâton du grand compositeur ainsi que son sens de la clarté dans la gestion de la masse orchestrale et des phrasés eurent une influence sur les conceptions musicales de George Szell. Strauss resta, tout au long de sa vie, attentif à la carrière de son protégé. 

Anton Bruckner, les symphonies (n°7 à n°9) : analyse et orientations discographiques 

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Suite et fin de la publication de l’article rédigé par Harry Halbreich en 1996 sur les Symphonies de Bruckner (lire ici et ici les deux précédents textes). Cette dernière étape est consacrée aux Symphonies n°7 à n°9. Si le texte d’analyse est publié tel quel, la discographie des symphonies de Bruckner, qui s’est particulièrement développée au cours des 30 dernières années, a été actualisée par Bertrand Balmitgere et Christophe Steyne sous la coordination de Pierre-Jean Tribot.

Symphonie n°7 en mi majeur

Ce fut la Septième Symphonie qui apporta enfin la consécration internationale au compositeur sexagénaire à la suite de sa sensationnelle création à Leipzig sous la direction d'Artur Nikisch, suivie de celle de Hermann Levi à Munich. La Septième demeure avec la Quatrième la plus populaire de la série. D'une inspiration sereine, rayonnante et lumineuse, elle conquiert l'auditeur dès l'envolée prodigieuse de son thème initial, et ne cessera de le captiver grâce à une forme particulièrement claire et à des profils mélodiques mémorables. Le grandiose et émouvant Adagio culmine en une bouleversante musique funèbre des cuivres graves, à la mémoire de Wagner qui venait de mourir. Succédant à un Scherzo dont le thème très original est un cri de coq stylisé, le Finale est plus bref et moins monumental que ceux des autres Symphonies, ce qui facilite peut-être l'accès de l'oeuvre en général, mais crée un certain déséquilibre entre les deux premiers mouvements et les deux derniers. Bruckner avait primitivement prévu le Scherzo en deuxième position, et cette succession créerait certes un équilibre meilleur. Composée de 1881 à 1883, la Septième ne fut jamais remaniée, et la seule controverse textuelle qu'elle présente est le fameux coup de cymbales au sommet de l'Adagio, rajouté après coup, puis supprimé, puis remis... La très grande majorité des chefs l'adoptent, à juste titre à mon avis. Discographie pléthorique, avec maintes versions sublimes : Wilhelm Furtwängler (DGG), Karl Böhm (DGG) , Eugen Jochum à Dresde (Warner), Herbert von Karajan à Vienne (DGG), Daniel Barenboim à Berlin (Teldec), Giuseppe Sinopoli à Dresde (DGG), Carlo Maria Giulini à Vienne (DGG).

Ralph van Raat, pianiste sans frontières 

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Le pianiste Ralph van Raat construit une discographie essentielle dans son exploration des répertoires de notre temps. Pour Naxos, il publie un nouvel album centré sur des oeuvres rares de Boulez, Debussy, Messiaen et Ravel. Cet album est important car il propose en première mondiale une oeuvre de jeunesse de Pierre Boulez : Prélude, Toccata et Scherzo. Ralph van Raat nous entretient de la place de cette oeuvre dans l’univers de Pierre Boulez tout en nous présentant sa vision de la musique. 

Votre nouvel album s'intitule “raretés française pour piano”. Pourquoi avez-vous décidé de réunir Boulez, Debussy, Messiaen et Ravel sur un même enregistrement ?

La musique française en général m'a toujours séduit -Debussy et Ravel que j'ai connus vers l'âge de dix ans, et Messiaen et Boulez quelques années plus tard. C'est la musique que j'ai écoutée tout au long de mon adolescence -au lycée, Boulez me fascinait par son énergie et, parfois, par sa crudité ; Messiaen par son monde harmonique de couleurs, et Debussy et Ravel que je considérais à l'époque comme une étape parfaite entre la musique classique que je jouais, et le jazz, de Bill Evans par exemple, que j'écoutais aussi beaucoup. Certaines des pièces de l'album que j'ai toujours eu en tête d'enregistrer, mais pour lesquelles je n'ai pas trouvé de contexte approprié car elles sont "hors du répertoire principal" du compositeur. Comme j'ai fait des recherches sur le Prélude, Toccata et Scherzo de Boulez et qu'il semblait y avoir un intérêt pour un enregistrement, j'ai eu une bonne occasion de faire un album d'une collection de ces pièces. 

Pierre Boulez....moine et missionnaire

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En contrepoint à notre interview du pianiste Ralph van Raat qui propose une première mondiale au disque d'une oeuvre de Pierre Boulez, nous vous proposons de relire intégralement l'entretien que le compositeur/chef d'orchestre avait accordé, en 2000, à Crescendo Magazine. Alors qu'il préparait la tournée de ses 75 ans avec le London Symphony Orchestra, il avait reçu Bernadette Beyne, co-fondatrice de Crescendo Magazine dans son bureau de l'IRCAM.

Vous venez d'enregistrer la 8e Symphonie de Bruckner, un compositeur auquel vous ne sembliez pas attaché… Pourquoi Bruckner… peut-être Sibélius? 

Un représentant de la Philharmonie de Vienne m'a dit un jour: "Vous n'avez jamais dirigé Bruckner. Pourquoi?". Bruckner ne faisait pas partie de mon éducation. Vous allez apprécier cet humour volontaire ou involontaire, mais les partitions de Bruckner, je les ai, complètes. Et savez-vous où je les ai achetées? A Darmstadt, pendant les cours d'été; c'est vous dire que cela remonte loin: je n'ai plus remis les pieds à Darmstadt depuis 1965! A la suite de quoi je les ai achetées? Probablement à la suite d'une conférence ou d'une conversation avec Adorno. En tout cas, j'en avais pris connaissance à cette époque mais je ne les ai jamais dirigées. Quand les musiciens de l'Orchestre de Vienne m'ont demandé pourquoi je ne les dirigeais pas, je me suis dit: "pourquoi pas"? Ca m'intéressait comme cela m'avait intéressé de diriger Parsifal quand Wieland Wagner me l'avait demandé en 1965. Il était encore plus incongru de diriger Wagner à cette époque que Bruckner aujourd'hui, des univers qui ne m'ont pas été familiers durant mon éducation. Je me souviens que Messiaen n'a jamais analysé une seule note de Bruckner; c'est le seul compositeur à propos duquel je l'ai vu sarcastique, lui qui, en général était d'une grande bonté. Un jour, il m'a dit: "ah! Bruckner, il n'y a que des ponts". Traduisez: "côté développements, il n'a pas beaucoup d'idées". C'était un espèce de préjugé français dont je me suis aujourd'hui débarrassé.

Sibélius, c'est autre chose. Il y a beaucoup de choses qui ne me passionnent pas chez Sibélius. J'ai parlé avec le manager du London Symphony et il a été question de la 7e Symphonie. Mais rien n'est encore sûr. J'ai entendu de superbes interprétations de Sibélius par George Szell avec l'Orchestre de Cleveland lorsque je partageais avec lui une tournée au Japon. C'était en 1967. Il y dirigeait la 4e. Si je m'aiguillais là-dessus, c'est quand même la 7e qui m'intéresserait davantage. 

Le pianiste Ralph van Raat propose des raretés françaises et une première boulézienne 

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Claude Debussy (1862-1918): Études retrouvées, Les Soirs illuminés par l’ardeur du charbon ; Olivier Messiaen (1908-1992) : Morceau de lecture à vue, Des canyons aux étoiles (extraits), La fauvette passerinette ; Pierre Boulez (1925-2016) : Prélude, Toccata et Scherzo, les 12 Notations, Une page d’éphéméride ; Maurice Ravel (1875-1937) : Menuet en ut dièse mineur. Ralph van Raat, piano. 2018-Livret en : allemand, anglais et français-77’41’’. Naxos. 8.573894

Une Lakmé pour l’éternité, Mady Mesplé 

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En l’espace de dix-sept jours disparaissent deux des figures emblématiques du chant français, Gabriel Bacquier le 13 mai, Mady Mesplé, le 30. Comment oublier cette voix de soprano léger qui vous envoûtait par une seule phrase, Où va la jeune Hindoue, fille des parias ? ouvrant l’Air des clochettes de ‘Lakmé’, avec cette fraîcheur affectueuse et ce charme subtil et souriant qui s’ajoutaient à la pureté du timbre, à la justesse de l’intonation et à la facilité de l’aigu ? Et dire que trois ou quatre carrières se sont succédé dans un parcours artistique témoignant de l’indomptable énergie d’une chanteuse qui a osé défendre autant la création contemporaine que le récital ou les apparitions à la télévision destinées à rapprocher le spectateur lambda d’un répertoire lyrique jugé hermétique .

Née à Toulouse le 7 mars 1931, fille de parents d’un milieu modeste qui s’étaient rencontrés dans une chorale, la petite Magdeleine prend des cours de solfège dès sa plus tendre enfance, chante à longueur de journée depuis qu’elle a entendu une représentation de Faust au Capitole et, par une dérogation au règlement, réussit à entrer au Conservatoire de Toulouse à l’âge de… sept ans et demi dans les classes de piano et d’accompagnement, ce qui lui vaudra rapidement un premier prix. Mais comme la famille n’a pas les moyens de l’envoyer à Paris afin de poursuivre ses études au Conservatoire National Supérieur, elle joue du piano dans les bals populaires, les cabarets, tout en servant régulièrement d’accompagnatrice à un jeune violoniste, Christian Ferras. A dix-huit ans, elle réintègre l’école de musique toulousaine pour se glisser dans la classe de chant de Madame Izar Lasson, l’épouse de Louis Izar, le directeur du Capitole qui, rapidement, l’envoie auditionner à Liège avec l’Air des clochettes. Aussitôt engagée pour la saison 1952-53, elle travaille le rôle de Lakmé avec Georges Prêtre, en poste à Toulouse, débute à l’Opéra Royal de Wallonie au début 1953 dans cette incarnation qui remporte un succès considérable et qui lui permet, durant trois saisons, d’aborder Gilda, Rosina, Philine de Mignon et la rare Dinorah de Meyerbeer. Sous contrat en tant qu’invitée par La Monnaie de Bruxelles pour la saison 1955-56, elle y ébauche une première Lucia di Lammermoor, une première Reine de la Nuit. Mais son collègue de troupe, Gabriel Bacquier, lui conseille de se faire entendre en France.

Partitions chez Universal Edition Wien 

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La moisson de nouveautés d’Universal Edition Wien est des plus riches, avec de belles premières variées et passionnantes. 

Kurt Weill, Der neue Orpheus, Universal Edition, UE 36 506, ISNM : 979-0-008-08743-1

Composée en 1025, la cantate Der neue Orpheus pour soprano, violon solo et petit orchestre est une oeuvre qui témoigne de la créativité foisonnante de ce compositeur. On y découvre un alliage personnel d’influences d’opéra et de chanson, sans oublier les réminiscences populaires. Cette belle oeuvre fait son entrée dans la collection des partitions d’étude de la maison d’édition viennoise. 

Les improbables du classique : Luciano Berio et les Beatles 

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La musique est parfois le témoin de rencontres improbables entre deux univers à la base complètement différents. On peine ainsi à imaginer Jay Z se rendre à un concert de Mason Bates ou Adèle se passionner pour la musique Pierre Slinckx. Mais dans les années 1960, une avant-garde musicale des plus radicales, portée par Pierre Boulez, Karlheinz Stockhausen, Luciano Berio ou Henri Pousseur, jeunes enragés de la composition qui veulent faire table rase du passé et des stars de la pop en recherche de nouvelles sonorités s'attirent mutuellement.

Nous évoquerons ici la rencontre bien réelle de Luciano Berio avec Paul McCartney et les Beatles qui déboucha sur l’arrangement par le compositeur de trois chansons du célèbre groupe anglais. 

Rencontre avec le compositeur-chef d’orchestre Peter Eötvös,

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Le 4 octobre dernier, Peter Eötvös marqua les esprits du public de Flagey lors d’une soirée exceptionnelle au cours de laquelle il dirigea avec brio Barbe-Bleue de Béla Bartók, ainsi qu’un opéra de sa propre plume, Senza Sangue. Nous renvoyons nos lecteurs à la chronique de ce concert, que nous n’avons bien entendu pas manqué de relayer sur ce site.

Le 3 octobre, cette figure incontournable de la musique des XXe et XXIe siècles nous a fait l’honneur d’une rencontre à son hôtel à Bruxelles. Nous avons été frappé par la simplicité et l’amabilité du personnage qui, avant que débute l’interview, relata brièvement l’agréable soirée qu’il avait passée la veille au Chou de Bruxelles. Il y avait invité les chanteurs. 

Compositeur, chef d’orchestre et pédagogue hongrois, Peter Eötvös est né en 1944 en Transylvanie. De 1968 à 1976, il dirigea fréquemment le Stockhausen Ensemble. En 1978, Pierre Boulez l’invite à reprendre la direction musicale de l’Ensemble Intercontemporain, qu’il délaisse en 1991, date à laquelle il fonde l’International Eötvös Institute qui, comme la Eötvös Contemporary Music Foundation créée en 2004, se consacre à former les jeunes chefs et compositeurs. Le compositeur allemand Helmut Lachemann a salué en lui "l’un des rares esprits absolument indépendants" du monde musical occidental; "l’un des rares parce qu’indépendant aussi de lui-même. Car malgré toute la rigueur et la discipline perceptibles derrière son imagination sonore unique de même que derrière son humanité souveraine, lui et son art vivent d’un étonnement toujours prêts à l’aventure".

Joseph Moog, face à Liszt 

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Le pianiste Joseph Moog, Prix « Jeune Artiste » des ICMA 2012, marque les esprits avec un parcours discographique et des choix de répertoire qui explorent de nombreux territoires -parfois rares- du répertoire, tant en récital qu’avec orchestre. Il sort ce mois-ci un enregistrement consacré à des pièces de Franz Liszt, partitions majeures de l’Histoire de la musique et du répertoire pianistique. 

Votre nouveau disque est entièrement axé sur Liszt ? Pourquoi avez-vous choisi ce compositeur ? 

Franz Liszt est un artiste et une personnalité diverse et complète que j’ai toujours profondément admirés. Regardez l'ensemble de son travail, le développement de son langage musical, les centaines d'étudiants qu'il a inspirés, sa riche vie personnelle et les nombreuses lettres qu'il nous a laissées ! 

Depuis mon enfance, j'essaie de comprendre ce phénomène. Plus je m'occupais de sa musique et de sa vie, plus je voyais clairement qu'il était poussé par une quête de toute une vie et cela expliquait les énormes contrastes qui entouraient cet artiste. De sa vie dévolue à son ordination d'abbé, du romantisme à l'Impressionnisme, de la sensualité à la spiritualité, tout est né de cette quête de réponses aux grandes questions de la vie.

Inspiré par le Zeitgeist (« l’Esprit du temps »), Goethe et Dante, il tente de mettre en musique la coexistence de la lumière et des ténèbres, du Yin et du Yang, bon ou mauvais. Liszt est tellement de choses mais, très certainement, il était un vrai philosophe illustrant la symbiose des contrastes de sa vie. C'est ce qui fait la vitalité de son art jusqu'à ce jour et c'est ce que j'ai essayé de dépeindre avec mon nouvel album.

Rencontre avec Kaija Saariaho et Jean-Baptiste Barrière

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27 mai 2019, Maison des Musiques à Bruxelles. Le pluriel est de mise. Ce n’est, en effet, pas un, mais deux compositeurs que je m’apprête à rencontrer. Figure de proue de la musique spectrale depuis le milieu des années 1980, elle est sans doute la compositrice la plus en vue actuellement sur la scène internationale. Lui règne en maître sur le monde esthétique des « concerts visuels ». L’Histoire de la musique offre peu d’exemples de couples de compositeurs dont l’art et les talents s’épanouissent de manière harmonieuse au contact l’un de l’autre. Mais eux font exception.

Kaija Saariaho est née en 1952. Enfant, déjà, la musique se bousculait dans sa tête. Pensant qu’elle sortait de son oreiller, elle demandait à sa mère de l’éteindre. De 1976 à 1981, elle étudie la composition avec Paavo Heininen -un ancien élève de Bernt Aloïs Zimmermann- à l’Académie Sibelius d’Helsinki. Dès 1977, elle fonde « Korvat auki » (« Ouvrez vos oreilles ») avec Magnus Lindberg, Jouni Kaipainen, Esa-Pekka Salonen et d’autres compositeurs, musiciens et musicologues finlandais, en vue de jouer et rendre publique leur propre musique, mais aussi d’ouvrir la Finlande aux avant-gardes musicales et européennes et de contrer le conservatisme ambiant de la vie musicale finlandaise à cette époque. En 1980, elle suit les cours d’été de Darmstadt où elle rencontre Tristan Murail et Gérard Grisey et connaît sa première expérience de la musique spectrale. En 1981, elle s’installe à Paris. De 1981 à 1983, elle étudie la composition auprès de Klaus Huber et de Brian Ferneyhough à la Musikhochschule de Fribourg-en-Brisgau.

Jean-Baptiste Barrière est né en 1958 à Paris. Il étudie la musique, la philosophie et la logique. De 1981 à 1998, il occupe différentes fonctions en qualité de chercheur et de compositeur à l’Ircam. Il y assiste, entre autres, Morton Subotnick, Gérard Grisey, Jonathan Harvey et Harrison Birtwistle dans la réalisation de leurs œuvres. En janvier 1982, alors qu’il est responsable d’un stage d’Informatique musicale, il accueille dans sa classe Kaija Saariaho. Ils se marient deux ans plus tard. Depuis 1998, Barrière se consacre à sa pratique artistique, principalement centrée sur les interactions entre musique et image, et réalise des « concerts visuels » autour de sa propre musique et des œuvres de son épouse -il a notamment imaginé et réalisé la partie visuelle de l’opéra L’Amour de loin présenté à Berlin et au Théâtre du Châtelet en mars 2006. Il conçoit également des montages visuels pour L’Enfant et les Sortilèges de Ravel (Orchestre Symphonique de Montréal, dir. Kent Nagano), Saint François d’Assise de Messiaen (Orchestre Philharmonique de Radio France, dir. Myung Whun Chung) et Wozzek de Berg (Royal Festival Hall de Londres, Philharmonia Orchestra, dir. Esa-Pekka Salonen). On lui doit également le CD-Rom Prisma, consacré à l’univers musical de sa femme (lauréat en 2000 du Grand Prix Multimédia de l’Académie Charles Cros).

Kaija Saariaho et Jean-Baptiste Barrière nous ont donc reçu, avec une extrême amabilité, le 27 mars dernier, suite à la parution chez Cypres du très beau coffret Ekstatis – commenté par ailleurs sur ce site.

Hommage au chef d'orchestre Michael Gielen

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Le chef d’orchestre Michael Gielen est décédé à l’âge de 91 ans, Crescendo Magazine revient sur le parcours de ce chef d’orchestre et compositeur qui aura marqué son temps par la rigueur de son art et de son engagement dans la défense de toutes les modernités. Michael Gielen fut également, entre 1969 et 1973, directeur de l’Orchestre national de Belgique, mandat sur lequel nous revenons dans le cadre de cet hommage.

  • Premiers succès   

Michael Gielen voit le jour à Dresde en 1927. Il baigne dans le monde des arts dès son enfance avec un père metteur en scène et sa mère une actrice qui avait cessé sa carrière pour s’occuper de sa famille mais qui avait participé à la création à Dresde du Pierrot lunaire de Schöenberg. Son père Josef Gielen est réputé et collabore avec de grandes maisons d’opéras et de théâtre. Prise dans le tourbillon de la tragédie nazie, la famille s’exile, en 1940, en Argentine. Invité à mettre en scène au Teatro Colón, il peut obtenir des papiers d’immigration pour sa famille. De nombreux artistes allemands comme son oncle le pianiste Eduard Steuermann et les chefs Fritz Busch et Erich Kleiber se sont alors réfugiés en Argentine permettant au jeune homme d’évoluer dans un milieu intellectuel stimulant. Michael Gielen fait ses premières armes de musicien professionnel au Teatro Colón comme pianiste répétiteur. Il accompagne même les récitatifs d’une Passion selon Saint-Matthieu de Bach dirigée par Wilhelm Fürtwangler ! Mais déjà défenseur de la modernité : il donne, en 1949, la première en Argentine des oeuvres pour piano d’Arnold Schöenberg. Gielen commence également à composer, fortement influencé par le style de la Seconde école de Vienne, esthétique à laquelle il restera fidèle.

Les nouveautés d’automne d’Universal Edition Wien

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Universal Edition de Vienne annonce une rentrée en fanfare. Les amateurs de musique de notre temps peuvent retrouver Dérive 2 de Pierre Boulez pour 11 instruments. Dédiée à Elliott Carter à l’occasion de ses 80 ans, la partition, ici présentée en format d’étude, ravira autant les chefs que les collectionneurs. Pierre Boulez : Dérive 2. UE 37 135 Partition d’étude.