A la Scala, la découverte de la version originale de Madame Butterfly

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Pour son ouverture de saison, la Scala de Milan décide de présenter la toute première mouture d’une Butterfly en deux actes qui connut un fiasco total lors de sa création sur cette même scène le 17 février 1904 sous la direction de Cleofonte Campanini avec Rosina Storchio dans le rôle-titre. La seconde version (en trois actes) donnée à Brescia trois mois plus tard, le 28 mai 1904, obtint un triomphe ; et dès ce moment-là, Giacomo Puccini reprit son ouvrage en lui faisant subir nombre de modifications pour une reprise à Milan la même année, pour la première anglaise en juillet 1905, pour Palerme et pour la première production parisienne en 1906 ; et finalement pour les représentations de janvier 1920 au Teatro Carcano de Milan, il réouvrit nombre de coupures. Reconstruire l’original signifie réintroduire 1100 mesures amenant le premier acte à une durée de soixante-cinq minutes, le second à septante-cinq minutes. Ainsi, la cérémonie nuptiale est largement développée, avec notamment une brève romance de Yakusidé, l’oncle ivrogne, qui apporte une note de légèreté avant l’intervention inopinée du Bonze. Face à ce rituel, le cynisme de Pinkerton est aussi évident que sa couardise, tandis que Kate, l’épouse américaine, acquiert une véritable épaisseur dramatique par un long dialogue avec Cio-Cio-San à propos de l’éducation à donner à l’enfant. Notons incidemment que disparaît la romanza « Addio fiorito asil », ajoutée ultérieurement et donnant l’impression d’un sentimentalisme hors de propos. Et ce premier point constitue la carte maîtresse de cette exhumation magnifiée par la direction fiévreuse de Riccardo Chailly à la tête des chœurs et orchestre milanais.
Quant à la mise en scène d’Alvis Hermanis, elle est largement tributaire du théâtre kabuki où chaque mouvement, chaque intention sont motivés psychologiquement. Sous de somptueux costumes imaginés par Kristine Jurjane et de judicieux éclairages conçus par Gleb Filshtinsky, tout soliste, choriste ou danseur devient une œuvre d’art en mouvement. Douze ballerines-geishas font cortège à la protagoniste, à la fois chanteuse et danseuse. Le décor dû au régisseur n’est qu’une succession de paravents en papier de riz sur trois niveaux où sont projetées de délicates aquarelles. Le début du deuxième acte fait sourire : Cio-Cio-San en crinoline victorienne noire s’escrime contre une machine à coudre face à une image de la Madone, alors que Suzuki se glisse furtivement dans le coin d’un canapé où Sharpless sirote un whisky. Tout bascule au dénouement quand la scène de harakiri devient une véritable liturgie en présence des compagnes de l’infortunée qui arborent le blanc du deuil.
Victime d’un refroidissement lors de cette troisième représentation, Maria José Siri assume néanmoins le rôle de Cio-Cio-San dans lequel elle s’investit totalement pour en dégager la tragique grandeur. En a-t-elle la voix ? Certes, l’aigu est solide, mais le bas medium manque de consistance, l’ampleur du phrasé qui, autrefois, marquait la suprématie d’une Tebaldi, totalement absente ; et le timbre n’est que de piètre qualité. Le public milanais fait aussi grise mine à celui du ténor américain Bryan Hymel, Pinkerton dont il voudrait un coloris beaucoup plus solaire, même si l’artiste travaille sur l’expressivité de la diction ; cette qualité s’applique également au Sharpless plutôt monochrome de Carlos Alvarez. Réduit à l’état d’un prétendant fantoche, le Yamadori de Costantino Finucci n’a rien de princier, surtout lorsqu’il est molesté par le Goro cynique de Carlo Bosi. Fonctionnels, la Suzuki d’Annalisa Stroppa, l’Oncle Bonze d’Abramo Rosalen, tandis que Nicole Brandolino dessine une Kate Pinkerton compatissante, Leonardo Galeazzi, un Yakusidé gaillard touchant. Et c’est donc pour l’intérêt de la découverte que cette ouverture de saison mérite attention.
Paul-André Demierre
Milan, Teatro alla Scala, 13 décembre 2016                                                  

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