Avec cet opéra populaire, en ce lieu-là, l’opéra est populaire : Carmen à Orange

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Quel bonheur de se retrouver une fois encore au milieu des sept mille, oui, vous avez bien lu, sept mille spectateurs des Chorégies d’Orange. 

Chaque année, c’est la même fête, la même effervescence populaire, avec dans les rues, des files de spectateurs qui convergent vers l’extraordinaire Théâtre antique. C’est un public joliment hétérogène -on vient en famille, on vient avec des amis, on vient depuis toujours (et pour certains, c’est manifestement un défi au temps qui passe : « j’y suis encore allé ! »), on vient pour la première fois. 

Pourquoi sont-ils si nombreux, si heureux d’être là ? C’est qu’on leur propose, année après année, des œuvres qui ne cessent de ravir, d’enchanter. Le Wozzeck de la veille à Aix n’y aurait pas sa place. Non, ici, il s’agit d’un opéra aux airs immédiatement reconnaissables (mon voisin de la rangée d’en-dessous se tournait avec un grand sourire vers sa femme au début de chacun d’eux), aux péripéties (mélo)dramatiques ou drolatiques (L’Elixir d’amour de l’été dernier). Oui, à Orange, l’opéra est populaire.

De plus, au programme 2023, Carmen, l’opéra sans doute le plus populaire : plus de 180 productions all over the world cette saison ! Avec évidemment tous les ingrédients nécessaires : cette gitane si éprise de sa liberté, rendant fou d’amour un pauvre garçon qui en deviendra son meurtrier. Des airs qu’on n’oublie pas une fois qu’on les a entendus, une atmosphère espagnolisante plus que typée. 

Carmen encore, me direz-vous. Eh bien oui, parce qu’il y a le bonheur justement de retrouver ses airs dès leur première note ou même de les attendre. Et aussi parce qu’il y a la surprise de découvrir ses nouveaux interprètes.

A Orange, il y a eu de quoi se réjouir. 

Avec la cheffe d’abord, Clelia Cafiero, une toute jeune cheffe encore au début de la trentaine, pianiste accomplie également. Le hasard du placement m’avait mis en situation de bien la voir face à son orchestre. Quelle précision dans la direction, mais une précision encourageante dans le langage corporel et les expressions du visage. Une façon de diriger qui manifestement stimule ce bel instrument qu’est l’Orchestre National de Lyon.

Se réjouir avec la mise en scène : Jean-Louis Grinda l’a conçue « couleur locale » sans excès. Dans les vêtements, dans quelques vidéos de corrida notamment à la fin de l’œuvre. Un grand dispositif en pointe de Rudy Sabounghi, que l’on ouvre et referme, donne à imaginer aisément les différents lieux de l’action. Les entrées et sorties, les mises en place des protagonistes et des chœurs imposants sont très significatives de ce qui se joue dans les cœurs et se traduit dans les corps. Une idée pertinente : celle des interventions d’une danseuse de flamenco -Irène Olvera, dont les pas sont plus qu’illustratifs : cette danse libérée finit par être une danse de la mort, en parallèle de celle de l’héroïne.

Se réjouir avec les solistes évidemment. Marie-Nicole Lemieux « est » Carmen. Certains s’en étonneront : elle a elle-même anticipé leurs réactions. Ecoutons-la dans une interview récemment parue dans le journal « Le Midi Libre » : « Avec mon physique, je ne pensais pas a priori m'exprimer à travers le rôle de Carmen. Mais au fur et à mesure, avec l'amour que je porte à cette musique, a grandi l'idée que je pouvais traduire tout ce que cette femme possède, l'humour, l'envie de jouir et de danser, son sens de la liberté. Carmen m’a appris à m'assumer, et cette Carmen-là, je veux la vivre. Je crois que cette Carmen va faire du bien aux femmes ». C’est exactement ce qu’elle a réussi à Orange. Oui, elle est Carmen grâce à son chant évidemment, grâce à cette voix qui, au-delà des notes de Bizet, exprime dans ses modalités le personnage, « enfant de bohème, oiseau rebelle ». Elle en a l’énergie, corps et esprit. Il fallait la voir danser ! De la même façon, Jean-François Borras a incarné, voix et jeu, ce Don José inexorablement subjugué, tiraillé entre son devoir et son désir. Ildebrando d’Arcangelo a conféré à Escamillo, le matador rival, toute sa juste suffisance. Alexandra Marcellier, qui était tout récemment Blanche de la Force dans Dialogues des Carmélites à Liège, était cette fois la douce Micaëla. Lionel Lhote, il y a peu Hamlet à Liège et Henri VIII à La Monnaie, s’est fait remarquer en Dancaïre. Charlotte Despaux-Frasquita et Eléonore Pancrazi-Mercédes étaient les deux piquantes et prévenantes complices de Carmen. Luc Bertin-Hugault-Zuniga, Pierre Doyen-Moralès, Jean Miannay-Le Remendado et Frank T’Hézan-Lillas Pastia assuraient eux aussi leur belle part à cette « tragédie de Carmen », ainsi que l’avait qualifiée Peter Brook.

Stéphane Gilbart

Chorégies d’Orange, le 8 juillet 2023 

Crédits photographiques : C.Gromelle

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