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Avec cet opéra populaire, en ce lieu-là, l’opéra est populaire : Carmen à Orange

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Quel bonheur de se retrouver une fois encore au milieu des sept mille, oui, vous avez bien lu, sept mille spectateurs des Chorégies d’Orange. 

Chaque année, c’est la même fête, la même effervescence populaire, avec dans les rues, des files de spectateurs qui convergent vers l’extraordinaire Théâtre antique. C’est un public joliment hétérogène -on vient en famille, on vient avec des amis, on vient depuis toujours (et pour certains, c’est manifestement un défi au temps qui passe : « j’y suis encore allé ! »), on vient pour la première fois. 

Pourquoi sont-ils si nombreux, si heureux d’être là ? C’est qu’on leur propose, année après année, des œuvres qui ne cessent de ravir, d’enchanter. Le Wozzeck de la veille à Aix n’y aurait pas sa place. Non, ici, il s’agit d’un opéra aux airs immédiatement reconnaissables (mon voisin de la rangée d’en-dessous se tournait avec un grand sourire vers sa femme au début de chacun d’eux), aux péripéties (mélo)dramatiques ou drolatiques (L’Elixir d’amour de l’été dernier). Oui, à Orange, l’opéra est populaire.

De plus, au programme 2023, Carmen, l’opéra sans doute le plus populaire : plus de 180 productions all over the world cette saison ! Avec évidemment tous les ingrédients nécessaires : cette gitane si éprise de sa liberté, rendant fou d’amour un pauvre garçon qui en deviendra son meurtrier. Des airs qu’on n’oublie pas une fois qu’on les a entendus, une atmosphère espagnolisante plus que typée. 

Carmen encore, me direz-vous. Eh bien oui, parce qu’il y a le bonheur justement de retrouver ses airs dès leur première note ou même de les attendre. Et aussi parce qu’il y a la surprise de découvrir ses nouveaux interprètes.

A Lausanne, une Norma surprenante  

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Pour achever sa saison 2022-2023, l’Opéra de Lausanne affiche Norma, le chef-d’œuvre de Vincenzo Bellini. Son directeur, Eric Vigié, en confie la production à Stefano Poda qui assume à la fois mise en scène, décors, costumes, lumières et chorégraphie en collaborant avec Paolo Giani Cei. Pour une Note d’intention figurant dans le programme, il écrit : « Norma est le monde du rêve et du cauchemar, de l’inconscient, de l’esprit. C’est l’occasion parfaite pour épurer ma mise en scène, pour offrir aux spectateurs un véritable instrument optique qui ne montre pas forcément la vie des Gaules et des Romains, mais aussi le monde interne de chacun de nous ».

A l’instar de ses précédentes relectures des Contes d’Hoffmann et d’Alcina, Stefano Poda délimite l’espace scénique par de vastes parois vitrées permettant les jeux subtils d’éclairage, alors que descend des cintres un gigantesque peuplier porteur du gui sacré dont les racines énormes semblent vouloir écraser le peuple gaulois engoncé dans de blanches houppelandes et les quelques uniformes noirs portés par le proconsul romain Pollione et ses hommes de main. Tandis qu’apparaît un immense disque lunaire élevé par de mystérieuses mains, Norma, vêtue de rouge vif, officie en déroulant le sublime « Casta diva » puis s’immerge dans le souvenir des jours heureux au moment où, dans un « Ah bello, a me ritorna » suggéré par le rêve, lui apparaît Pollione auquel elle s’unit avec une dévorante passion. Le second tableau présente une Adalgisa drapée de noir, considérant une maquette du Panthéon qui s’agrandira en arrière-plan quand la rejoindra le consul imposant la toute-puissance romaine. Des entrailles de la terre surgiront, en un cube exigu, les deux enfants nés de l’union de la grande-prêtresse et du parjure, vivant dans un monde clos et jouant au lego avec les lettres de toutes tailles composant le nom NORMA. Mais que leur constante agitation devient dérangeante durant le magnifique « Mira, o Norma » où ils édifient les mots AMOR et ROMA ! Un gong lumineux déclenchera l’incitation à exterminer l’envahisseur, tandis que le sang inondera les vitres. Le dénouement laissera en coulisse le bûcher sacrificiel mais fera émerger la sphère bleue de la rédemption vers laquelle s’achemineront les deux amants purifiés, tenant par la main leurs deux fils.

 

A Lausanne, une éblouissante Semiramide 

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En ce mois de février 2022, l’Opéra de Lausanne présente pour deux soirs la dernière opera seria de Rossini, Semiramide, qui fêtera son bicentenaire l’an prochain, puisqu’elle a été créée au Teatro La Fenice de Venise le 3 février 1823. Monumental par ses dimensions puisqu’il comprend quarante numéros avec une introduction de 700 mesures, des récitatifs accompagnés par l’orchestre, six arie, quatre duetti et deux concertati (grands ensembles) pour les finals, l’ouvrage exhibe une vocalità poussée à son paroxysme et prouve que Rossini avait une conception baroque du théâtre lyrique avec un total désintérêt pour l’action proprement dite. 

Il est vrai que le libretto de Gaetano Rossi d’après la Sémiramis de Voltaire datant de 1748 accumule les poncifs : la Reine de Babylone, Semiramide, a comploté avec Assur, Prince assyrien, pour faire assassiner le Roi Ninus, son époux, en lui promettant le trône et sa main. Mais éprise d’Arsace, le chef de ses armées, elle fait volte-face en lui octroyant sceptre et anneau conjugal, ce qui provoque l’apparition du spectre du monarque défunt proclamant qu’Arsace règnera après avoir immolé une victime. Par Oroès, le grand-prêtre, le jeune homme apprendra qu’il est le fils de Ninus et de Semiramide. Tandis qu’Assur perd la raison, il se rendra dans la tombe royale, transpercera un corps sans le voir, et découvrira, horrifié, qu’il a tué sa mère. Mais Oroès s’empressera de lui faire ceindre la couronne.