« La Traviata » de Nancy, une focalisation vers l’épure 

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Pour finir sa saison 2022-23, l’opéra de Nancy reprend la Traviata dans la mise en scène de Jean-François Sivadier au Festival d’Aix en Provence en 2011. Pour ceux qui n’ont pas eu la chance de la voir, qu’il soit permis de la figurer ici. 

Sur le plancher de la scène recevant des paillettes d’or et devant le fond bitumineux servant de tableau noir au cours du drame, un maigre ameublement composé de tapis, de chaises chinées, de paravents et du rideau découpant l’espace situe l’action en un hors temps et un hors lieux sombre. Impression renforcée par les fripes bigarrées des protagonistes. Etrange choix pour le seul opéra de Verdi situé à son époque et nommant de surcroit ses lieux à chaque acte.

La maladie gagnant sur Violetta et celle-ci se déchargeant progressivement de ses biens, la mise en scène avance vers une nudité froide. Le premier acte est chargé de convives, de chaises, de panneaux et de rideaux. Le deuxième ne garde que deux tables, quelques chaises et des panneaux imprimés de motifs champêtres. Le troisième met les fêtards en fond de scène, tandis que la rivalité d’Alfredo avec les invités et Violetta se joue en une cour au-devant de la scène. Le dernier est quasi vide. La réduction du mobilier renforce son importance et celle des costumes, ainsi des panneaux tombants, le pork-pie du fêtard interdisant Violetta à Alfredo au premier acte, porté par Alfredo au troisième, et les bottines de Violetta, ôtées ou chaussées, indiquant sa solitude ou sa compagnie. 

Cette rigueur mathématique de la scène est la clef de voûte de cette représentation. Elle expose aussi simultanément les chanteurs. À commencer par la soprano albanaise Enkeleda Kamani en Violetta Valéry. Comme la mise en scène écarte ses repères historiques et géographiques du plateau, la soprano focalise son interprétation sur la souffrance affective de l’héroïne au détriment de sa béatitude à force d’abandon de ce qui la retient sur terre (force physique, argent et amour). Avançant sur un tapis blanc et ordonnant à l’orchestre de commencer au début du premier acte et finissant au dernier le visage cadavérique, elle tient un charme cristallin durant tout l’opéra. Son E strano montre ses belles qualités vocales. Plus de puissance cependant lui permettrait de mieux se faire entendre face à l’orchestre et à Alfredo. Elle omet également des notes et les différents registres vocaux indiquant la perte des forces physiques de Violeta. Enfin, au dernier acte, durant lequel la maladie achève Violetta, elle parcourt beaucoup la scène. Qu’importe. Le charme y est. Reprendre le rôle de Natalie Dessay au Festival d’Aix en Provence en 2011 est une gageure. Ne pouvant évidement reprendre le champagne frais et pétillant de la diva française, elle a la clarté translucide d’une flute de cet alcool.

Ensuite le ténor mexicain Mario Rojas en Alfredo qui, en costume trois pièces blancs, ressort de la noirceur et de la bigarrure autour de lui. Il incarne fort justement ce jeune homme prompt au jugement, éperdu d’amour jusqu’à l’ivresse pour Violetta au premier acte et ivre d’alcool et d’orgueil blessé au troisième. Il utilise pour cela une force vocale saisissante. Impressionne-t-il plus qu’il n’émeut en s’appuyant plus sur celle-ci que sur l’émotion et la technique ? Chacun en jugera. En tout cas, il ne laisse certainement pas indifférent.

Et la basse albanaise Gezim Myshketa donne son métal velouté à Monsieur Germont père, mais le jeu d’acteur est hélas trop peu développé. La justesse de son chant n’y est pas au premier acte et la ouate encombre sa gorge au troisième. Mais l’émotion et l’incarnation y sont, ce qui y est l’essentiel. 

Le grave chaleureux de la mezzo Marine Chagnon en Flora Bervoix, le chœur de l’opéra parfait dans sa maitrise et surtout l’orchestre de Marta Gardolińska transmettant la richesse mélodique de chaque acte ajoute au plaisir.

En fin de compte, cette représentation est plus à revoir qu’à voir. La mathématique de la mise en scène tend vers l’abstraction, et les chanteurs incarnent bien leurs rôles. Quel dommage que la chaleur de ses derniers jours gêne les cordes vocales. 

Nancy, Opéra, 25 juin 2023

Andreas Rey

Crédits photographiques : Jean-Louis Fernandez

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