Barenboïm sur les pas de Schubert : un bonheur indiscible !

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0126_JOKERFranz Schubert (1797 – 1828)
Intégrale des Sonates pour piano
Daniel Barenboïm (piano) 2014 – DDD - 5 CD (49'18'', 68'34'', 73'03'', 80'52'', 75'56'') - Textes de présentation en allemand, anglais, français – DG 4792763« Au cours de la période de 13 ans durant lesquelles Schubert écrivit des sonates pour piano, sa progression fut si rapide qu'il serait peut-être devenu l'un des compositeurs les plus révolutionnaires de l'histoire de la musique s'il avait vécu plus longtemps... » affirme Daniel Barenboïm au terme de son enregistrement de l'intégrale des sonates de Schubert. Coutumier des sonates de Beethoven qui auront accompagné sa vie de pianiste, Barenboïm peut confronter l'oeuvre des deux compositeurs. Son jugement est tranché : Schubert n'est pas un compositeur en arrière-plan de Beethoven, c’est un compositeur de génie, maître de sa plume, qui s'inscrit dans un temps lisse, élargi, déjà annonciateur de Debussy, là où le second rythme le temps; qui explore le son, joue de ses timbres et de ses couleurs, qui ne craint pas d'alimenter la ligne mélodique de nouvelles idées là où le second développe les thèmes dans leurs derniers retranchements. Schubert n'est pas Beethoven et Beethoven n'est pas Schubert. Une lapalissade, et pourtant le Viennois est resté longtemps dans l'ombre, comme Haendel par rapport à Bach ou Haydn dans l'ombre de Mozart. On reste toujours surpris que seules trois sonates (D. 845, D. 850 et D. 894) aient été éditées du vivant de Schubert. A sa mort, son frère Ferdinand oeuvra à faire connaître l'oeuvre de Franz, par l'intermédiaire de Schumann notamment, lui qui, émerveillé, déclarait : « Je ne parlais pas volontiers de Schubert si ce n'est aux arbres et aux étoiles ». Schubert que ses amis appelaient « petit champignon » mais aussi « le clairvoyant », celui dont l'intuition musicale était celle des prophètes. Ce n'est que dans les années 1920, près de cent ans après sa mort, que Theodor Lescheticky, professeur d'Arthur Schnabel à Vienne, attira l'attention de son disciple sur les sonates de Schubert oubliées jusque-là. Le défi est relevé et Schnabel les joue en récital. D'autres pianistes prendront la relève et on retiendra particulièrement l'intégrale de Wilhelm Kempff (18 sonates dans les années '60), Badura Skoda sur pianos d'époque,  les enregistrements d'Alfred Brendel, de Sviatoslav Richter, et, plus près de nous, l'intégrale (20 sonates) donnée en neuf récitals par Elisabeth Leonskaja au Festival de Verbier en 2010. Pour mieux révéler l'évolution de l'écriture schubertienne au travers de ses sonates, Barenboïm ne s'est réservé que les sonates indubitablement authentiques et achevées de la main du compositeur. En effet, sur les vingt sonates recensées -en y intégrant la Wanderer Fantaisie assimilable à la forme- onze seulement ont été « bouclées » par le compositeur, les autres ayant fait l'objet de travaux scrupuleux de musicologues qui ont rassemblé en sonates, de façon tout à fait crédible, des fragments retrouvés sous formes d'esquisses, de brouillons, parfois même au verso de papiers divers sur lesquels le compositeur avait tracé en vitesse quelques portées. Porté par l'inspiration schubertienne, Daniel Barenboïm y oublie son Beethoven pour livrer Schubert, assertif ou sujet aux interrogations les plus subtiles ; il investit totalement l'oeuvre pour l'accompagner dans un voyage au coeur de couleurs insoupçonnées, dans un temps de contemplation, de pure jouissance ou d’abandon à ce qui transcende sa nature, tout simplement humaine.
Bernadette Beyne

Son 10 – Livret 8 – Répertoire 10 – Interprétation 10

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