Blechacz, un pianiste qui laisse perplexe

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C’est la perplexité qui l’emportait à l’issue du récital donné par Rafal Blechacz au Palais des Beaux-Arts. Auréolé d’une flatteuse réputation depuis sa victoire au concours Chopin de Varsovie en 2005, le jeune pianiste polonais s’est bâti la réputation d’un subtil poète du piano, même si, l’ayant entendu à deux reprises sur scène, mon impression avait été de me trouver -surtout dans le cas d’un récital il y a quelques saisons au même endroit (l’impression produite dans un concerto de Chopin ayant été nettement meilleure) en présence d’un artiste à qui il restait encore pas mal de chemin à faire tant sur le plan de la maîtrise pianistique que sur celui de l’interprétation encore souvent peu aboutie.
Dès l’entame du programme bruxellois, Blechacz parut bien peu inspiré dans la Sonate en ré majeur K. 311 de Mozart. Est-il possible d’encore aborder Mozart de cette façon aujourd’hui? Cette approche qui donne d’un Mozart maigrelet -joué du bout des doigts et sans pétrir en rien la pâte sonore- une image réductrice, anémique et vraiment dépassée de fragile bibelot de Saxe est-elle encore défendable? Pourquoi cette rigueur métronomique sans la moindre respiration et ce manque d’intérêt -ou est-ce d’affection- pour la musique? Et que dire des forte assénés à la truelle et de cette sonorité souvent métallique et laide? Certes, le mouvement lent laissa entrevoir quelques beaux instants, mais il y avait largement de quoi rester sur sa faim.
Les mêmes réserves valent aussi pour la Sonate Pathétique de Beethoven, où, en dépit des coups de boutoir des forte assénés dès le grave introductif, n’arrivait pas à naître la tension qui doit naturellement sourdre de la musique. Et à quoi bon confondre si souvent force et brutalité? Pourquoi cette impression d’une interprétation où l’on se contente d’aligner les notes sans qu’on y décèle de véritable conception sous-jacente?
Bref, l’entracte arriva comme un véritable soulagement, d’autant plus que la deuxième partie du récital était entièrement consacrée à Chopin, et qu’on sait que les pianistes polonais savent souvent s’y prendre dans la musique de leur plus grand compositeur.
Le Nocturne op. 32 n°2 fut correctement joué sans plus, mais les deux Polonaises de l’op. 40 ne firent rien pour dissiper l’impression mitigée de la première partie. La célèbre Polonaise Militaire op. 40 n°1 bénéficia, certes, de rythmes bien enlevés, mais les incessants forte stridents avaient de quoi décourager les auditeurs les mieux disposés. Mais il ne faut jamais désespérer, et dans les 3 Mazurkas op. 63, Blechacz fit enfin entendre de belles couleurs, un réel sens du chant et de la tendresse pour ces pièces si intimes et subtiles. Dans le 3ème Scherzo op. 39, ce fut comme si un autre pianiste avait pris possession de la scène de la salle Henry Leboeuf: technique assurée, richesse du son, interprétation intéressante, de la tenue et du caractère à revendre - on se prenait à regretter que la soirée ait mis tant de temps pour décoller. Impression d’ailleurs confirmée dans les remarquables bis, un Prélude n° 20 de Chopin magnifiquement construit et un Scherzo de la Sonate op. 2 n° 2 de Beethoven plein d’esprit et de caractère. Ouf. (Pour son prochain récital, peut-être serait-il bon de demander au pianiste de ne jouer que des bis.
Patrice Lieberman
Bruxelles, Bozar, le 2 juin 2014

 

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