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Les graines de curieux : les découvertes un peu piquantes de la musique.
Musiques en pistes : pour une écoute active de la musique. Analyse et exemples sur partitions et écoutes d’extraits.
Focus : un événement particulier dans la vie musicale

Les Millésimes 2025 de Crescendo Magazine

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Cette édition 2025 des Millésimes de Crescendo Magazine est très particulière car, en janvier dernier, notre cofondatrice Michelle Debra (1950-2025), nous a quittés. Crescendo-Magazine avait été fondé, en 1993, par Bernadette Beyne (1949-2018) et Michelle Debra, initiative novatrice et visionnaire, à partir de la Belgique francophone. Au fil des années, Crescendo-Magazine s’est établi une notoriété internationale fondée sur la découverte et le partage, fédérant de nombreuses plumes et un lectorat fidèle, autour de la musique classique. 

Ainsi, de manière à faire perdurer, tant l’esprit pionnier que la passion de la découverte qui animaient Bernadette Beyne et Michelle Debra, la rédaction de Crescendo-Magazine, a souhaité, dans le cadre des Millésimes annuels, décerner un “Prix Bernadette Beyne et Michelle Debra” qui récompense une initiative pionnière et exemplative du  dynamisme de la scène musicale tout en y associant les plus hautes exigences de qualité et de renouveau. 

Ce premier “Prix Bernadette Beyne et Michelle Debra” est décerné à l’enregistrement consacré aux Symphonies n°1 et n°2 de la compositrice Elsa Barraine par  WDR Sinfonieorchester sous la direction de la cheffe d’orchestre Elena Schwarz (CPO).  Cet enregistrement consacre une artiste magistrale, dans le mouvement de redécouverte des compositrices, sous la direction d’une cheffe d'orchestre qui compte parmi les grands talents de notre temps et que Crescendo Magazine suit depuis plusieurs années au fil d’une carrière de haut rang.    

A une époque où la modernité est remise en cause, la sélection des Millésimes met en avant des compositeurs qui ont marqué leur époque par la rupture et l’incarnation de l'avant-garde. Ainsi l’enregistrement de l’année consacre un album qui met en relief le magistral Coro de Luciano Berio avec une partition du génial compositeur slovène Vito Žuraj : Automatones qui s’impose comme l’un des grands chefs d'œuvres des années 2020. 

Modernité de rupture également avec 2 merveilleuses parutions consacrées à Arnold Schoenberg par les Berliner Philharmoniker sous la direction de Kirill Petrenko et l’Orchestre symphonique de Montréal sous la baguette de Rafael Payare

Les millésimes 2025 de Crescendo Magazine, c’est une attention portée au matrimoine musical avec un album Amy Beach avec le chef d’orchestre Joseph Bastian, à la découverte de pans de répertoires encore méconnus comme les oeuvres pour piano de Miklós Rózsa par Krisztina Fejes, les mélodies de Donizetti, projet éditorial structurant du label Opera Rara ou bien une plongée dans la Paris musical du Premier empire.  

De Belgique, on salue les parutions Ricercar (Colonna/Haendel) et Musiques en Wallonie (Ysaÿe) avec les ensembles belges Chœur de Chambre de Namur et Orchestre philharmonique royal de Liège. 

Les critiques musicaux de notre média, apprécient toujours, entendre les classiques revisités par des interprètes de notre temps à l’image d’Alexandre Kantorow (Brahms - Schubert), François Dumont (Debussy), Beatrice Rana (Bach),  ou Evangelina Mascardi (Weiss)

Nous vous invitons à découvrir cette cinquième édition des Millésimes de Crescendo-Magazine  dans cette brochure numérique, mais surtout, nous vous invitons à les écouter. 

Découvrir le palmarès 2025 des Millésimes de Crescendo Magazine :

Grégor Chapelle lance la troisième phase de développement de la Music Chapel

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La Music Chapel (anciennement Chapelle Musicale Reine Elisabeth) étend à partir du 1er janvier 2026 ses activités au domaine d’Argenteuil afin de créer un campus musical international au sein de la nature.  Six mois de travaux d’aménagement précéderont l’installation des premiers résidents en septembre 2026. Une période d’analyse de trois ans permettra ensuite de définir les paramètres de bon fonctionnement de l’institution rénovée.

Pour faire le point sur cette opération, nous avons rencontré Grégor Chapelle, le CEO désigné de la Chapelle après le décès de Bernard de Launoit.

Selon lui, on peut répartir l’histoire de la Chapelle Musicale sur trois grandes périodes. La première s’étend de 1939 à 2004 : c’est l’époque où la Chapelle destinée aux jeunes musiciens belges s’organise selon le schéma préparé par Ysaÿe et mis en œuvre après sa mort sur la supervision de le Reine Elisabeth. L’objectif est d’offrir aux jeunes musiciens un lieu de travail et de réflexion qui permette une grande concentration tout au long de l’année.

La deuxième phase qui commence en 2004 est celle de l’internationalisation qui répond à une réalité nouvelle de l’enseignement de la musique. Elle a été portée à bout de bras par Bernard de Launoit. On fait appel à des maîtres réputés internationalement (Dumay, El Bacha, Van Dam) qui seront rejoints au fil du temps par des artistes du calibre de Gary Hoffman, Louis Lortie ou Frank Braley. On multiplie les master classes et les contacts avec d’autres institutions internationales. Le nombre de jeunes artistes en résidence ne cesse d’augmenter, ce qui implique la disponibilité de nouveaux locaux. Bernard lance alors le projet de construction de l’aile de Launoit qui est une grande réussite.

Aujourd’hui, la Chapelle est reconnue comme un lieu d’excellence international. Mais son succès ne va pas poser quelques problèmes. Quand je suis arrivé en 2024, on avait atteint les 80 artistes en résidence. Avec pour effet que celle-ci changeait un peu de structure. Sur les 20 studios disponibles, 10 sont occupés de manière permanente, les 10 autres étant mis à disposition sous forme de rotation entre classes d’instruments. Dumay arrive-t-il que tous les violonistes convergent et qu’il faut les héberger mais ce sera pour les remplacer très vite par les pianistes dès l’arrivée de Frank Braley. Le rythme est donc infernal et ne permet pas toujours les rencontres latérales entre disciplines, ni la pratique en profondeur de la musique de chambre que préconise le projet. De plus, la Chapelle a traversé quatre années difficiles avec l’assaut du COVID en 2020/1 et la maladie de Bernard qui se déclare en 2022 et l’emporte en mars 2023. La Chapelle n’a plus de CEO mais est gérée avec un bel engagement par les équipes en place. Aujourd’hui, on peut dire qu’elle rentre en vitesse de croisière. Mais elle doit définir un nouveau business plan pour absorber les problèmes déjà connus.

Notre situation est très différente de celles de nos concurrents directs : en Allemagne, Kronberg bénéficie d’un très gros soutien public et, aux Etats Unis, Curtis, Colburn et Julliard disposent d’endowment funds colossaux qui vont de 200 millions à un milliard de $. Le budget de la Chapelle, lui, est financé à concurrence de 10% par des subsides publics et pour le solde par des supports privés (mécènes et sponsors).

Les nominés aux International Classical Music Awards 2026

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Les International Classical Music Awards (ICMA) ont annoncé aujourd'hui les nominations pour les prix 2026, qui récompensent les meilleurs musiciens et enregistrements.

Parmi les nominés figurent de nombreux solistes, ensembles, chefs d'orchestre et orchestres de renom, ainsi que de nombreux jeunes musiciens, dont beaucoup sont nominés pour la première fois.
Pour les prix 2026, le jury a sélectionné au total 307 productions audio et vidéo publiées par 101 labels d'Europe, d'Asie et d'Amérique du Nord, soit 18 pays au total.

Pour être sélectionnée, une production doit être proposée par au moins deux membres du jury.

Les labels les plus nominés sont Alpha, Deutsche Grammophon, Harmonia Mundi, Naxos et Pentatone.

La liste des nominés par labels et par catégories :

https://view.publitas.com/papageno-ltd/icma-2026-nominations-by-labels

https://view.publitas.com/papageno-ltd/icma-2026-nominations-by-categories

Rose Naggar-Tremblay, Haendel en menu dégustation

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La contralto  Rose Naggar-Tremblay fait paraître un album consacré à Haendel (Arion). C’est un choix logique tant les partitions du compositeur accompagnent la carrière de la jeune artiste qui nous offre un véritable menu de roi au fil des airs, accompagnés par l'Orchestre de chambre de Toulouse.  Crescendo Magazine est heureux de s’entretenir avec cette musicienne, bien dans son temps et qui développe une carrière loin des catégories passant avec aisance du lyrique à la chanson.    

Pour votre premier album, vous avez choisi le répertoire des airs de Haendel ? Pourquoi ce compositeur ? 

Enregistrer un album solo, dans le climat financier mondial actuel, est un immense privilège. Je voulais m’assurer de proposer un répertoire qui me colle à la peau. Haendel est le compositeur que j’ai chanté le plus souvent sur scène. Il n’y a pas un seul de ses rôles pour contralto (ou contre-ténor) du registre de Senesino que je ne me sentirais pas apte à défendre en production. J’ai d’ailleurs accepté de changer de rôle à la dernière minute l’an dernier, passant de Cornelia à Cesare dans une production du Capitole de Toulouse sous la direction de Christophe Rousset, à peine une semaine avant le début des répétitions. J’ai pu relever ce défi parce que je savais que le rôle de Cesare serait idéal pour ma voix, et que le plus grand défi, pour moi, serait simplement de le mémoriser. 

Une fois le compositeur choisi, il vous a fallu déterminer les œuvres et le nombre de partitions de Haendel est colossal. Comment avez-vous choisi les airs ? 

Bien qu’il y ait encore plusieurs rôles que je rêvais d’interpréter au moment du choix de pièces (Orlando, Bertarido, Cesare pour n’en nommer que quelques-uns ), je me suis inspirée des apprentissages découlant de l’enregistrement de mon album de chansons. En effet, mon seul regret suite à celui-ci avait été de ne pas avoir prévu ma tournée de spectacles avant d’aller en studio. La scène est le meilleur laboratoire. La relation avec le public et les collègues transforme nos interprétations, les font passer du papier à la chair vibrante. J’ai donc choisi d'interpréter sur l’album uniquement des œuvres que j’avais déjà vécues sur scène. À l’exception des airs de Cornelia, que j’aurais dû faire une semaine après à Toulouse, et de Polinesso, clin d’œil à la gigantesque Ewa Podles qui nous a quittés l’année dernière. 

Dans le communiqué de presse qui accompagne la sortie du disque, vous déclarez “J’ai envie que l’on offre ce disque à ses amis, à l’heure de l’apéro, comme une délicatesse qui inspire la joie du partage.”. La musique ne peut-elle être que synonyme de bonheur et de joie ? 

Bien sûr que non,  l’album comprend bon nombre de moments mélancoliques ou suspendus, mais la tristesse est déjà tellement plus douce quand elle est partagée. Haendel était lui-même un gourmand notoire, c’est ce qui m’a donné l’idée d’évoquer la joie d’un festin de jour de fête sur la pochette. 

Vous êtes Canadienne et contralto colorature et naturellement, on pense aussitôt à votre compatriote Marie-Nicole Lemieux, bien connue ici en Belgique. Je crois savoir qu’elle est une figure particulièrement inspirante pour vous ? Quelles sont les autres chanteuses qui vous inspirent ? 

J’ai suivi la carrière de Marie-Nicole de loin depuis mon adolescence, mais j’ai eu le bonheur de travailler avec elle tout récemment alors que j’étais sa doublure pour une production de Carmen. Quel bonheur de pouvoir la côtoyer de plus près ! C’est un véritable feu roulant d’idées musicales et théâtrales, il faut arriver en pleine forme pour pouvoir la suivre. J’ai toujours été fascinée par le timbre unique et la bravoure d’ Ewa Podles et le raffinement de Nathalie Stutzmann. Je rêverais d’ailleurs de pouvoir chanter sous sa direction.

Robin Pharo, cap sur l'Angleterre 

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Robin Pharo est directeur de l'ensemble Près de votre oreille (Near your ear) avec qui il fait paraître un album intitulé “Lighten mine eies” (Harmonia Mundi). Ce nouvel enregistrement  marque une étape importante dans le parcours de l’ensemble « Près de votre oreille ». Depuis sa création en 2017, l’ensemble explore la musique de chambre ancienne, en particulier le répertoire anglais, de l’époque élisabéthaine aux débuts de la restauration de la monarchie anglaise. Avec ce nouvel opus, c’est le compositeur William Lawes qui est à l’honneur.  Robin Pharo répond aux questions de Crescendo Magazine pour nous présenter ce disque qui s’impose comme une référence. 

Pour votre premier album pour Harmonia Mundi, vous avez choisi de mettre à l’honneur William Lawes. Pourquoi ce choix ? 

C’est une décision qui s’est faite un peu par hasard… En écoutant un disque magnifique de l’ensemble Correspondances, Perpetual night, j’ai découvert une pièce sublime de William Lawes, qui ouvre aujourd’hui l’album Lighten mine eies. J’ai alors fait le lien avec un nom qui m’était familier. Pourtant, je n’avais jamais écouté à ce moment ses célèbres pages pour consort de violes de gambe et orgue, que j’ai depuis eu la chance de jouer avec l’ensemble Près de votre oreille. Je savais simplement qu’elles existaient parce que je suis violiste. J'ai alors cherché à en savoir plus sur William Lawes et notamment sur sa musique vocale. Je ne savais pas que je tomberais alors sur des dizaines de pièces jamais enregistrées, d’une beauté exceptionnelle.

Comment avez-vous sélectionné les œuvres présentées sur cet album ? 

Comme pour tous les programmes que je crée, je cherche instinctivement une forme de dramaturgie et d’éloquence, comme celle qu’on recherche lorsqu’on peint un tableau (je dessine très mal mais je me débrouille mieux avec la musique !). À la différence par exemple d’une pièce qu’on compose d’après un texte existant, lorsqu’on crée un programme de récital, il faut aussi trouver une idée à dépeindre. Celle-ci ne vient pas immédiatement. Je dirais qu’on ne lève réellement le voile sur un tel récital qu’une fois que celui-ci est terminé. C’est comme si on peignait à l’aveugle, avec pour seule boussole, le son, et qu’on parvenait enfin à une image à la fin du travail de sélection. En quelque sorte, l’histoire qu’on a dépeinte est alors le fruit du hasard, et aussi de contraintes très pragmatiques, la nécessité de présenter des formes variées, des moments rythmiques, tendres, etc… Et puis on cherche un début qui attire notre attention, un milieu qui nous permet d’exulter, et une fin qui nous transcende… Composer un programme est un exercice absolument fascinant mais il est aussi très exigeant. 

Comment l'art de Lawes s’intègre-t-il dans son temps, en particulier à la suite de Byrd et Gibbons ? 

Je dirais que l’art de Lawes est à la fois un chemin vers l’ailleurs et un aboutissement. Comme Byrd et Gibbons, ses prédécesseurs, William Lawes connaît à la perfection les secrets du contrepoint le plus subtil et le plus virtuose. C’est ainsi qu’il compose des fantaisies à 6 voix spectaculaires. William Lawes dévoile aussi dans ses œuvres contrapuntiques un réel désir de nouveauté. Il n’hésite pas à emprunter des ostinato marquant et de fausses relations violentes. Il est capable de se saisir de l’étrangeté comme personne à son époque. Pour le répertoire instrumental, nous lui devons des pièces exceptionnelles comme ses fantaisies Sunrise et Sunset, qui ressemblent à de petites symphonies bien plus tardives pour orchestre à cordes… Ses harp consorts et ses royal consorts sont aussi une illustration de son avant-gardisme qui l’amène à des associations d’instruments inédites. Comme son grand frère, Henry, il écrit aussi pour la voix et je dirais que sa musique vocale profane ressemble encore plus que celle de son aîné, à ce qu’on pourra découvrir chez des compositeurs plus tardifs comme John Blow. Elle a donc une importance probablement plus grande sur l’évolution de la musique vocale. Pour moi, William Lawes est donc un compositeur très important pour l’évolution globale de la musique classique britannique. Ses talents de musicien l’ont amené à composer beaucoup pour le théâtre et les spectacles de cours qu’on appelle mask. Cette notoriété acquise a rendu sa disparition encore plus tragique pour le monde culturel anglais, lors de la Grande Rébellion. 

Gautier Capuçon, objectif terre 

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Le violoncelliste Gautier Capuçon rend hommage à la terre, avec son nouvel album “Gaïa”. En 17 partitions de 16 compositrices et compositeurs, il alerte sur le réchauffement climatique et ses conséquences. Aventurier de son temps, il emmène son violoncelle sur les hauteurs du Mont Blanc pour témoigner des bouleversements que subit cette montagne de légende, toit de notre Vieux continent. Gautier Capuçon est un artiste engagé qui aime défendre la musique de son temps et aider la jeune génération d'artistes. Crescendo Magazine se réjouit de s'entretenir avec ce très grand musicien.  

Un album qui porte le titre de Gaïa, ce n’est pas commun ! Pouvez-vous nous présenter le concept ? 

Cet album est en effet dédié à  notre planète la terre mais également à la problématique du réchauffement climatique en lien avec les images du Mont-Blanc, montagne qui m’est chère et qui en subit les conséquences de manière spectaculaire. 

Les compositeurs et les compositrices présents au programme de cet album  expriment leurs liens avec la terre de différentes manières. Certaines œuvres sont plus alarmantes, plus  angoissantes  et on sent l'inquiétude des conséquences du réchauffement climatique derrière les notes. D'autres sont beaucoup plus lumineuses et célèbrent cette terre. J’avais laissé les compositeurs complètement libres. Les seules indications qu'ils avaient, c'était bien sûr l’instrument à disposition : le violoncelle. 

Sur cet album, il y a 17  œuvres de compositrices et compositeurs différents.  Comment les avez-vous choisies ? 

C'est un projet qui a mis du temps à se construire parce qu'effectivement il y a  17 œuvres de 16 compositrices et compositeurs différents. J’avais vraiment envie de poursuivre cette exploration de la musique, la musique avec un grand “M”,  mais avec des compositrices et compositeurs qui viennent d'univers et de genres musicaux différents, donc pas nécessairement des noms que l'on peut rencontrer sur des programmes de concerts de musique classique ou dans des salles traditionnelles. 

Personnellement, j’ai le privilège de pouvoir explorer des œuvres de musique très différentes.Ces dernières années, j’ai eu la chance de travailler et de créer des oeuvres de Thierry Escaich, Lera Auerbach, Wolfgang Rihm, Jörg Widmann, Karol Beffa, Qigang Chen, Bryce Dessner, Richard Dubugnon, Philippe Manoury, Bruno Mantovani, Wolfgang Rihm….et c’est pour moi aussi une exploration nouvelle de m’ouvrir à d’autres genres musicaux et c’est infiniment enrichissant.

Il y a des singularités fort différentes mais ce qui les rassemble c'est la musique.  La musique représente pour moi des émotions que l'on reçoit en tant qu'auditeur et en tant qu'artiste. 

Je pense que, pour toucher un public avec ses émotions, il faut déjà qu'on les ressente en tant qu'artiste. Il faut qu’une œuvre me plaise et me parle avant que je puisse en parler et l'interpréter avec mon cœur et mon âme. 

À la lecture des noms, certains de ces créateurs appartiennent à la mouvance New Classical plutôt orientée vers une forme d'easy listening et pas vers l'avant-garde. Cette dernière ne peut-elle pas témoigner des douleurs de la Terre ? 

Je pense que chacun a des choses à dire et c'est ce qui fait aussi l'extrême richesse  de la musique. Je n'ai pas voulu mettre ces compositrices et compositeurs dans  une certaine catégorie. C'est pour ça que j'ai voulu explorer avec un champ très large et les sélectionner par rapport aux émotions que je ressens et non pas par rapport à d'éventuelles catégories. 

D'ailleurs, ce sont souvent des commentateurs qui mettent les artistes dans certaines catégories ! Ce n'est certainement pas le compositeur (ou rarement) qui se définit  comme appartenant à une certaine catégorie ! 

Ces artistes ont été sélectionnés pour la musique qu'ils écrivent et pour ces émotions qui sont véhiculées par leur musique.

Olivier Korber, gargantuesque ? 

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Olivier Korber est un artiste singulier au parcours atypique. Pianiste mais également compositeur, il fait paraître, chez Arion, un album monographique avec en tête d’affiche sa partition  La journée de Gargantua » (pour orchestre de chambre avec piano) qui nous emmène vers Rabelais. Crescendo Magazine est heureux de s’entretenir avec ce musicien foncièrement indépendant.   

Vous faîtes paraître un album intégralement monographique. C’est une étape dans la vie d’un artiste. Qu’est-ce que ce disque représente pour vous ? 

Cet album restera un jalon unique dans ma vie. Grâce à la confiance du label Arion Music, nous avons pu réunir quinze interprètes autour de compositions inédites, formant un programme qui traverse les multiples facettes de mon univers musical. Enregistrer toutes ces nouvelles œuvres a été une expérience paradoxale. Les micros ont permis de fixer cette musique pour la première fois, mais en même temps, le disque est l’acte de naissance de ces œuvres, prêtes à vivre leur vie hors de moi de manière tout à fait imprévisible.

Cela a d’ailleurs commencé dès le studio. Les musiciens sont tous arrivés avec une interprétation déjà aboutie, malgré l’absence de toute référence préalable. J’ai été profondément touché qu’ils se soient à ce point appropriés ces mondes. J’ai bien sûr eu l’occasion de préciser mes intentions musicales, ce qui est essentiel pour une première fixation, mais j’ai aussi été agréablement surpris par nombre de leurs initiatives que je n’aurais pas imaginées. Ce disque est donc, à mes yeux, un objet très vivant.

Cet album vous présente comme compositeur, mais vous êtes aussi un musicien au parcours singulier car vous êtes également pianiste mais vous menez une brillante carrière dans l’économie, domaine que vous avez même enseigné dans le supérieur. Qu’est ce qui vous a attiré vers la composition ? 

J’ai commencé à écrire de la musique très tôt, bien avant d’étudier, d’enseigner ou de donner des concerts.   Enfant, lorsque j’ai débuté le piano, il n’y avait pas de frontière nette entre les pièces que j’apprenais et tout ce que j’improvisais. Vers mes dix ans, je passais un temps formidable à jouer aux Lego. D’abord en suivant les notices, puis en démontant tout pour réutiliser les briques et façonner mes propres jouets, au gré de mes aventures imaginaires du moment. Cela coïncide avec le moment où, très naturellement, j’ai commencé à « m’auto-écrire » des pièces, dans le même esprit qui m’animait lorsque je me construisais des jouets.

Il s’agissait d’abord de fixer sur le papier ce qui m’excitait le plus dans mes improvisations, pour retrouver le plaisir de rejouer ce que mes doigts avaient accidentellement découvert. Comme j’étais frustré que ces moments s’interrompent trop vite, il m’a donc fallu empiler plusieurs de mes fragments notés. Ce qui impliquait de les choisir, les ordonner, et tenter de les relier. Bien sûr, j’ignorais que je commençais là à acquérir les rudiments de l’artisanat d’un compositeur.

Votre musique est décrite comme “affranchie des écoles”. Est-ce important pour vous de tracer un chemin en étant libre ? Cependant, vous avez bien au fond de vous, l’un ou l’autre compositeur ou compositrice que vous admirez particulièrement (du passé ou du présent)

Je crois que l’important est de poursuivre en soi ce qu’il y a de plus authentique. En pratique, cela exige d’éliminer tout ce qui n’est pas véritablement indispensable, et d’assumer ce que l’on aime.  J’ai l’impression d’être à la fois un chercheur d’or qui passe un fleuve au tamis, et un architecte garant de la cohérence d’une vision d’ensemble. Mais faut-il encore reconnaître les pépites, parvenir à les tailler, et découvrir leur juste agencement. Je suis en réalité l’esclave d’une boussole intérieure qui ne s’aligne, et ne me laisse en paix, que lorsque tout vibre avec justesse. 

Parmi les compositeurs du passé, c’est sans surprise à Beethoven que je me réfère le plus. Je suis de plus en plus bouleversé par l’humanité de son langage et stupéfait par la fiabilité de sa boussole, qui confère à son écriture un caractère d'inévitabilité et un équilibre qui me semblent inégalés. 

Au XXe siècle, je me sens le plus en famille auprès de Prokofiev, Ravel, Bartok, Stravinsky, Chostakovitch, Britten et Dutilleux.

Plus proche de nous, j’ai une immense admiration pour nombre d’oeuvres de Guillaume Connesson et Thomas Adès. 

Hommage à Elzbieta Penderecka

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Elzbieta Penderecka était une figure emblématique de la scène culturelle polonaise, qui a œuvré sans relâche pour la promotion de la musique polonaise à l'étranger et a soutenu la carrière de nombreux jeunes artistes. 

Née à Cracovie, Elžbieta Penderecka a étudié la physique, mais a ensuite consacré sa vie à la musique. Depuis 1965, elle gère le secrétariat de son époux, le compositeur et chef d'orchestre Krzysztof Penderecki.

En 1997, elle organisa le premier Festival de Pâques Ludwig van Beethoven, qui se tient depuis chaque année, d'abord à Cracovie, puis à Varsovie. En 1998, elle lança le Festival Krzysztof Penderecki, organisé tous les cinq ans. En 2003, elle fonda l'Association Ludwig van Beethoven, qui prit en charge l'organisation des deux festivals.

Elzbieta Penderecki a remporté de nombreux prix et distinctions décernés par des institutions polonaises et étrangères.

Avec son mari, feu Krzysztof Penderecki, Elzbieta Penderecki a créé à Luslawice le Centre européen de musique Krzysztof Penderecki, un centre unique pour le développement de jeunes talents musicaux.

Son activité culturelle et artistique lui a valu une large reconnaissance tant en Pologne qu'à l'étranger, comme en témoignent les nombreuses distinctions qu'elle a reçues.

Rencontre avec Eve-Maud Hubeaux, mezzo-soprano  adoubée 

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La mezzo-soprano franco-suisse Eve-Maud Hubeaux, s’est imposée comme l’une des grandes chanteuses de notre temps, passant avec aisance du répertoire baroque à Wagner, sans perdre de vue les grands rôles verdiens. Alors qu’elle vient de triompher dans Aïda à l’Opéra de Paris, elle s’apprête à chanter Fricka dans Die Walküre, également sur la scène de l’ONP

Nous avons pu vous voir à l’Opéra national de Paris dans un panel de rôles assez large, de Doña Prouheze (dans Le Soulier de satin de Dalbavie) à la Grande Vestale (dans La Vestale de Spontini), en passant par Gertrude (dans Hamlet de Thomas), Amneris (dans Aïda de Verdi) ou encore Fricka (dans Rheingold et Walküre de Wagner). Qu’est-ce qui a motivé cette pluralité à ce stade de votre carrière ?

Effectivement, je fête mes dix ans à l’Opéra de Paris cette saison. Je ne trouve pas que cela soit si divers que cela ; cela pourrait l’être davantage au regard du répertoire que je chante. À titre d’exemple, après La Walkyrie, je serai dans une production de Castor et Pollux à Genève, ce qui sort du répertoire du XIXᵉ siècle. La création contemporaine m’intéresse également beaucoup.

L’éclectisme vient peut-être du fait que j’aime cultiver cette pluralité, qui me semble saine vocalement, notamment dans le répertoire classique et baroque, car il permet de ne pas trop alourdir la voix. En outre, cette diversité permet aussi d’aborder des rôles différents, car l’on observe tout de même une dramaturgie assez typée selon les époques.

Forcément, plus la carrière avance, plus les rôles se resserrent, car l’on finit par être demandée dans certains répertoires particuliers. Mais j’ai toujours à cœur de cultiver cette pluralité, et je m’efforce, avec mon agence, de la conserver chaque saison, en maintenant un équilibre entre les rôles romantiques — souvent assez lourds — du XIXᵉ siècle, et le reste : on met une Carmen, une Amneris et une Eboli maximum, puis l’on complète avec des choses plus légères. J’ai également beaucoup de plaisir à interpréter des rôles comiques, qui m’amusent énormément.

Un rôle ou un opéra qui vous ferait rêver ?

Je n’ai pas vraiment de rôle ou de maison d’opéra où je rêverais de chanter. Mon but est surtout de profiter de mon ascension pour m’enrichir artistiquement des gens avec qui je travaille.

La chance, lorsque l’on est dans de grandes maisons lyriques, réside aussi dans le fait que l’on est entouré de collègues chanteurs de haut niveau, ce qui crée une belle émulation technique et vocale, mais aussi de metteurs en scène ayant une certaine radicalité dans leurs points de vue — même si ce n’est pas toujours évident pour le public.

J’ai fait une rencontre incroyable avec Krzysztof Warlikowski à Paris sur Hamlet. En tant que femme, indépendamment de ma vie d’artiste, cela a été bouleversant dans les discussions que nous avons eues ; et je me dis qu’il y a peu de métiers où l’on peut vivre un pareil enrichissement. C’est certainement cela que je recherche dans ma vie, au-delà de la musique. En réalité, j’ai énormément de chance, car j’ai globalement déjà réalisé tous mes rêves.

Philip Glass serait-il l’auteur du premier grand cycle d’études pour piano du 21e siècle ?

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Vendredi prochain, Maki Namekawa jouera à Bozar l’intégrale des études pour piano de Philip Glass. Interprète lige du compositeur américain, elle avait fait sensation en créant ces 20 Etudes le 21 novembre 2018 lors d’un concert d’Ars Musica. Ce cycle, elle a été la première à l’enregistrer dès 2014. Fabuleusement analytique, elle reconstruit les pièces étudiées dans le détail dans une architecture qui frise l’évidence par une juste répartition des rythmes, des répétitions et des jeux harmoniques. On pourrait donc croire sa version définitive. Rien n’est moins sûr : des pianistes scrutateurs comme Vikingur Olafsson en 2016 ou Vanessa Wagner aujourd’hui poussent encore plus loin la création de paysages musicaux originaux. Quant à Namekawa, elle nous confiait lors de son concert de Liège en février dernier qu’elle avait réenregistré les études, estimant qu’avec le temps des éclaircissements étaient apparus et qu’elle voulait livrer un témoignage de l’état actuel de sa perception de ces œuvres. Le disque devrait paraître incessamment.

Et voilà donc que ces partitions qu’on aurait pu croire figées dans le moule de leur construction irréductible, se mettent à connaître une vie autonome au gré des perceptions de leurs interprètes. Il n’y a rien d’anormal à cela : c’est la vie de toute partition. On aurait cependant pu croire que la rigueur du carcan répétitif aurait empêché une telle évolution. On constate désormais avec plaisir que ces œuvres connaissent elles aussi leur propre vie et qu’elles ne sont pas aussi déterministes qu’on aurait pu le croire.