Éminente anthologie de l’orgue de la Renaissance et du Baroque sur deux historiques instruments du Tyrol

par

Historical Organs in South & North Tyrol. Heinrich Isaac (av1450-1517), Paul Hofhaymer (1459-1537), Johannes Weck (c1492-1536), Matthias Greiter (c1500-1550), Josquin Desprez (c1440-1521), Wolfgang Grefinger (c1480-ap1517), Domenico Maria Ferrabosco (1513-1574), Master Newman (fl. 16ème siècle), Richard Edwards (?-1566), Robert Johnson (1485-1560), John Bull (1562-1628), Giles Farnaby (c1560-c1620), Sebastian Aguilera de Heredia (1561-1627), Andrea Gabrieli (c1515-1586), Andrea Cima (fl. c. 1600), Hans Leo Hassler (1564-1612), Heinrich Scheidemann (c1596-1663), Giovanni Picchi (fl. c. 1600) / Bernardo Storace (fl. 17ème siècle), Johann Caspar Kerll (1627-1693), Johann Jacob Froberger (1616-1667), Severin Schwaighofer (?-1700), Georg Muffat (1653-1704), Johann Speth (1664-ap1719), Franz Xaver Murschhauser (1663-1738), Johann Caspar Ferdinand Fischer (c1670-1746), Johann Ernst Eberlin (1702-1762), anonymes. Peter Waldner, orgues du Château de Churburg et de l’Abbaye de Stams. Livret en anglais. Juin & octobre 1993, juin 1996 ; réédition 2021. TT 71’03 + 77’09. Tastenfreuden 10. 

Exhumation couplée de deux enregistrements réalisés voilà plus de vingt-cinq ans, et précédemment parus sous étiquette ORF Tirol : Baldachin-Orgel Churburg 1559 et Die Chororgel im Stift Stams. En 1969, Jürgen Ahrend et Gerhard Brunzema restaurèrent le petit orgue de cabinet construit en 1559 pour Jakob Trapp (1529-1563) et conservé au Château de Churburg. Quelques mois plus tard, en octobre 1970 pour le label Seon, Gustav Leonhardt y gravait un florilège inclus dans deux vinyles (Alpenländer) qui illustraient aussi l’orgue de chœur de l’Abbaye de Stams. Deux consoles historiques que nous retrouvons ici.

Le Castel Coira, dans le Tyrol italien, se situe près de la commune de Malles Venosta où naquit Peter Waldner. Lequel en sa notice se souvient de son premier contact avec un vénérable joyau préservé : « plus je jouais et essayais les registrations, plus l’orgue révélait sa beauté véritable et sa richesse inépuisable ». En émergea un voyage à travers la Renaissance, qui s’étend de l’Angleterre (Fitzwilliam Virginal Book, Mulliner Book) à l’Italie (Gabrieli, Cima), de l’Espagne à la Pologne et l’Allemagne du Nord (Scheidemann, Hassler), cultivant divers genres prisés à l’époque : l’agrément de chansons, madrigaux, arrangements de motets, pièces de caractère, et des élaborations polyphoniques plus savantes (toccatas, praeambulae, fantaisies, canzone…) On se délecte de la sonorité claire et immaculée, alimentée au soufflet à force d’homme. On savoure le jeu vif et impeccable de Peter Waldner, aussi à l’aise dans le registre lyrique que pour les moments de danse, accordant tout son art aux grands compositeurs autant qu’aux pièces anonymes (le furtif et irrésistible Gazollo d’auteur inconnu).

Posé à même le sol, l’orgue de chœur de l’Abbaye de Stams s’avère plus fourni (12 jeux assemblés par le facteur Andreas Jäger en 1757) et s’active au gré d’une très audible mécanique qui contribue au réalisme de l’écoute, stimulée par l’incessant cliquetis. Le répertoire se consacre principalement à l’école germanique du Sud et son évolution durant le siècle précédant la construction de l’instrument. Le programme débute par la fringante Ballo della Battaglia de Storace (une des pièces maîtresses du référentiel CD The Heritage of Frescobaldi d’Andrea Marcon chez Divox), pour rappeler que la manière italienne féconda la musique d’Allemagne méridionale. La bibliothèque de Stams garde mémoire d’une transcription de la Canzona de Kerll, que nous entendons en compagnie de sa Toccata prima. L’itinéraire invite quelques noms célèbres (un Capriccio de Froberger, une Toccata de Muffat), d’autres moins (des Partite de Speth, une Aria de Murschhauser, un Ricercar et une Suite de Fischer) voire quasi inconnus, comme ce Severin Schwaighofer, organiste de la Cour impériale d’Innsbruck (1660-1676) dont Peter Waldner a retrouvé trace dans les archives de l’Abbaye. Les réflexions de l’interprète au sujet de la registration s’entendent par exemple dans l’alliage en creux Copel-Superoctave 2’-Cymbel utilisé pour la Toccata d’Eberlin, en respectant les préconisations consignées en 1707 par un organiste de la Cathédrale de Salzbourg. Durant tout ce parcours, Peter Waldner prouve combien sa pratique des claviers anciens cerne à la perfection la lettre et l’esprit des œuvres. La prise de son ne laisse rien perdre du charme des tuyaux, vivants comme jamais. L’intérêt documentaire rejoint le plaisir de l’oreille. Pas de quoi tergiverser un instant : au sein de la discographie du clavier Renaissance et Baroque, voilà un double-album magistral et grisant, à saluer comme tel.

Son : 9,5 – Livret : 9,5 – Répertoire : 9-10 – Interprétation : 10

Christophe Steyne

 

 

 

 

 

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