Cet opéra mérite une seconde chance

par

Aben Hamet de Théodore Dubois
Troisième opéra méconnu révélé par les scènes françaises ces dernières semaines, Aben Hamet de Théodore Dubois (1837-1924). Après Les Barbares de Saint-Saëns, et Herculanum de Félicien David, avons-nous eu droit de nouveau à une grande redécouverte ? Poser la question est y répondre : pas vraiment. Créé avec succès (en italien) au Théâtre des Italiens en 1884, l'opéra s'inscrivait dans la lignée des opéras d'inspiration exotique très en faveur à cette époque : pensons à Lalla Roukh de David (1862), Les Pêcheurs de perles de Bizet (1863), La Princesse jaune de Saint-Saëns (1872), Le Roi de Lahore de Massenet (1877) ou Lakmé de Delibes, bien sûr, qui le précède immédiatement (1883). Théodore Dubois n'était pas encore directeur du Conservatoire (1896-1905) mais, spécialiste de musique religieuse et prestigieux organiste de La Madeleine, représentait un certain académisme fidèle à la tradition Bizet, Gounod, Massenet, Saint-Saëns, hélas sans leur talent respectif. Et cela se ressent à l'écoute d'Aben Hamet. Déjà, son oeuvre concertante et de chambre, enregistrée récemment, démontrait un manque flagrant de personnalité. La montée sur l'estrade lyrique n'y changera rien. On ne peut s'improviser génie. Et pourtant, il y a de fort jolies choses dans la partition. L'écriture vocale est fluide, rappelant parfois Weber et surtout Gounod et Massenet. Parfois, l'on anticipe même  par un aspect fluide et aisé, et l’on pense à Hahn ou Messager : l'art de l'écriture vocale est certain, surtout dans les nombreux duos ou dans le finale de l'acte III, brillant. Les deux derniers actes se révèlent les plus intéressants. Au dernier, plus tragique, les choeurs ont de belles pages, a capella entre autres. Mais souvent, l'on s'attend à un beau développement, et... l'inspiration tourne court. Quelques échappées contrapuntiques laissent espérer, mais poursuivent conventionnellement (prélude III). Quant à l'orchestration, elle pose problème. Elle a été reconstituée par le maître des lieux, Jean-Claude Malgoire, sur base d’une partition piano-chant de 1888, l’originale reposant à la Bibliothèque nationale et non encore cataloguée. A l'écoute, on est frappé par une certaine lourdeur, une prédominance des vents (un saxophone envahissant) et des cordes fort en retrait. La mise en scène est-elle sobre ou inexistante ? L'intrigue est intéressante pourtant. Aben Hamet, prince musulman en exil à Carthage et fils du dernier roi des Abencérages (le livret est tiré de Chateaubriand) veut reconquérir la terre andalouse, mais tombe amoureux d'une princesse chrétienne. Il mourra dans une bataille ultime. La confrontation des religions et des conceptions est à peine esquissée par Alita Baldi, qui se contente de jolis décors et de costumes colorés. La qualité des chanteurs varie. Guillaume Andrieux et Ruth Rosique, tous deux très engagés, chantent leurs duos à merveille. Celui de l'acte III, un peu longuet, est fort ressenti. Mère hystérique du héros, Nora Sourouzian possède une voix (trop ?) puissante, trop dramatique, et Hasnaa Bennanni, fiancée délaissée, un joli petit timbre d'argent. Parmi tous les chanteurs, seul le duc de Santa-Fe de Marc Boucher, dans son unique scène, se distingue par une articulation française soignée. L'absence de surtitres s'est fait regretter, à ce propos. Les choeurs ne sont pas beaucoup intervenus (coupures ?) mais se sont bien comportés. Quant à Jean-Claude Malgoire et la Grande Ecurie et la Chambre du Roy, ils manquaient du "punch" nécessaire pour insuffler une véritable vie à cet opéra : je suis certain qu'il pourrait nettement mieux "sonner". Les attaques étaient molles, et le dramatisme de la partition - présent pourtant - en pâtissait : cela manquait cruellement de mordant ! Dommage pour tous les efforts produits. Quand on remonte un opéra complètement inconnu, on met tous les atouts dans son jeu. Ce n'était pas le cas.
Bruno Peeters
Tourcoing, Atelier lyrique, le 16 mars 2014

 

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