Création scénique belge d'un opéra de Philip Glass

par

© Annemie Augustijns

Akhnaten de Philip Glass
C'est à un bel événement qu'Opera Vlaanderen conviait le public belge : la création in loco du troisième opéra de Philip Glass. Après Einstein on the Beach (1976), et Satyagraha (1980), le compositeur parfait sa trilogie lyrique avec Akhnaten, créé en 1984. Il a depuis lors poursuivi sa veine dramatique : avec une quinzaine d'opéras à son catalogue, il est certainement l'un des plus prolifiques pourvoyeurs contemporains du genre (qui a dit que l'opéra était mort ?). Après la science et la politique, voici venir la religion dans son univers, avec ce portrait du pharaon Aménophis IV ou Akhenaton, resté fameux pour avoir fait table rase des anciens dieux et instauré le culte d'un dieu unique, le soleil Aton. Pris de vertige spirituel, il se crut dieu et fut contraint à l'exil. L'ancienne religion sera remise à l'honneur par son fils, le tout aussi célèbre Toutankhamon. La trame de l'opéra, en trois actes, est simple : I. Mort de son père et avènement d'une ère nouvelle. II. Adoption du nouveau culte d'Aton. III. Folie et exil du pharaon. L'intrigue est mince et bien proche de l'oratorio. Le sentiment d'étrangeté lointaine est renforcé par la linguistique : l'opéra est chanté en égyptien ancien, akkadien ou hébreu, hormis les interventions parlées du narrateur et l'hymne adressé au dieu soleil par le roi, chanté selon le voeu de Glass en langue vernaculaire, à Anvers le néerlandais. L'oeuvre est conçue pour solistes (le pharaon, son épouse Néfertiti, leurs six filles, sa mère la reine Tye, le Grand Prêtre d'Amon, un général), choeur important et orchestre fourni quoique privé de violons. S'y ajoutent un synthétiseur amplifié et une percussion abondante. Cet attirail conséquent est immédiatement mis en valeur, après une assez longue ouverture calme, par l'accompagnement fortissimo de l'enterrement d'Aménophis III, longue déploration funèbre d'un impact sonore formidable. Visuellement, le tableau est très  impressionnant, les choeurs clamant depuis des niches réparties de haut en bas de la scène. Les solistes, aux costumes chamarrés (Walter Van Beirendonck), se mêlent à la chorégraphie permanente d'Amir Hosseinpour. Le narrateur, Geert Van Rampelberg, plus acteur que récitant, n'est présent que sur écran, et déclame des textes pris dans la littérature de l'époque. La fin du premier acte voit le nouveau pharaon émerger des bandelettes de son père en une métamorphose saisissante, ponctuée par un crescendo de cloches. Le deuxième acte se concentre sur le couple royal, destructeur des images des anciens dieux et fondateur d'une ville nouvelle. Après une féroce danse des boucliers se place un duo d'amour, puis enfin l'hymne au soleil, pivot de l'oeuvre, d'une grande séduction mélodique. Une gigantesque structure grise et terne occupe le centre de la scène, symbolisant sans doute le monde ancien par rapport à la cité construite par Akhnaten représentée, elle, par une tapisserie grandiose, d'où émergent et où pénètrent des danseurs. Le dernier acte voit la déchéance de la famille du pharaon devenue folle et huée par le choeur furieux. L'épilogue, très prenant,  verra les héros costumés en touristes, errants dans ce qui fut leur ville il y a des siècles...  Plus encore que la mise en scène pure, finalement assez réduite (Nigel Lowery), danses, décors et costumes (les dieux-animaux du début, le couvre-chef en forme de poing, les capes dorées) forment l'essentiel de l'aspect visuel. L'influence des gravures sur bois de Frans Masereel est très nette, aussi bien dans les plans de ville que dans les nombreuses vidéos défilant sur écran. Evoluent aussi des figurants bizarres dont on ne connaîtra pas la signification : un rat, un nain, une fille ivre égorgée à répétition... Musicalement, l'orchestre et les choeurs (Jan Schweiger) de l'Opera Vlaanderen, en excellente forme, dirigés par Titus Engel, rendent à merveille la rutilance de l'écriture minimaliste de Glass en évitant toute monotonie : un orchestre d'opéra vise l'efficacité dramatique, c'est sa raison d'être et il réussit la gageure. Les chanteurs se différencient assez peu entre eux, hommes et femmes confondus, leurs partitions étant proches et les duos et ensembles constants. L'Akhenaton de Tim Mead, rôle de contre-ténor (créé par Paul Esswood), a ravi et son néerlandais a paru très correct. Ces dames, Kai Rüütel et Mari Moriya, tout comme les six filles royales, ont bien soutenu le pharaon. Les rôles masculins sont moins spectaculaires (Andrew Schroeder, James Homann), et le personnage d'Amon (Adam Smith, souffrant) a été interprété par deux bons choristes. Une belle représentation d'un opéra majeur de Glass, création belge qui plus est, dont la musique, la chorégraphie, les décors et les costumes éblouissent.
Bruno Peeters
Opera Vlaanderen, Antwerpen, le 15  février 2015

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