Dennis Brain, le roi des rois 

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Dans le monde du cor d’harmonie, il est un mythe et une légende ! Considéré comme le plus grand corniste de l’ère contemporaine, ce météore musical décédé prématurément dans un accident de la route reste, 100 ans après sa naissance, une référence absolue et un modèle pour toutes les générations de cornistes. Alors que Warner lui rend un superbe hommage avec la parution d’un coffret de 11 disques, Crescendo Magazine revient sur le parcours et la place de ce musicien. 

Dennis Brain voit le jour à Hammersmith, un quartier de Londres, le 17 mai 1921. La musique est l’ADN de la famille. Sa mère est une chanteuse appréciée au Royal Opera House de Londres et son père Aubrey Harold Brain est l’un des plus brillants cornistes de son époque, certains parlent même du meilleur instrumentiste de la première ½ du XXe siècle au Royaume-Uni ! Aubrey Harold Brain était professeur à la Royal Academy et soliste au BBC Symphony Orchestra. Le cor est presque l’instrument de la famille Brain : le grand-père Alfred Edwin Brain était un corniste émérite et son oncle Alfred Edwin Brain junior fut l’un des solistes du New York Symphony Society. Le jeune Dennis ne fera que perpétuer cette tradition familiale et son frère Leonard Brain s’orienta vers la carrière professionnelle mais s'illustra avec le hautbois. 

Si Dennis était naturellement destiné à l’instrument, son père était très strict et il l'a tenu éloigné du cor avant un certain âge ! En effet, le paternel pensait qu'il ne devait pas jouer avant que ses dents adultes se développent. Brain était autorisé à souffler quelques notes sur l’instrument de son père selon un rituel organisé tous les samedis, mais ses premières études musicales furent dédiées au piano et à l'orgue. 

En 1936, Dennis Brain intègre la classe de son père à la Royal Academy of Music et il effectue ses débuts de musicien professionnel le 6 octobre 1938 ! ll a 17 ans et il joue Bach sous la baguette d'Adolf Busch au pupitre de son propre orchestre les Busch Chamber Player, pionnier des orchestres de chambre professionnels. Père et fils se partagent régulièrement la scène et les commentateurs ont déjà relevé le talent du jeune homme qui poursuit avec brio l’excellence familiale. Il réalise son premier enregistrement en compagnie de son père en février 1939 avec Divertissement en Ré majeur de Mozart en compagnie du Léner Quartett.

En 1939, les deux frères Brain sont appelés sous les drapeaux. A l’inverse d’autres pays, y compris de l’Axe, les musiciens ne bénéficient d’aucune exemption au front, mais le Commandant d’Escadre O’Donnell, chef de la fanfare de la Royal air Force, évita aux frères Brian et à de nombreux jeunes talents de rejoindre les champs de bataille. Ces jeunes artistes sont versés dans la fanfare et l’Orchestre symphonique de la RAF. Avec cet orchestre de la Force aérienne britannique, Dennis Brain se rend en tournée aux USA et sa sonorité séduit d’emblée le grand chef d'orchestre Leopold Stokowski qui lui promet le poste de cor solo du Philadelphia Orchestra au sortir de la guerre. Le régime des orchestres militaires est assez souple et Dennis Brain peut continuer une carrière civile en se produisant pour la BBC aux côtés des grands artistes britanniques comme la pianiste Myra Hess ou le chef d’orchestre Sir Adrian Boult. En 1942, Brain rencontre Britten alors que le compositeur écrit une musique de scène pour l’orchestre de la RAF. Subjugué par le talent du corniste, il accepte de lui écrire une oeuvre : ce sera la Sérénade pour Ténor, cor et cordes, l’un des plus grands chefs d’oeuvres du répertoire de l’instrument. La première est donnée en octobre 1944 au Wigmore Hall de Londres avec, en solistes, Dennis Brain et le ténor Peter Pears et elle est enregistrée pour la firme Decca. 

A la fin de la Seconde Guerre mondiale, Dennis Brain a les orchestres anglais à ses pieds. Il occupe les fonctions de cor solo aux prestigieux Royal Philharmonic Orchestre de Thomas Beecham et au Philharmonia Orchestra que vient juste de fonder le producteur Walter Legge. C’est avec ses camarades philharmonistes et sous la baguette d’Herbert von Karajan qu’il enregistre, en 1953, l’intégrale des concerti pour cor de Mozart qui reste, depuis près de 70 ans, la grande référence dans ces partitions. D’autres gravures légendaires découlent de ces années au Philharmonia : la Symphonie concertante de Mozart avec Karajan, les concerti pour cor de Richard Strauss avec Wolfgang Sawallisch. 

Passionné par la musique de chambre, il fonde dès 1946 un quintette à vents avec son frère puis un trio avec le pianiste Wilfrid Parry et le violoniste Jean Pougnet. A partir de 1945, il se produit avec le London Baroque Ensemble dans un très large répertoire.  

Amoureux de la création contemporaine, passion qu’il tient de père, il étend le répertoire de son instrument en donnant les premières mondiales de plusieurs oeuvres dont le Canticle III : Still falls the rain de Britten, Le Trio pour cor, violon et piano de Lennox Berkeley, le Concerto pour cor, cordes et timbales de York Bowen, le Concerto pour cor de Paul Hindemith, le Concerto pour cor et orchestre à cordes de Gordon Jacob, le Concerto pour cor d’Elizabeth Lutyens, l'Aubade pour cor et cordes de Humphrey Searle, le Notturno pour cor et cordes de Mátyás Seiber et différentes partitions concertantes d’Ernest Tomlinson.

Fasciné, comme Herbert von Karajan, par les bolides et la vitesse, il aime les voitures de sport. Les deux hommes échangeaient régulièrement sur le sujet et comparaient les caractéristiques des bolides. Lors d’un passage à Lucerne, le chef laissa au corniste les clefs de sa Mercedes 300SL. Mais cette passion conduit à une tragédie : le 1er septembre 1957, à l'âge de 36 ans, Brain est victime d’un accident mortel en rentrant à Londres après un concert à Edimbourg sous la direction d'Eugène Ormandy. En hommage à Dennis Brain, Francis Poulenc composa son Élégie pour cor et piano qui fut créée le 1er septembre 1958, premier anniversaire de la mort du corniste, par son homologue Neill Sanders et le compositeur au piano.

Comme nous l’écrivions en introduction, 64 ans après son décès, Brain reste la référence de l’Instrument. Il est le corniste que tous les praticiens de l’instrument écoutent tant il reste un modèle absolu. Pour André Cazalet, cor solo de l’Orchestre de Paris : “Dennis Brain reste et restera toujours un modèle à la fois d’aisance instrumentale, de finesse et d’intelligence musicale, de qualité de son et d’articulation exceptionnels et pour finir d’une sécurité de jeu sans faille. Sa proximité et l’admiration qu’il a suscitée auprès de nombreux compositeurs de sa génération a considérablement élargi le répertoire du cor au XX° siècle.” Pour son confrère David Alonso, principal soliste de l’Orchestre Philharmonique de Rotterdam “Dennis Brain est pour moi le corniste le plus inspirant, beaucoup de ses enregistrements sont encore aujourd'hui au sommet. Il est pour moi une source d’inspiration quotidienne”. Cette légende Brain repose sur la popularisation du cor dans un contexte de renouveau de la musique classique porté par les évolutions de l’enregistrement. André Cazalet ajoute “musicalement et médiatiquement Dennis Brain a révélé aux cornistes et aux mélomanes, tout d’abord les concerti de Mozart et Strauss”

Mais face à un tel legs quel enregistrement écouter en priorité ? Nous avons demandé à David Alonso et André Cazalet de nous dire lesquels ils préféraient. Pour David Alonso, “Ses enregistrements de Auf dem Strom de Schubert sont très inspirants. Son jeu sensible est étonnant.” André Cazalet, il s’agit : “des quatre concerti de Mozart avec Karajan et le Philharmonia ; les deux concerti de Strauss avec Sawallisch et toujours le Philharmonia et la Sérénade de Britten avec Pears et Britten en personne

Le coffret Warner est l’hommage défini au musicien car il regroupe certes les grandes gravures de Mozart et Strauss, mais également toute une série de solos orchestraux tirés des intégrales d’oeuvres symphoniques, chorales ou lyriques : le Songe d’un nuit d’été de Mendelssohn, A Mass of Life de Delius, la Messe en si de Bach ou les Quatre derniers lieder de Strauss avec des chefs d’exception comme Kubelik, Beecham ou Karajan. On découvre également ses premiers enregistrements avec son père Aubrey Brian dans le Divertimento n°17 de Mozart ou dans le Concerto n°4 de Mozart avec le Hallé Orchestra. Le chambriste est représenté par des interprétations de référence de la Sonate pour cor de Beethoven, de la Villanelle de Paul Dukas ou les quintettes pour piano et vents de Mozart ou Beethoven. On est également heureux de redécouvrir les gravures avec le London Baroque Ensemble (Mozart, CPE Bach, J.Haydn, K.D von Dittersdorf ou même Gounod et R.Strauss). Une grande partie de ces gravures n’avaient jamais été rééditées. Enfin, on salue un inédit absolu : le septet Chanson et Danses de Vincent d’Indy, jamais publié depuis son enregistrement en 1953 ! Bien évidemment, ce coffret vaut pour l’art de Dennis Brian, mais également pour le niveau technique et musical phénoménal des musiciens anglais qui accompagnent le corniste. Des œuvres de Mozart et Beethoven à la Symphonie concertante de Mozart, tous sont magistraux ! Un must ! 

Dennis Brain, Homage. Enregistré entre 1938 et 1957. 1 coffret de 11 CD Warner 0190295019921

Nous remercions vivement André Cazalet et David Alonso

Crédits photographiques : Warner Classics

Pierre-Jean Tribot

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