Des Noces de Figaro hors sol à Garnier

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La nouvelle mise en scène des Noces de Figaro à l’Opéra de Paris est due à une spécialiste multimédia, Netia Jones, qui s’est intéressée jusqu’ici essentiellement à l’oratorio ou aux musiques contemporaines (Philipp Glass, Britten, Berio, Haendel par exemple). Elle prend comme point de départ son propre regard sur le fonctionnement d’une maison d’opéra quadricentenaire -vision en miroir et mise en abîme de « l’opéra dans l’opéra », avec aperçus sur la rue Scribe et le Foyer. 

L’action originelle se situe au XVIIIe siècle, à trois lieues de Séville, dans le château du Comte Almaviva, grand d’Espagne. Cette fois-ci, elle est transposée dans les coulisses d’un opéra contemporain.

L’Ouverture se déroule sur fond clignotant de régie laissant le public assez froid. Puis le plateau se divise en trois cases verticales séparées de cloisons qui masquent un tiers de la scène au public, à droite ou à gauche,... ce qui est fâcheux ! La loge du milieu est occupée par Figaro et Suzanne, respectivement perruquier et costumière. Le Comte et la Comtesse devenus artistes lyriques ainsi que les autres protagonistes entrent et sortent.

Sans contredire frontalement la dynamique de l’œuvre, la mise en scène lui reste étrangère par son statisme et une inventivité toujours sous contrôle. Quant à sa signification, elle semble  pour le moins obscure : le décompte de chronomètres géants fait-il allusion à la précipitation de la « folle journée » ?  Les portants de costumes s’étageant sur toute l’ouverture de scène évoquent-t-ils les travestissements à venir ? Et pourquoi trois fauteuils sous plastic remplacent-ils les bosquets au final ?

Les espaces-plans intègrent peu de volumes ou de perspectives tandis que des couleurs premières allant du gris-ordinateur au bleu-roi de la Comtesse ou à l’orange du jogging de Chérubin s’enrichissent peu à peu d’écarlate, de blanc et de noir. Ce déroulement d’images est émaillé de jeux de scènes discrets parfois puérils (Suzanne cachée sous la robe de la Comtesse, Chérubin qui se parle d’amour à lui-même en glissant la main dans son pantalon, petits rats de l’opéra en tutu aux prises avec des mâles libidineux, projection de slogans féministes… ) au rythme d’un texte dont ressort finalement intacte, la force intrinsèque.

La plupart du temps Netia Jones dispose ses personnages en rang d’oignons ou seuls face au public. L’expérience, le génie de Peter Mattei (Comte noble et tragique) ou la vivacité d’un Figaro (Lucas Pisaroni venu à la rescousse en dernière minute) ignorent le vide. Mais la soprano suédoise Maria Bengtsson, à la vocalité aussi rayonnante qu’ admirablement conduite, méritait un autre environnement qu’un coin de loge (Porgi amor II) ou un hangar rempli de sièges d’aéroport désaffecté (Dove sono III). Suzanne au format physique et vocal modeste, la soprano russe Anna El-Khashem en remplacement de Ying Fang, vêtue en infirmière suisse, peine à investir l’espace en dépit d’un timbre argentin, clair et légèrement nasalisé. Léa Dessandre (Chérubin) elle aussi limitée dans sa projection par des placements en retrait et un jeu de scène « ado-à-casquette » (sur une perruque indigne des ateliers de l’opéra), phrase agréablement, charme et danse en tutu comme le meilleur des coryphées. Marcelline (Dorothéa Röschmann), duègne sentencieuse, se voit privée de verve comique et...de son air. Mais cette grande dame du chant que l’on peut retrouver en Comtesse dans la mise en scène de David Vicar au Royal Opera House en DVD- BBC/ Opus Art- passe avec aisance au dessus de la fosse et des ensembles !

 A la tête d’un orchestre bariolé, Gustavo Dudamel lâche la bride, au risque de collisions harmoniques, de transitions abruptes et de décalages. La pulsion se fait parfois pesante tels les pizz. qui scandent les battements de cœur de Suzanna (Deh vienni non tardar). A une mise en place aléatoire s’ajoute un calibrage sonore qui couvre fréquemment les voix. Les hommes s’en sortent mieux à l’image de James Creswell (Bartolo) qui tire parti de son air de bravoure. En revanche, Don Basilio et Don Curzio se fondent dans la grisaille de leur costume. Barbarina solide, Ksenila Proshina n’est pas en mesure d’éveiller l’émotion faite de candeur et de gracilité  pour « ce qui est perdu » à jamais -et pas seulement la virginité lourdement soulignée ici ! Les Chœurs complètement en retrait laissent la vedette aux délicieuses ballerines de l’opéra justement applaudies. Retour au  XIXe siècle. Confusion générale pour qui découvre ce joyau du... XVIIIe siècle.

Un travail scrupuleux, beaucoup de stéréotypes, peu d’audace, aucune transcendance… Et Mozart ?

Bénédicte Palaux Simonnet

Paris, Opérar Garnier, 22 janvier 2022 

Crédits photographiques : Vincent Pontet / Opéra national de Paris

 

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