Carlo Tessarini, Hébert Leemans, deux compositeurs à la charnière du dernier Baroque et du style galant 

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Hébert Leemans (1741-1771) : Symphonies no 3 en mi bémol majeur, no 4 en ut majeur, no 6 en si bémol majeur, no 7 en fa majeur, no 9 en sol majeur, no 11 en ut majeur, no 12 en ré majeur. Vlad Weverbergh, Terra Nova Collective. Décembre 2020. Livret en anglais, français, allemand, néerlandais. TT 47’19 + 52’44. Deux CDs Etcetera KTC 1721

Carlo Tessarini (c1690-1767) : Contrasto Primo en ré majeur. Concertos a cinque Op 1 no 1 en mi mineur, Op 1 no 4 en ré majeur. Concerto a cinque en ré majeur pour flûte traversière. Grand Sinfonia Terza en fa majeur. Grand Sinfonia Quinta en sol majeur. L’arte di nuova modulacione. Francesco Baroni, Compagnia de Musici. Octobre 2003, réédition 2021. Livret en allemand, anglais. TT 64’02. Pan Classics PC10426

Quelle aurait été l’influence d’Hébert Leemans sur la symphonie française post-révolutionnaire s’il n’était prématurément disparu en sa trentième année ? Ce double-album de raretés permet d’envisager la contribution de ce compositeur brugeois venu à Paris où un premier opus y paraît en 1765, avec l’aide du petit-fils de Colbert. Attestant combien ce cadet d’une famille musicienne (son père était carillonneur et organiste dans la « Venise du Nord »), jouissant de la protection de sa marraine mariée à l’échevin, avait su percer dans les milieux aristocratiques de la capitale. Le confortable héritage que le jeune homme légua à sa famille confirme le succès de ses leçons (chant, violoncelle) et de ses partitions publiées. Essentiellement vocales, et orchestrales. Où ses quatorze symphonies furent-elles jouées ? On n’a pas retrouvé trace qu’elles résonnassent au Concert Spirituel. Furent-elles donc programmées voire écrites à l’intention du Concert des Amateurs tout nouvellement constitué en 1769 et fort de plus de 70 exécutants ? Dans quels cercles mondains furent-elles entendues ? Maintes questions demeurent, tout comme la localisation d’un opus 2 qu’on n’a point encore retrouvé.

La sélection que nous entendons sur ce disque s’inscrit encore au berceau du genre, à la suite de la production de Johann Stamitz et François-Joseph Gossec, alors que Jean-Philippe Rameau venait de tirer sa révérence en 1764. La nomenclature s’ancre bien sûr dans les cordes (une quinzaine dans cet enregistrement) et prévoit des alternatives pour les bois, notamment en faveur de la clarinette : nous les entendons seulement dans la Symphonie no 3 (Borja García Mata et Joost Hekel), où elles ont été préférées aux hautbois. Par ses rehauts dramatiques, l’Adagio de cet opus en mi bémol majeur est d’ailleurs un des mouvements les plus intéressants de cette heure et demie. Les menuets sont bien troussés, les allegros moulinent, les finales s’activent presto. Et avec une verve cynégétique (bravo à Bart Cypers et Mark De Merlier) dans le finale de la Symphonie en ré majeur, dont on goûte aussi les apartés chambristes de l’Andante grazioso.

Rien de bien neuf, mais Leemans n’a pas à rougir de son labeur, et sait habiter un discours varié même quand il ne s’extirpe guère des conventions. Il a trouvé un ardent avocat avec Terra Nova Collective, qui a par ailleurs consacré un autre album, chambriste, à notre homme. L’ensemble soufflera cette année ses dix bougies. Vlad Weverbergh sait y rassembler quelques-uns des meilleurs pupitres du moment, dont Carlotta Garcia et Matteo Gemolo aux flûtes. L’enthousiasme et l’implication de ce cénacle à haut rendement font plaisir à entendre. Au revers de cet anabolisme, notre unique déception provient de la physionomie voilée et boursouflée par les micros, qui épaissit l’articulation et farde les timbres. Dommage surtout que l’acoustique laisse ainsi éructer les basses, mazoutant la finesse d’élocution. Positivons en concluant que cette captation à testostérone renforce l’impact brut de cette réalisation, admirable sous l’angle artistique.

Réédition d’une anthologie initialement parue sous étiquette Symphonia, vouée à ce contemporain de Pietro Locatelli, témoin du Baroque flamboyant puis du style galant. Né au bord de l’Adriatique, actif en Italie centrale et septentrionale (fut-il élève de Vivaldi à Venise ?), sa carrière de virtuose l’amena en Bohême, en France, en Allemagne et aux Pays-Bas où l’on perd sa trace. Aussi théoricien et pédagogue (on lui doit une méthode pour jouer le violon), le compositeur jouit d’un certain prestige et sa discographie s’est garnie au fil des décennies : à l’origine, on se souvient du Concerto en ré majeur joué à la trompette par Maurice André que Jean Thilde avait arrangé d’après un original pour flûte (Erato, 1958). L’opus 3 par Fabrizio Ammetto et son équipe (Bongiovanni), les opus 1, 2 et 14 autour de Marco Pedrona (Calliope / Indésens) et quelques albums chez Brilliant en constituent les CDs majeurs.

Au-delà de manuscrits disséminés dans toute l’Europe, Tessarini est l’auteur d’une quarantaine de recueils instrumentaux édités officiellement (Rome, Paris…) qui cultivent diverses formes de l’époque : sonates, duos, divertimenti, concertos et même la symphonie classique en son berceau. Le présent album se présente comme une anthologie qui couvre une quarantaine d’années de production du compositeur. Certaines publications ne reçurent pas son aval, ainsi l’opera prima dont nous entendons ici deux Concertos a cinque (les douze concertos furent gravés par Marco Pedrona et son ensemble Guidantus chez Calliope).

On souhaiterait tantôt davantage de lisibilité (allegro assaï du Contrasto Primo), d’abandon (largo de l’opus 1 no 1), de caractère (la Sinfonia Terza avec cors). On souhaiterait que le flamboiement semble moins timoré dans L’arte di nuova modulacione, que le violon solo (Susanne Scholz) s’affirme davantage, que l’accompagnement soit plus inventif et investi. Le parcours adroitement sélectionné s’écoute toutefois avec plaisir, surtout cet éloquent Concerto pour flûte où la traversière de Stefania Marusi charme par sa grâce ingénue, et cette fringante Sinfonia Quinta qui conclut non sans attrait.

Leemans : Son : 6 – Livret : 9 – Répertoire : 8 – Interprétation : 9,5

Tessarini : Son : 8 – Livret : 9 – Répertoire : 8 – Interprétation : 7,5

Christophe Steyne

 

 

 

 

 

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