Fabio Biondi rend hommage à Vivaldi et à ses élèves orphelines

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Antonio VIVALDI (1678-1741) : Concerti per La Pietà : Concerto per due violini, RV 513 ; Concerto per violino « per la Signora Chiara », RV 222 ; Concerto per violino, organo e violoncello, RV 554a ; Concerto per viola d’amore, liuto ed archi, RV 540 ; Concerto per archi ripieno, RV 152 ; Concerto per violino « per Anna Maria », RV 349. Europa Galante, Fabio Biondi, violon solo et direction. 2020. Livret en anglais, en français et en allemand. 71.04. Glossa GCD 923414.

A Venise, au temps de Vivaldi, l’Orphelinat Pio Ospedale della Pietà accueillait depuis plus de deux siècles des petites filles abandonnées dès leur naissance, fruits d’amours illégitimes ou issues de milieux défavorisés. Elles y bénéficiaient d’une éducation et d’un enseignement de qualité, notamment musical, qui fut confié à des compositeurs comme Galuppi, Gasparini ou Vivaldi. Ce dernier y œuvra pendant plusieurs dizaines d’années et composa à tour de bras, pour ses élèves douées, des partitions dont l’exécution attirait la foule des grands jours. A l’occasion de l’anniversaire d’une aventure qui dure déjà depuis trente ans et qui commença par une gravure célèbre des Quatre Saisons, l’ensemble Europa Galante, fondé par Fabio Biondi en 1990, rend hommage à ces musiciennes. On rappellera que cette formation est riche d’une importante discographie consacrée à Vivaldi, mais on y retrouve aussi les noms de Scarlatti, Corelli, Pergolèse, Sammartini, Boccherini, Bach ou Mozart… Que de réussites, que de merveilles, auréolées par de multiples récompenses !

La couverture de la pochette de ce CD montre le visage et les yeux tristes d’une enfant, les cheveux recouverts d’un châle. Image poignante, qui prend un caractère symbolique lorsque la notice rappelle qu’à l’époque où les élèves féminines de Vivaldi se produisaient, on avait l’occasion de « les écouter sans pouvoir les voir (religion oblige) ». Peut-on parler de « double peine » pour ces toutes jeunes filles qui non seulement avaient été abandonnées à leur sort, mais étaient en plus condamnées à l’anonymat au cœur de la création artistique ? Fabio Biondi et ses instrumentistes les ressuscitent en quelque sorte en leur conférant un visage musical d’une infinie douceur et, en même temps, une revanche artistique sur un sort injuste. Six concerti au programme, illuminés par un lyrisme intense et une beauté qui parle au cœur, d’autant plus que la diversité des instruments solistes fait la démonstration de la richesse de l’inspiration vivaldienne et de son incroyable fertilité.

Avec un cadeau en prime : le premier enregistrement mondial de deux concerti dans des versions du Conservatoire de Venise, le RV 222 « per la Signora Chiara », différent de celui de la Bibliothèque de Turin, et le RV 349 « per Anna Maria », élève privilégiée, considérée comme l’une des inspiratrices de Vivaldi, pour laquelle les cadences, de la main du compositeur, offrent des moments touchants. La notice les rapproche plutôt d’élans amoureux pour une autre Anna, qui est alors sa maîtresse. Ces pages d’un tact raffiné et d’une éloquence discrète ont un côté magique que Fabio Biondi sert avec une captivante subtilité. L’ensemble de ce CD provoque cette même impression chez l’auditeur, car l’émotion domine au fil d’un parcours qui débute par le très élégant RV 533 pour deux violons (Biondi avec Andrea Rognoni) écrit par le compositeur à la veille de ses soixante ans et dont le troisième mouvement  « culmine dans une cadence écrite par Vivaldi pour les deux violons, cas probablement unique dans toute son œuvre », comme le précise dans le texte de présentation Pierre Elie Mamou, à qui l’on doit des ouvrages de la série pour enfants « Il était une fois la musique », dont l’un est consacré à Vivaldi. 

Le concerto RV 544 est ici dans sa version où le violoncelle remplace le hautbois dans un langage tour à tour aérien et mélancolique, au sein duquel le violon et l’orgue murmurent et susurrent avec leur partenaire. Paola Poncet est à l’orgue et Alessandro Andriani au violoncelle, vaporeux et bucolique. Dans le RV 540, le maître du jeu, Fabio Biondi, est à la viole d’amour, ici un instrument de 1758 dans son état originel, d’une admirable tenue dans un dialogue vif ou alangui avec le luth de Giangiacomo Pinardi, la couleur orientale venant s’ajouter aux élans lyriques. Le bref concerto RV 152 propose un Andante molto qui comble nos sens par des saveurs aériennes.

Ce très beau CD, d’où émane une infinie tendresse, rappelle que la musique peut aider ceux ou celles que la vie ne ménage pas dès leur venue au monde. Enregistré à la Villa San Fermo de Lonigo, commune de la province de Vicence en Vénétie, du 20 au 22 mai 2019, il vient s’ajouter aux nombreuses réussites d’Europa Galante et de son fondateur. Gageons que Fabio Biondi et ses instrumentistes vont encore nous réserver des moments gratifiants que nous accueillerons avec des soupirs d’aise.

Son : 9.    Livret : 8.   Répertoire : 9.   Interprétation : 10

Jean Lacroix 

 

 

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