Stéphanie D'Oustrac enflamme le Liceu avec La Clemenza di Tito 

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L’avant-dernier opéra de Mozart, fruit d'une commande pour fêter le couronnement de Léopold II de Habsbourg-Lorraine, frère de Marie-Antoinette et éphémère empereur d'Autriche, fut écrit pratiquement en même temps que la Zauberflöte, pendant les derniers mois de vie du compositeur. Pressé par le temps, Mozart chargea son élève Süßmayr d'écrire une grande partie des récitatifs. Ouvrage à peine joué pendant le XIXe siècle, il ne fut présenté à Barcelone qu'en 1963, partageant le sort ingrat d'ouvrages aussi intenses que Così fan tutte ou Idomeneo. Si La Clemenza n'a pas la densité dramatique de la trilogie Da Ponte, elle n'est pas pour autant moins transcendante, aussi bien dans sa dramaturgie musicale que par l'ineffable beauté d'un grand nombre d'airs. Dont ceux avec instrument « obbligato », un genre pour lequel Mozart laissa des œuvres majeures comme « Ch'io mi scordi di te », pour la reprise d’Idomeneo avec piano soliste qu'il joua lui-même plusieurs fois. Ici, le « Parto, parto » de Sesto avec clarinette et le « Non più di fiore » de Vitellia avec le « corno di bassetto » sont des moments-clé de l'œuvre. 

Le livret de Caterino Mazzolà est un remaniement de Metastasio, lui-même inspiré des Bérénice de Corneille et Racine. Le sujet, au départ quelque peu pamphlétaire au bénéfice de la monarchie des Habsbourg pendant les convulsions de la période révolutionnaire, n'est pas moins l'objet de réflexions philosophiques sur le pardon et la rédemption, thèmes biens chers à la franc-maçonnerie. Et certainement empreint aussi de « cette tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir de la Tragédie », dont parlait Racine.

C'est l'Ecossais David McVicar qui signe la mise en scène, conçue en 2011 pour le Festival de Aix-en-Provence en co-production avec l'Opéra de Toulouse, la Scottish Opera et l'Opéra de Marseille. Version reprise ici par Marie Lambert, détail qui n'est pas anodin car il pose en question la responsabilité de l'auteur d'une mise en scène face aux versions ultérieures. L'action est transposée à l'époque du Premier empire napoléonien, ce qui nous rapproche temporairement des enjeux politiques que connut Mozart, tout en laissant quelques contradictions avec le texte chanté (on envoyait alors les condamnés à la guillotine plutôt qu'aux arènes...) mais cela ne dénature pas vraiment l'histoire, ce qui devient de nos jours une mode assez pénible.

La véritable protagoniste de la soirée fut le mezzo-soprano Stéphanie d’Oustrac qui, en Sesto, faisait ses débuts au Liceu. Elle a réussi une performance sans faille : le foisonnement de couleurs de sa voix, l'intelligence musicale, l'élégance de ses coloratures et le soin incroyable apporté au jeu de ce « traître par amour » avec tout son poids de culpabilité, de regrets, d'émotions de toutes sortes qu'elle transmet avec une telle sincérité que le frisson nous prend lorsqu'elle chuchote à Vitellia, dans son grand air, les fameux « guardami... » en résumant tout l'amour du monde... 

Vitellia, l'intrigante, est incarnée par la soprano grecque Myrtò Papatanasiu. Son instrument est brillant, nulle crainte pour les tessitures extrêmes (deux octaves et demie...), une colorature souple et lumineuse et un engagement scénique intense qui construisent parfaitement son personnage cheminant de la colère et du dépit vers l'amour sincère et le pardon. Dans le feu de l'action apparaissent ici et là quelques écarts de justesse, finalement sans transcendance. 

Anne-Catherine Gillet, en Servilia, nous offre une performance vocale franche: son air « S'altro che lagrime » joint l’éclat à la tendresse requise par son changement d'attitude envers Sesto. Mais son rôle reste moins affirmé car le couple qu'elle forme avec l'Annio de Lidia Vinyes-Curtis ne fonctionne pas vraiment : celle-ci n'a pas la voix qui donnerait suffisamment de crédibilité à un personnage masculin, écrit pour le castrato Domenico Bedini. Ici, l'instrument est trop linéaire, mono-couleur et le jeu de scène peu affirmé. Il y a quelque temps, Gérard Mortier créait la polémique à Madrid en affirmant que les chanteurs espagnols n'avaient pas le sens du style pour Mozart... A mon avis, ici, c'est le contraire : c'est la voix qui est en défaut, et Dieu sait s'il y a des voix incroyables dans ce pays. Mais aussi, scéniquement, on dirait qu'on assiste à un drame entre Sesto et Vitellia auquel ne semblent pas participer Annio, Servilia et Tito, ce qui met en cause la direction d'acteurs. 

Tito est assumé par le ténor Paolo Fanale, une voix solide et brillante, à la diction transparente, mais on aurait souhaité plus de souplesse dans la colorature et un engagement dramatique plus abouti. Il ne nous fera pas oublier Christoph Prégardien dans la célèbre production des Hermann.

La direction de l'ensemble par Philippe Auguin débute avec peu de conviction et de contrastes dramatiques dans l'ouverture, mais on mesure très vite combien il est un complice parfait pour les chanteurs, auxquels il apporte un soutien discret, nuancé, efficace et plein de subtilités de timbres. L'orchestre offre vraiment toute sa palette sonore, la clarinette solo de Darío Mariño étant un pur régal. Rodrigo de Vera, au clavecin, donne support aux récits avec le bon sens et la discrétion adéquats. Le Choeur de la maison nous comble, enfin, avec une délicate version de « Ah grazie si rendano ».

Barcelone  Liceu, 27 février 2020

Crédits photographiques : A.Bofill

 

 

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