Fatma Saïd, le chant de l’âme 

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La soprano Fatma Saïd est une chanteuse qui met le monde à ses pieds. Son album El Nour a fait l’évènement par l’originalité de son concept, et chacune de ses apparitions séduit le public et les commentateurs. Les comparaisons sont des plus flatteuses alors que l’on voit en elle une nouvelle “Maria Callas”. Crescendo Magazine rencontre une musicienne qui franchit les frontières des genres et qui pose un regard fin sur son époque.

Votre album se nomme “El Nour”, ce qui signifie la Lumière. Pouvez-vous nous en expliquer le concept ? 

Mon premier album El Nour, "la lumière" en arabe, a pris des années à se faire. Avec lui, j'ai voulu explorer comment une musique qui a été interprétée de nombreuses fois peut être présentée de différentes façons, sous un autre jour. Il relie trois cultures et trois langues -l'arabe, le français et l'espagnol- et montre combien, malgré les différences culturelles, géographiques et historiques, elles ont en commun sur le plan musical.

Le panel de compositeurs proposé est très large : Maurice Ravel, Hector Berlioz, mais aussi des compositeurs comme Fernando Obradors ou Philippe Gaubert sans oublier Ğamāl Abd al-Rahīm, Najib Hankache, Said Darweesh, Elias Rahbani, Dawoud Hosni. Comment les avez-vous choisis ?

Je pense que ces trois cultures ont beaucoup plus en commun que nous le pensons. L'occupation française de l'Égypte et l'immigration arabe en Espagne ont créé au fil des ans des liens et des connexions artistiques que je peux vraiment ressentir dans la musique de ces trois cultures. Je me suis toujours sentie très proche de la musique espagnole, française et méditerranéenne et il était tout simplement logique de savoir pourquoi. Cette combinaison représente vraiment mon propre goût musical et me représente en tant qu'Égyptienne. L'Égypte a été fortement influencée par des pays comme l'Espagne et la France, mais elle les a aussi influencés sur le plan historique, artistique, littéraire et musical.

Cet album est une ode à l'ouverture avec des œuvres des trois cultures. Le monde contemporain évolue tristement vers un repli sur ses frontières, bien avant la pandémie qui n’a fait qu'amplifier le phénomène. Cette situation vous inquiète-t-elle ? En quoi la musique peut-elle contribuer à rapprocher les gens au-delà du repli sur soi ?

J'ai toujours pensé que la musique est un outil très puissant pour relier non seulement les êtres humains mais aussi les nations. Certains peuvent considérer cet album comme un moyen de mettre en lumière les différences entre ces cultures, mais mon idée était en fait de montrer à quel point elles sont proches malgré leurs différences. Le monde est devenu si connecté que nous devenons des citoyens du monde plutôt que des citoyens de pays individuels. Je crois que la musique est toujours un élément qui nous rappelle le pouvoir d'être une seule et même unité.

La presse ne tarit pas d'éloges envers vous (éloges des plus justifiés). J’ai ainsi lu, en préparant cet entretien, un article titrant “Fatma Saïd, la nouvelle Maria Callas”. Je présume que cette comparaison vous fait plaisir, mais est-ce que cela a une signification particulière pour vous ?

Je me sens très honorée et flattée, bien sûr, d'être comparée à une icône, à une idole de l'opéra comme Maria Callas, mais il me reste encore un long chemin à parcourir en termes de maturité vocale et mentale pour approcher qui elle est et ce qu'elle représente pour moi. Il n'y a personne comme Callas.

Vous avez étudié à la Hochschule Hanns Eisler de Berlin. C’est une école prestigieuse qui attire de plus en plus de jeunes issus du monde méditéranéen. Je pense à plusieurs d’entre eux comme l’altiste Sindy Mohammed qui est d’origine egyptiènne. Qu’avez-vous trouvé dans cette école qui en fait un pôle d’attraction majeure ?

La principale chose qui m'a attirée à la Hochschule Hanns Eisler, c’était mon professeur de chant, le Professeur Renate Faltin. Je voulais vraiment étudier avec elle et elle m'enseigne encore aujourd'hui. J'ai beaucoup de chance de l'avoir. J'ai également eu la chance de travailler avec des professeurs et des coachs vocaux extraordinaires qui ont fortement influencé ma voix et mon interprétation musicale, comme Claar Ter Horst, Wolfram Rieger, Julia Varady et Anita Keller. La Hochschule Hanns Eisler compte des professeurs incroyables et m'a fourni une excellente formation que je porte avec moi à chaque étape de mon parcours.

Vous êtes de nationalité égyptienne. Quand on pense à l'Egypte et au chant, on fait naturellement l'association avec des légendes du chant arabe comme Oum Kalthoum, Asmahan ou Leila Mourad. Est-ce que ces figures sont des sources d’inspiration(s) pour vous ?

Bien sûr ! Ce sont des icônes du monde arabe que j'admire vraiment. Chacune d'entre elles est tellement unique et a quelque chose de très spécial, de complètement différent des autres. Ces chanteurs, même s'ils n'étaient pas des chanteurs d'opéra, avaient simplement une technique de chant remarquable que j'ai toujours admirée. Je les admire pour la façon dont ils ont préservé leur voix et dont ils ont su tirer le meilleur parti du cadeau qui leur a été fait.

On vous connaît très engagée dans différentes causes : l'éducation, la jeunesse, les droits de l'homme. L'artiste doit-il foncièrement être engagé dans son temps ?

Je ne suis pas en mesure de "généraliser", et je ne suis pas ici pour parler au nom de mes collègues. Toutefois, en ce qui me concerne, je pense qu'il est important d'utiliser la musique comme moyen de répandre la paix et l'espoir d'un avenir meilleur. J'aime avoir un message plus "global" et plus "humain" derrière certaines de mes performances.

La musique classique est de plus en plus attaquée pour son prétendu élitisme et sa trop faible prise en compte des diversités. Vous qui avez été la première chanteuse égyptienne à intégrer l’Académie de la Scala de Milan, qu’en pensez-vous ? Comment voyez-vous l’avenir de la musique classique ?

En tant qu'Égyptienne, j'ai eu la chance de connaître la musique classique dès mon plus jeune âge. Ce n'est pas du tout la norme dans mon pays. Je pense que l'Égypte a un très fort potentiel pour produire de grands chanteurs d'opéra et des musiciens classiques à l'avenir si le système commence à soutenir davantage les arts et à intégrer l'éducation musicale dans les écoles dans le cadre du programme principal. Je suis fermement convaincue que la musique doit être considérée comme faisant partie des droits de l'enfant.

L'éducation musicale n'est pas seulement importante pour que les enfants deviennent musiciens, c'est une éducation qui les aidera à devenir de meilleurs humains et qui devrait accompagner tout ce qu'ils décident de faire. C'est comme le sport. Nous ne pratiquons pas les sports pour devenir nécessairement des sportifs professionnels, nous le faisons pour rester en forme car c'est un mode de vie sain et c'est bon pour notre corps et notre esprit. La musique a le même effet et devrait être considérée de la même manière.

Le site de Fatma Saïd : www.fatmasaid.com

  • A écouter : 

"El Nour."Mélodies françaises (Ravel, Bizet, Berlioz, Gaubert), arabes (Rahbani, Hosni, Abdel-Rahim, Darweesh) et espagnoles (de Falla, Garcia Lorca, Serrano, Obradors). Fatma Saïd, soprano. Instrumentistes : Malcolm Martineau, Rafael Aguirre, Burcu Karadağ, Tim Allhoff, Itamar Doari, Henning Sieverts, Tamer Pinarbasi, Vision string quartet.  Warner Classics, octobre 2020.

 

Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot

Crédits photographiques : Parlophone Records Ltd

 

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