Fazil Say et sa foi en Beethoven

par

Ludwig van Beethoven (1770 - 1827)
Concerto pour piano et orchestre n°3 en do mineur, op. 37
Sonates pour piano n° 32 en do mineur, op. 111 et n°14 en do dièse mineur "clair de lune", op. 27 n°2
Fazil Say, piano, Frankfurt Radio Symphony Orchestra, dir.: Gianadrea Noseda
2013-DDD-73'42''-Texte de présentation en français, anglais et allemand - Naïve V 5347

Défenseur des valeurs laïques, athée revendiqué, Fazil Say garde la foi en Beethoven, mais en un Beethoven non orthodoxe. Voilà très certainement des interprétations qui ne feront pas l'unanimité. Dans le concerto, il est accompagné par un Frankfurt Radio Symphony Orchestra vigoureusement harnaché par Gianadrea Noseda, le spécialiste des symphonistes post-romantiques italiens. Comme à son habitude, Fazil Say ne respecte guère les tempi traditionnels et les exagère souvent. Les cadences justifient à elles seules l'achat de cette version. Le livret n'en indique pas son auteur. Ce ne sont pas celles que Beethoven nous a laissées; on peut donc présumer qu'elles sont dues à Fazil Say lui-même que l'on sait être un compositeur reconnu. Dans la cadence du premier mouvement, on sera étonné par une fugue avortée et par un passage en boîte à musique; dans celle du troisième mouvement, c'est l'évocation du finale de la première symphonie qui nous fera sursauter. Les sonates réservent également de beaux moments même s'ils peuvent prêter à la critique comme l'extrême lenteur du premier mouvement de la sonate Au clair de lune ou les trilles des variations de l'Op. 111.

Rappelons Leonard Bernstein lors de son désaccord historique avec Glenn Gould sur l'interprétation du 1er Concerto de Brahms : Vous êtes sur le point d’entendre une interprétation peu orthodoxe, dirons-nous, du Concerto en ré mineur de Brahms, une interprétation nettement différente de toutes celles que j’ai pu entendre ou que j’aurais pu imaginer, à vrai dire, par ses tempi remarquablement larges et ses fréquentes digressions par rapport aux indications dynamiques de Brahms. Je ne pourrais dire que cette perception de M. Gould rencontre mon entière approbation, et cela soulève la question de savoir pourquoi j’ai accepté de la diriger. Je la dirige parce que M. Gould est un artiste si brillant et si sérieux que je me dois de prendre au sérieux tout ce qu’il conçoit de bonne foi, et sa perception de la pièce présente un intérêt suffisant pour qu’il soit bon, à mon avis, que vous l’entendiez vous aussi.
On peut avoir le même sentiment ici et remplacer ré mineur par do mineur, Brahms par Beethoven et Glenn Gould par Fazil Say. Ce dernier se justifie d'ailleurs en précisant que pour lui, la question primordiale n'est pas le texte musical lui-même mais l'univers mental et émotionnel du compositeur. Interpréter, c'est chercher l'adéquation entre cet univers-là et le vôtre.
Jean-Marie André

Son 9 – Livret 8 –  Répertoire 10 – Interprétation 8

 

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