Bruckner à l'Orchestre National de Lille : un enjeu sur la structure et l'orientation

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© Ugo Ponte@onl.fr

Anton Bruckner : Symphonie n°5
Orchestre National de Lille, Theodor Guschlbauer, direction
Si Wagner considérait Bruckner comme le Beethoven des temps modernes, ce n'est pas en vain. L'Orchestre National de Lille proposait ce jeudi une lecture éblouissante de la Cinquième Symphonie de Bruckner. Quatre mouvements pour 1H15 de minutes sans pause. Quels enjeux pour ce montre symphonique ? C'est bien connu, Bruckner aime les grandes œuvres aux dimensions parfois surréalistes. Si l'on ne connaît pas ce répertoire, les blocs qui se juxtaposent parfois sans réelle transition peuvent en étonner plus d'un. Pourtant, Bruckner est l'un des plus grands constructeurs de forme musicale, tant pour la structure générale que pour les motifs thématiques. Il suffit de prêter une attention particulière au rôle de la basse, extrêmement orientée vers un point culminant, un « climax » comme on aime les appeler aujourd'hui. Car c'est de ça qu'il s'agit : l'orientation. Que serait une symphonie de Beethoven sans orientation, sans direction ? Un flot de notes sans intérêt fonctionnant juste entre elles. L'écriture de Bruckner est en cela proche du compositeur viennois. Parvenir à exprimer une idée thématique, à la développer, à la déstructurer et en faire un pôle dans la partition, comme le faisait très justement Brahms dans ses symphonies ou ses concerti, voilà un trait de génie digne des plus grands. Pourquoi les Symphonies de Bruckner ont-elles la fâcheuse tendance d'inquiéter les orchestres et leurs chefs ? Parce que construire un tel sommet sans se perdre dans la forme et donc tomber dans l'ennui et la répétition, constitue la difficulté principale. L'ONL et son chef d'un soir sont parvenus à créer une vraie dynamique pour cette exécution. Le chef, dirigeant par cœur, conduit l’œuvre magistralement avec une précision inégalable. Plus impressionnant encore, les registres et les masses sont modelés uniquement à l'écoute des sons. Aucun instrument n'est oublié -tous les départs sont donnés ici- tandis que le chef est à l'affût de dynamiques et timbres riches. Aucun ennui dans le long premier mouvement. La forme est aboutie, clairement réfléchie et comprise. Les masses sonores titanesques de Bruckner ressortent sans dureté de son ou surpuissance. Toutes les transitions -aucune n'est oubliée- sont conduites avec cohérence tandis que les passages plus calmes mais toujours nerveux sont timbrés à souhait sans aucune exagération. Le second mouvement, lent, est caractéristique des plus belles pages expressives du compositeur. Chaque contour mélodique, parfois surprenant, est pensé tandis que l'on ne perçoit aucun moment de répétition ou de mimétisme. Le Scherzo est dansant, vif et précis. Battue souple pour le chef sans jamais la moindre dureté. Chaque retour de thème est un rappel, une sorte de réveil cognitif pour l'auditeur et novateur à chaque fois. Le dernier mouvement reprend le motif principal, en variant, pour notre plus grand plaisir. Le chef montre à nouveau qu'il peut jouer la même chose en proposant des couleurs, des dynamiques et une orientation différentes. Malgré la masse importante (félicitons d'ailleurs les cuivres pour leur étonnante capacité à rester justes et expressifs durant toute l’œuvre), le chef dirige avec des gestes modérés mais précis. Pas de grande représentation théâtrale mais une battue qui tend à modeler le son et l'orientation, au service de la musique pour un chef habitué du style. Allons ! il ne faut pas toujours s'agiter ou faire de grands gestes pour offrir de la musique « juste ».
Ayrton Desimpelaere
Lille, Nouveau-siècle, le 5 juin 2014

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