Féerie allemande sous influence psy

par

Vue d'ensemble © Opéra National de Paris, Monika Rittershaus

Hänsel et Gretel de Humperdinck
Hänsel et Gretel (1893) d'Engelbert Humperdinck (1854-1921) sur un livret d' Adelheid Wette, sœur du compositeur, d'après le conte des frères Grimm, entre aujourd'hui au répertoire de l'Opéra National de Paris.

Le rideau se lève sur la «coupe» géométrique d'une maison bourgeoise : divisée en 4 compartiments séparés en leur milieu par l'axe d'un arbre stylisé (la forêt?) qui sera remplacé au tableau III par un gâteau factice. L'action se situe tantôt dans une case, tantôt dans une autre, selon que l'on se place du point de vue de la réalité ou du fantasme. De «vrais» enfants doublent les chanteurs en une pantomime aléatoire. On a la sensation que c'est la salle elle même qui entoure, telle l'intérieur de la maison maléfique, cette façade de casiers/clapiers. Comme si, déjà prisonniers, les héros étaient exhibés aux regards d'un public-sorcière. Public voyeur, concupiscent, avide à dévorer les petits animaux-personnages encagés.
Pourtant, durant tout le premier tableau c'est l'idyllique vie familiale allemande, espiègle, animée et rieuse qui nous est représentée avec une justesse tout à fait «gemütlich». Douceur du foyer, pour laquelle fut précisément composée ce divertissement, célèbre outre-Rhin parmi bien d'autres, ensuite élargi par son auteur aux dimensions d'un «Märchenoper» en 3 tableaux. Opéra créé le 23 décembre 1893, à Weimar, sous la direction de Richard Strauss.
Ces tendres scènes de genre, typiques de l'«Heimat» germanique s'animent grâce à l'excellent quatuor des parents et enfants- Jochen Schmeckenbecher (Peter) Irmgard Vilsmaier (Gertrud) Daniela Sindram (Hänsel) et la délicieuse ardennaise Anne-Catherine Gillet (Gretel).
Le petit marchand de sable et le petit bonhomme rosée sont remplacés par une amie de la famille (Elodie Hache) et une fée clochette hollywoodienne (Olga Seliverstova) avant que le gâteau n'apparaisse et qu'en jaillisse la sorcière Grignotte alias Anja Silja toute scintillante d' aigus acérés, plus actrice que chanteuse dans les graves. Cohabitent araignée échappée de l'atelier d'Odilon Redon (pourquoi?) métamorphose de la sorcière-mère en danseuse de French cancan (re-pourquoi?) pour conclure avec l'arrivée des enfants- pain d'épices délivrés (Chœur d'enfants de l'Opéra national de Paris et Maîtrise des Hauts de Seine)...
La double « mise à distance» voulue par la librettiste-soeur du compositeur d'abord – qui a édulcoré (!) le conte de Grimm, puis par la régie ensuite qui a supprimé tout substrat concret au profit d'une lecture freudienne discutable (pourquoi autant insister sur l'activité sexuelle de la mère alors que l'inceste frère-soeur était autrement présent et inspirant?) rend le propos fort confus. Mariame Clément (mise en scène) revendique d'ailleurs un brouillage psychanalytique délibéré et confie avoir découvert l’œuvre avec le numéro de «l'Avant- scène opéra». Ces doubles, triples, quadruples tiroirs désactivent la puissance de l'intrigue originelle et égarent- à fortiori le tout jeune spectateur! En outre, c'est la faim, question de vie ou de mort- et non la gourmandise- qui constitue le moteur capital du comportement des parents et des enfants... Pulsion trop primitive, trop simple pour notre monde cérébral d'anorexiques ou d'obèses? Aussi, se trouve t'elle ici réduite à un caprice d'enfants gâtés, avides de riz au lait, de sucreries et de fraises.
Quant à la la partition, c'est une autre forme d’ambiguïté toute nimbée de charme germanique qui la sous- tend: post wagnérien, enseignant plus que compositeur, Humperdinck livre là une musique parcourue de grands frissons, d'élans, de houles cuivrées qui éclatent en bulles de chansons espiègles. La grandeur côtoie la candeur dans le parfum un peu poudré des univers domestiques.
La création française eut lieu à l'Opéra comique, le 30 mai 1900. C'est là que cette féerie typiquement allemande aurait pu réellement s'épanouir. Car sur la scène de Garnier, en dépit d'une réalisation très soignée c'est la modeste portée de l’œuvre qui frappe. En outre, on ne s'explique pas le choix d'un dispositif scénique qui ne permet aux spectateurs de côté de voir seulement un demi-décor puisqu'il est plan et que la profondeur n'existe qu'à l'intérieur de chaque casier. Les sous-entendus psychanalytiques justifiaient-ils un tel inconvénient? Et puis, en se privant de la «profondeur» de l'espace, à vouloir courir plusieurs lièvres à la fois et vouloir tout expliquer -«l'analyse exclut l'artiste» aime pourtant à rappeler le célèbre architecte Roland Castro!- cette représentation a surtout l'inconvénient majeur de neutraliser la terreur, la peur, l'horreur et … le plaisir. Car la joie de «s'en sortir», plus vivant et plus courageux, n'est-elle pas proportionnelle à la cruauté de l'épreuve? Ici elle paraît bien fade.
Et donne l'appétit de relire Grimm.

Bénédicte Palaux Simonnet
Opéra de Paris, 14 avril 2013

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