Quand Armide envoûte toujours...
Armida de Rossini
Pour n'être pas le plus connu des opéras de Rossini, Armida (1817) a bénéficié de l'interprétation de Maria Calllas et de deux enregistrements modernes. C'est peu dire que sa mise en scène à Gand a intéressé les fans du compositeur, d'autant plus que l'oeuvre était dirigée par Alberto Zedda, fondateur et âme du festival de Pesaro. La mise en scène était de Mariame Clément et le rôle titre tenu par Carmen Romeu, la belle Desdemona de l'Otello du Maître présenté l'an dernier, toujours à cet Opera Vlaanderen, décidément fort rossinien. Que d'atouts donc, pour cette production attendue ! Qu'en est-il exactement ? Musicalement, c'était la fête. Tout d'abord, comme pressenti, par la direction du vieux maître plus alerte que jamais. Quelle vigueur, quelle alacrité, quelles gradations dans les finales d'actes, quelles couleurs offertes aux solistes de l'orchestre dès l'ouverture : cor, violoncelle ou le violon solo qui se couvre de gloire (sur scène !) au duo de l'acte III. Un très grand bravo. Bravo aussi aux choeurs : la petite danse des nymphes à l'acte III a charmé, adorable bijou de grâce mélodique.
L'intrigue ? Elle est mince, il est vrai :
- acte I : Rinaldo et Armida se retrouvent au camp des croisés d'où ils s'enfuient.
- acte II : Ils s'aiment dans le jardin enchanté : la magicienne a repris le valeureux guerrier dans ses rêts.
- acte III : Deux croisés viennent enlever Rinaldo des bras d'Armida, qui, de rage, détruit son domaine.
Cette trame provenant de la Gerusalemme liberata de l'écrivain épique Torquato Tasso (1581) a inspiré d'innombrables opéras, de Lully et Gluck à Dvorak. La relation entre Armida et Rinaldo suscite de subtiles variations musicales et dramatiques. Peu importe alors que Mariame Clément se révélât moins à son affaire que dans le très divertissant Viaggio a Reims qu'elle avait assurée ici même. Le lien avec les Jeux olympiques et le football vient-il de la consonance Rinaldo/Ronaldo ? Les sportifs sont-ils les croisés de nos jours ? Toujours est-il que cet environnement ne sert ni ne dessert l'intrigue : il est tout simplement inutile. Sauf peut-être au deuxième acte qui, malgré les coupures de rigueur, conserve quelques numéros de ballet et conclut par un tableau vivant du kitsch le plus dégoulinant. Heureusement, les chanteurs possédaient quasi tous un bon tempérament d'acteurs et les trois heures se sont déroulées sans aucun ennui. Certains n'apparaissaient que dans un acte et intervenaient par la suite dans un nouveau rôle. Leonard Bernad, seul baryton, interprétait ainsi tant Idraote qu'Astarotte. Le très raffiné Robert Macpherson était, lui, Gernando et Ubaldo. Plus en retrait mais joliment lyrique, Dario Schmunck passait de Goffredo à Carlo et Adam Smith jouait les utilités en Eustazio. Reste le couple central, qui a recueilli tous les suffrages. Enea Scala (Rinaldo) a toutes les qualités d'un futur grand ténor : prestance physique, sourire ravageur, timbre solaire et aigus éclatants. Quant à l'Armida de Carmen Romeu, elle convainc avant tout par un engagement dramatique hors pair : elle est Armide du début à la fin, de la princesse insolente arrivant devant Godefroid de Bouillon jusqu'à la femme folle de rage après la désertion de son amant. Il n'est pas étonnant que leurs duos figuraient parmi les sommets du spectacle, en particulier celui de l'acte I. Autre grand moment vocal, le très applaudi trio des trois ténors précédant la scène finale, instant de suspension magique digne des enchantements de l'héroïne... Oui, cette Armida de Rossini a été pour beaucoup une découverte de beauté belcantiste totale grâce au talent des solistes et à la maîtrise suprême de Zedda au pupitre.
Bruno Peeters
Opera Vlaanderen, Gand, le 29 novembre 2015