Festival pour l'humanité

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Benjamin, dernière nuit © Stofleth / Opéra de Lyon

Chaque année, l’Opéra de Lyon présente au milieu de la saison un festival avec un thème central de débat. Cette fois, Pour l’Humanité, une réponse à tout ce et tous ceux qui agissent contre l’humanité. Au programme, quatre opéras : Benjamin, dernière nuit, création mondiale d’une commande de l’Opéra de Lyon, une musique de Michel Tabachnik sur un livret de Régis Debray ; La Juive, le « grand opéra » d’Halévy, un des plus gros succès du 19e siècle ; Der Kaiser von Atlantis composé à Terezin par Viktor Ullmann et Brundibar, l’opéra pour enfants de Hans Krasa, l’œuvre la plus jouée de Terezin.
L’œuvre de Tabachnik et Debray est inspirée par le destin du philosophe allemand d’origine juive Walter Benjamin, l’un des plus grands esprits du 20e siècle, qui s’est suicidé dans la nuit du 25 au 26 septembre 1940 dans sa chambre d’hôtel de Port-Bou, au moment de passer la frontière franco-espagnole pour fuir l’Europe hitlérienne et rejoindre les Etats-Unis. Dans ses derniers moments, Benjamin retrouve les personnes qui l’ont marqué comme la belle Asja Lacis qu’il a aimé ou Gershom Sholem (son frère en judaïsme) et ses grands interlocuteurs comme Bertolt Brecht ou André Gide. Ce sujet fort et instructif, toujours d’actualité, est malheureusement peu dramatique : trop bavard et littéraire, sans véritable action ou tension. La partition de Tabachnik -qui dit de n’avoir eu « qu’à coller la musique sur le texte »- écrase le texte sans donner à l’œuvre une autre dimension. L’écriture vocale prosodique est assez conventionnelle et souvent les voix luttent en vain avec la force instrumentale. La rencontre de Benjamin et Bertolt Brecht dans un cabaret berlinois où « une Marlene pousse la chansonnette accompagnée d’un piano bastringue, la radio beugle un discours de Hitler, les convives ivres gueulent leurs chansons, mêlées à des flonflons d’une marche militaire et l’orchestre amplifie le désordre » est sans doute le point culminant. En une heure et demie et quatorze scènes, Benjamin et son double (un acteur pour le présent, un ténor pour les souvenirs) nous font vivre cette dernière nuit dans la mise en scène de John Fulljames (décors de Michael Levine, costumes de Christina Cunningham, lumières de James Farncombe, choréographie de Maxine Braham) qui est virtuose, intelligente et parfaitement lisible. Il y a presque autant à regarder qu’à écouter dans ces tableaux vivants dans un décor unique aux multiples visages. Tâche ardue pour le public.
L’exécution musicale était confiée à Bernhard Kontarsky qui dirigeait les forces de l’Opéra de Lyon (chœurs et grand orchestre) de main ferme tout en guidant les chanteurs dans la partition touffue de Tabachnik. La distribution combinait chanteurs et comédiens dans un ensemble sans faille. Citons le ténor Jean-Noël Briend et le comédien Sava Lolov (Benjamin), Michaela Kustekova (Asja Lacis), Charles Rice (Arthur Koestler), Jeff Martin (Bertolt Brecht) et Gilles Ragon (André Gide) mais toute la distribution se distinguait.

La Juive fut créée le 23 février 1835 à l’Académie Royale de Musique (Salle Le Peletier) à Paris et elle inaugurait le Palais Garnier en 1875. L’opéra connut des centaines de représentations en France et à l’étranger avant de se faire rare dans la seconde partie du siècle dernier. Mais avec l’intérêt renouvelé pour le « Grand opéra français » et l’engagement de certains artistes pour ce répertoire, voici que La Juive retrouve les scènes, tel l’Opera Vlaanderen la saison passée. A Lyon, ce sont Olivier Py et son partenaire habituel Pierre-André Weitz (décors et costumes) qui ont mis en scène cette confrontation entre les religions et cet antisémitisme que Py nomme « un antisémitisme bien français, catholique et français ». L’action ne se passe donc pas à Constance en 1414 mais aujourd’hui, dans un décor monumental inspiré du Mémorial de la Shoah à Berlin. Devant un fond noir et blanc d’arbres, de grands murs de bibliothèques constamment en mouvement créent les différents espaces de l’action suivant la dramaturgie. Pas de référence au nazisme dans cette mise en scène très lisible qui se concentre sur les relations humaines et l’intolérance religieuse. Mais des panneaux renvoyant à la France et à la xénophobie. Le plus émouvant se situe à la fin de l’opéra, quand Rachel s’en va vers la mort disparait entre les arbres dans une fumée blanche. L’idée la plus discutable, c’est la Princesse Eudoxie en vamp blonde platinée, dans une robe transparente, toute tendue vers les plaisirs. Et une question : pourquoi le Cardinal Brogni porte-t-il l’habit papal blanc ?
Daniele Rustoni, le jeune chef italien qui, en septembre 2017, deviendra le chef permanent de l’Opéra de Lyon, dirige les ensembles de la maison avec beaucoup d’énergie et de discipline et une main plus légère quand il le faut. L’orchestre sonne bien et les chœurs sont excellents. Dommage, dans ces circonstances, qu’on ait quand même opté pour des coupures, même traditionnelles, comme la cabalette Dieu m’éclaire d’Eléazar qui suit son air Rachel, quand du Seigneur. La distribution s’intègre bien au propos d’Olivier Py mais manque généralement d’ampleur vocale à l’exception du ténor Enea Scala qui porte le personnage de Léopold à l’avant plan comme il le faut dans une interprétation sincère, vocalement brillante et virtuose. Nikolai Schukoff fait un Eléazar sincère, fier, vengeur et père aimant mais chantant d’une voix assez mince et monochrome. Rachel trouve une interprète émouvante en Rachel Harnisch, voix de soprano homogène mais un peu légère pour le rôle. Roberto Scandiuzzi donne de l’autorité et un beau timbre au Cardinal Brogni. Sabina Puertolas n’est pas très convaincante en Princesse Eudoxie, surtout du fait du personnage créé par le metteur en scène. Vocalement, elle ne semble pas se sentir à l’aise dans le rôle. Bonnes prestations de Charles Rice (Albert) et Vincent Le Texier (Ruggiero).

Pour Der Kaiser von Atlantis, l’Opéra de Lyon était en partenariat avec le Théâtre National Populaire qui accueillait une production existante dans une mise en scène de Richard Brunel avec des décors de Marc Lainé, costumes de Claire Risterucci et lumières de Christian Pinaud. Principalement défendu par des solistes du Studio de l’Opéra de Lyon avec des membres de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon dirigés par Vincent Renaud, cet opéra en un acte impressionne par sa force primaire, son message toujours d’actualité et son exécution convaincante. Belle prestation de tout l’ensemble avec une mention spéciale au baryton Samuel Hasselhorn dans le rôle de l’Empereur.
Erna Metdepenninghen
Lyon, Opéra, les 16, 17 et 18 mars 2016

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