Pesaro redécouvre Ermione et Bianca e Falliero

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Pour une trentième saison consécutive je me rends au Festival de Pesaro pour assister aux deux opere serie d’importance qui figurent à l’affiche, Bianca e Falliero et Ermione.

Bianca e Falliero a lieu à l’Auditorium Scavolini, salle nouvelle qui redonne vie au Palafestival fermé depuis 2005. Contestée par beaucoup, l’acoustique semble favoriser le parterre au détriment de l’auditorium en pourtour.

Le ROF a été le premier à assumer l’exhumation moderne de Bianca e Falliero , opera seria fascinante que Rossini conçut pour le Teatro alla Scala entre deux des ouvrages pour le San Carlo, La Donna del Lago et Maometto II. Mais le public milanais ne réserva qu’un accueil mitigé à la première du 26 décembre 1819, suivie de quelques reprises durant une vingtaine d’années avant de sombrer dans l’oubli. 

Par contre, la recréation du 23 août 1986 à Pesaro suscita un vif intérêt car la production de Pier Luigi Pizzi afficha Katia Ricciarelli, Marilyn Horne et Chris Merritt sous la direction de Donato Renzetti. Les reprises de septembre 1989 avec Lella Cuberli, Martine Dupuy et Daniele Gatti au pupitre produisirent un impact moins grand, ce que l’on dira aussi de la mise en scène de Jean-Louis Martinoty réunissant en août 2005 Maria Bayo et Daniela Barcellona sous la conduite de Renato Palumbo.

De cette nouvelle édition, l’on retiendra comme point fort la direction de Roberto Abbado connaissant à fond les mécanismes de l’opera seria rossinienne basés sur la précision du geste et l’intelligence du phrasé, ce que démontrent durant plus de trois heures l’Orchestra Sinfonica Nazionale della RAI et il Coro del Teatro Ventidio Basso préparé remarquablement par Giovanni Farina.

Sur scène, s’impose en premier le ténor Dmitry Korchak qui, au fil des années, s’est forgé le métal d’un véritable baritenore pour camper le père de Bianca, Contareno, en réussissant à inscrire dans sa ligne de chant,les aigus les plus incisifs, tout en faisant autorité par son expression tragique.

La Bianca de Jessica Pratt n’atteint pas le même niveau, tant l’émission laisse apparaître un vibrato large et des stridences dans l’aigu qu’elle sait atténuer dans les sections lentes des duetti avec Contareno et avec Falliero qu’incarne la mezzo japonaise Aya Wakizono. Même si elle a connu le succès ici avec Clarice de La Pietra del Paragone et Rosina, elle ne possède pas la stature vocale du contralto rossinien dont elle n’a ni la couleur ni la profondeur des graves. Mais sous sa cuirasse dorée, elle s’ingénie à camper les jeunes téméraires avec un brio doublé d’une énergie irrépressible. 

Giorgi Manoshvili relègue Capellio au rang de la basse statuaire monochrome, alors que les seconds plans sont judicieusement personnifiés par Carmen Buendia,Dangelo Diaz et Claudio Zazzaro.

Passons rapidement sur la mise en scène de Jean-Louis Grinda, collaborant avec Rudy Sabounghi pour les décors et costumes et Laurent Castaingt pour les lumières. Car le spectacle ne suscite que peu d’intérêt avec cette Venise du XVIIe ébranlée par une tentative espagnole de faire tomber l’hégémonie locale transposée aux années cinquante avec des bouts de films en noir et blanc relatant la guerre civile en Espagne, mêlant des costumes se gaussant des époques allant de pair avec ces pans de murs amovibles ou ces énormes corbeilles de fleurs tricolores que Bianca jettera rageusement au sol. Au second acte, la projection de la lagune au clair de lune rassérène le spectateur exténué qui se demande jusqu’au rideau final qui est cette vielle dame aveugle qui arpente inlassablement le plateau : la grand-mère de Bianca, son double du soir de la vie ...  

Tout aussi surprenante est pour moi la nouvelle production d’Ermione au Vitrifrigo Arena. Cet ouvrage est assurément le plus innovateur dans les neuf opere serie pour le San Carlo de Naples.

Car le vocalismo belcantistico se dilue dans une déclamation tragique qui a abasourdi le public à cette Ermione qui ne fut jouée que le seul soir de sa création du 27 mars  1819 malgré un cast éblouissant incluant Isabella Colbran (Ermione) Andrea Nozzari (Pirro) Giovanni Davide (Oreste) Rosmunda Pisaroni (Andromaca) et Michele Benedetti (Fenicio). Pesaro l’afficha le 22 août 1987 avec Montserrat Caballé, Chris Merritt, Rockwell Blake, Marilyne Horne et Giorgio Surjan sous la direction de Gustav Kuhn dans une mise en scène de Roberto De Simone alors que le 10 août 2008, Roberto Abbado dirigea la production de Danielle Abbado avec Sonia Ganassi, Gregory Kunde, Antonino Siragusa, Marianna Pizzolato et Nicola Ulivieri.

Et la critique de l’édition actuelle est divisée quant à la mise en scène de Johannes Erath collaborant avec Heike Scheele pour les décors, Jorge Jara pour les costumes et Fabio Antoci pour les lumières.

Prônant le concept que les personnages subissent les conséquences de la guerre de Troie et des actions de leurs pères, la production transpose l’action dans un univers glauque peuplé de punks dégénérés. La vaste scène semble menacer d’avaler les personnages qui s’empoignent et se rejettent dans un décor très noir constitué de trois gigantesques cadres concentriques illuminés au néon surplombant plusieurs étages dont le degré supérieur révèle une table de festin pour convives interlopes arborant tenues de punks gothiques les plus invraisemblables.

La composante musicale du spectacle est plus convaincante grâce à Michele Mariotti qui dirige les même Orchestra Sinfonica Nazionale della RAI et  il Coro del Teatro Ventidio Basso.

Car il constitue la colonne de soutien d’une conception musicale ample de sombre tragédie dont la protagoniste est l’Ermione nourrie de haine d’Anastasia Bartoli dominant son rôle écrasant par l'insolente facilité de l’aigu et l’ampleur des moyens, même si cette volonté de s’imposer semble au détriment du belcanto legato. Enea Scala campe Pirro avec l’expansion vocale de baritenore osant les aigus en force incisifs dans son aria «Balena in man del figlio» quitte à sacrifier l’homogénéité de la ligne de chant. Juan Diego Florez qui depuis tant d’années est rompu aux exigences du canto d’agilità rossiniano s’attaque courageusement  aux passaggi invraisemblables d’Oreste conçus pour le contraltino Giovanni Davide même s’il lui faut les simplifier. Mais sa maestria stylistique lui en donne l’autorité. Par contre, Victoria Yarovaya est une Andromaca confite dans un chant aussi monochrome que son expression théâtrale. Michael Mofidian est un Fenicio convaincant, ce que l’on dira aussi d’ Antonio Mandrillo en Pilade, Martiniana Antonie en Cleone, Poala Leguizamon en Cefisa et Tian Xuefei Sun en Attalo.

Il n’empêche que cette Ermione laisse une impression de demi-réussite, au même titre que Bianca

Pesaro, Roosini Opera Festival 2024

Paul-André Demierre

Crédits photographiques : Amati Bacciardi

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