Hommage au Requiem de Brahms, au prisme d’un polyptyque baroque assemblé par Vox Luminis

par

Ein deutsches Barockrequiem. Œuvres d’Andreas Scharmann (fl. 1663), Thomas Selle (1599-1663), Johann Hermann Schein (1586-1630), Christian Geist (1650-1711), Tobias Michael (1592-1657), Wolfgang Carl Briegel (1626-1712), Andreas Hammerschmidt (c1611-1675), Heinrich Schwemmer (1621-1696), Johann Philipp Förtsch (1652-17632). Vox Luminis, Lionel Meunier. Livret en anglais, français, allemand (paroles en allemand et traduction bilingue). Juin 2021 & juillet 2022. TT 78’46. Ricercar RIC 445

« Ne serait-il possible, au départ de compositions allemandes du XVIIe siècle, d’imaginer une œuvre semblable au Deutsches Requiem ? [...] Nous nous sommes donc lancés dans une longue recherche de compositions qui mettaient en musique les mêmes textes que ceux que Brahms avait sélectionnés » indique le livret du CD. Car, rappelons-le, la messe de Requiem catholique n’a pas d’équivalent dans le culte protestant, dont le service funèbre vise moins la célébration du défunt (Luther fit interdire le sacrement de l’extrême-onction) que la consolation de son entourage. Une cérémonie pour les survivants. Structure et chants d’une célébration musicale n’y sont pas codifiés comme dans la missa pro defunctis ; les pages sacrées peuvent être assez librement puisées dans la Bible, comme le fit Brahms pour les sept sections de son opus 45, qui sous son expression romantique renoue avec le genre de l’ancienne cantate funèbre.

Pour le présent projet, le programme a prolongé des recherches initiées dans l’album Ein feste Burg, conçu pour le cinq-centième anniversaire des « 95 Thèses » en 2017. Le problème vient que certains textes d’Ein deutsches Requiem n’ont pas d’incarnations notoires dans le répertoire allemand deux siècles auparavant, -notamment le Ihr habt nun Traurigkeit / Ich will euch trösten, qui a été pallié par le motet Ich will schweigen de Johann Hermann Schein. L’assemblage proposé par Vox Luminis suit en tout cas l’ordonnancement du modèle brahmsien, en empruntant parfois plusieurs pièces en correspondance à une même section de son « Requiem » de 1868. La notice de Jérôme Lejeune, éclairante comme elles le sont toujours sous cette plume, détaille le choix des œuvres.

Depuis leur emblématique disque consacré aux Musicalische Exequien d’Heinrich Schütz, capté en octobre 2010, on mesure l’accointance de l’équipe de Lionel Meunier avec la Trauermusik et les cortèges d’affliction du Baroque germanique. Pieusement soutenu par un délicat tissu instrumental de cordes et le souffle tantôt dense tantôt aérien des tuyaux, le collectif vocal déploie le raffinement attendu, cultivant une suave palette de recueillement, où l’expression coule avec une fluidité réconfortante. L’austérité de la démarche se pare d’une opulente générosité d’émotion, nantie de toutes les subtilités d’inflexions et de teintes. 

Deuil et espérance marchent d’un pas serein, dans le décor mordoré d’un funérarium familier et accepté, congrégatif, où la foi délivre de l’angoisse du tombeau, comme en résonnance avec l’hymne Mitten wir im Leben sind mit dem Tod umfangen : c’est un tel fervent retable que Vox Luminis enlumine avec tout le soin dont on le sait féru. Herreweghien, la couleur en sus, moyennant quelques duretés dans les cimes de la tessiture. Un remarquable travail historiographique et esthétique qui, par-delà les époques et confessions, permet de mieux comprendre une certaine vision de la mort et de ses traductions musicales, –comme le paisible Requiem de Fauré.

Son : 8 – Livret : 9 – Répertoire : 9 – Interprétation : 9,5

Christophe Steyne

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