Huitième Symphonie de Widor : interprétation cursive et décantée, à Saint-Sernin

par

Charles-Marie Widor (1844-1937) : Huitième Symphonie, en si majeur, Op. 42 no 4. Joseph-Guy Ropartz (1864-1955) : Prière (extrait des Six Pièces). Camille Saint-Saëns (1835-1921) : Cyprès (extrait de Cyprès et Lauriers, en ré mineur Op. 156). Jean-Baptiste Dupont, orgue de la basilique Saint-Sernin de Toulouse. Novembre 2019. Livret en allemand, anglais, français. TT 54’28. Audite 97.774

Fort d’une discographie qui compte une intégrale Reger entreprise voilà dix ans, Jean-Baptiste Dupont se penche ici sur la plus vaste production de Widor, « la concrétisation d’un vieux rêve » nous dit-il dans le livret. Une œuvre de chevet depuis son enfance, jouée sur un instrument qu’il fréquente régulièrement. Cet orgue toulousain n’est pas sans poser quelques problèmes honnêtement évoqués dans ces mêmes lignes : différence d’inertie entre les claviers, absence d’accouplement du Récit sur Positif (le facteur a toutefois prévu le Positif sur Récit), absence de Fonds en 32’ (sauf en résultante acoustique par l’emploi de la volumineuse Quinte du pédalier). Difficultés surmontées par l’habileté de l’interprète, et transcendées par les sonorités du Cavaillé-Coll, relevé en 2017-18, en cette basilique à laquelle Widor dédia son ultime symphonie, la « Romane ». Ce CD est le tout premier réalisé depuis ces travaux et c’est aussi, sauf erreur, la première fois que la Huitième symphonie est enregistrée en ce lieu emblématique.

L’intégrale en cours chez Naxos nous a récemment offert une lecture charpentée et dramaturgique à Sankt Ingbert, captée un mois avant celle-ci. L’interprétation de Jean-Baptiste Dupont se caractérise par ses tempi mobiles, ses phrasés agiles et subtils, ses couleurs poétiques. L’Adagio coule comme dans un songe. Fluidité et élégance se retrouvent dans l’approche du Moderato cantabile. L’élan inculqué à l’Allegro ménage son lot de dégradés et d’arrière-plans, peut-être au détriment de la netteté de l’écriture imitative. Vigueur et impulsivité nous valent un Allegro risoluto qui ouvre de nombreuses perspectives à défaut de les explorer toutes : le trait manque un peu de précision et de densité, corollaire d’une vision plus spumescente qu’appuyée. Globale et distante, la prise de son aère le matériau sans estomper la puissance des tutti. Les mêmes options, un peu mieux focalisées, livrent des Variations tendues, serrées, condensées avec une rare cohésion. Le riche panel d’anches de la console toulousaine permet une valorisation virtuose du Finale dardé avec brio. 

Le compositeur remania à multiple reprises cet opus conçu en 1886. L’interprète a choisi la mouture définitive de 1929, qui élude le Prélude retranché des éditions successives dès la publication de 1901. Ce bref morceau a néanmoins été capté lors des sessions et se trouve disponible en téléchargement sur le site du label ; dommage car la durée du support physique (54 minutes) aurait pu l’accueillir ! Le programme héberge en complément deux œuvres d’atmosphère : la Prière tirée des Six Pièces de Ropartz, et le lugubre premier volet des Cyprès et Lauriers de Saint-Saëns (le second requiert l’orchestre). Occasion d’admirer encore les fonds et jeux de détail du joyau de Cavaillé-Coll.

Pour l’opus 42/4 de Widor, on peut rester fidèle au style retenu et somptueux de Ben Van Oosten à Rouen (MDG), aux généreuses architectures byzantines de Günther Kaunzinger à Waldsassen (Novalis), au geste grandiose de Joseph Nolan à La Madeleine (Signum), ou désormais aux eaux-fortes néoclassiques de Christian von Blohn (Naxos). En tout cas, le témoignage limpide, cursif et ingénieux que nous propose ce nouveau disque chez Audite instaure une vivacité, une légèreté de touche qui renouvellent le propos : ainsi dépoussiérer et dégraisser le tableau ne saurait être ignoré.

Son : 8 – Livret : 9 – Répertoire : 9 – Interprétation : 9

Christophe Steyne

 

 

 

 

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