Intéressants inédits de la Collection Düben, mais…
Nunc Dimittis. David Pohle (1624-1695) : Sonate à 5, en ut majeur. Kaspar Förster (1616-1673) : Jesu dulcis memoria. Crato Bütner (1616-1679) : Canzon à 3, en sol majeur. Samuel Capricornus (1628-1665) : Salvum me fac ; Gaudens gaudebo. Johann Michael Nicolai (1629-1685) : Sonates à 2, en ré mineur, en sol majeur. Johann Krieger (1651-1735) : Dominum illuminatio mea. Sebastian Knüpfer (1633-1676) : Suite en ré mineur. Heinrich Schütz (1585-1672) : Herrn nun lässest du deiner Diener. Carlo Pallavicino (1630-1688) : Laetatus sum. Anonyme : Sonate à 5, en sol majeur. Dominik Wörner, basse. Kirchheimer Dübenconsort, dir Jörg-Andreas Bötticher. Février-mars 2020. Livret en français, anglais, allemand. TT 78’06. Passacaille 1081
Pour son tout premier CD, l’ensemble rhénan constitué en 2020 s’est baptisé d’un patronyme bien connu de la musicologie baroque et des amateurs de Dietrich Buxtehude. Même s’il n’a pas livré tous ses secrets, le fonds Düben conservé à Uppsala est une importante collection de manuscrits initiée par le maître de chapelle (1628-1690) de la Couronne suédoise, qui documente le répertoire germanique et italien dans la seconde moitié du XVIIème siècle.
Majoritairement constitué d’œuvres qui font leur apparition dans la discographie, cet album visite des sonates et pages sacrées d’une dizaine de compositeurs plus ou moins célèbres. Parmi les notoires, Heinrich Schütz est représenté par le Nunc Dimittis qui donne son titre à ce récital : ce Cantique de Symeon SWV 352, tiré des Symphoniae Sacrae II dédicacées au prince héritier du Danemark. Promouvoir le style italien dans la sphère protestante : cette cantate illustre l’esthétique de bon nombre d’opus invités dans le programme, entre rigueur allemande et sensualité ultramontaine. Cette dualité se détecte aussi dans la sonate attribuée à David Pohle, à la manière autrichienne, et dans les deux œuvres de Samuel Capricornus, originaire d’une famille luthérienne de Bohème mais qui travailla à la Cour de Vienne, sous l’influence latine de quelques maestri di capella (Giovanni Valentini, Antonio Bertali). Bertali est d’ailleurs l’auteur probable de la Sonate en sol majeur en plage 5, et de la Sonate en ré mineur prêtée à Nicolai. Parmi les inédits enregistrés ici, des raretés : la Suite de Sebastian Knüpfer, unique pièce instrumentale lui subsistant, et le vaste, volubile Laetatus sum de Pallavicino qui reflète le langage dramatique des ouvrages scéniques de ce musicien actif à Dresde aussi bien qu’à Padoue et Venise. Tout aussi étonnant, et même visionnaire : l’hymne Jesu dulcis memoria que Kaspar Förster, chanteur virtuose, écrivit vraisemblablement à son propre usage.
Directeur artistique du festival Konzertwinter de Kirchheim en son Land natal d’où émane l’ensemble de Jörg-Andreas Bötticher, et fort d’une enviable carrière (80 CD et DVD) dans le répertoire baroque germanique mais aussi le Lied romantique, Dominik Wörner domine les enjeux expressifs. Hélas son talent de diseur, sensible et émouvant dans le Gaudens gaudebo, aisé dans le Dominum illuminatio mea de Krieger, s’émousse souvent dans une technique de chant mal assurée, voire fâcheuse (Herrn nun lässest). Attaques incertaines, émission instable, timbre inconsistant, dépenaillé ou blanchi, et surtout une justesse approximative : bien loin des qualités que l’on admire d’ordinaire et que l’on appréciait encore dans ses Bach chez Passacaille, CPO, Arcana ou Bis (avec Masaaki Suzuki). Les accompagnateurs de cet éminent chanteur en méforme sauvent l’inconduite vocale et s’honorent d’un soutien attentif, précis, et subtilement coloré. Le petit effectif (deux violons, deux violes, violone, luth, douçaine, orgue) fournit un écrin ajusté quoiqu’un peu trop rigide pour libérer l’essence lyrique des ferments transalpins inhérents à cette compilation.
Son : 9 – Livret : 9 – Répertoire : 8-10 – Interprétation : 6,5
Christophe Steyne