Kabatu et Pruvot brûlent les planches

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La Tosca à Liège
Reprise de la production de novembre 2007, toujours dans la mise en scène sobre et efficace de Claire Servais, sans oublier les beaux éclairages d'Olivier Wéry (Te Deum, Rome à l'aube). Eglise avec chapelle et deux grandes statues, bureau de Scarpia sous un gigantesque crucifix, et terrasse du château Saint-Ange stylisée. Tout cela suffisait amplement pour créer une atmosphère : il n'en faut pas plus pour un opéra aussi connu. Deux distributions participaient à l'aventure 2014, la première étant emmenée par Barbara Haveman, Marc Laho et Ruggero Raimondi. Je vis la seconde. La direction d'acteurs n'est pas le point fort de Claire Servais, mais cela restait un peu secondaire, les solistes évoluant correctement sur scène et incarnant leurs personnages respectifs avec le dramatisme requis, particulièrement les interprètes de Tosca et de Scarpia, tous deux par ailleurs anciens lauréats du Concours Reine Elisabeth (pas de biographies dans le programme, une fois de plus). Isabelle Kabatu, très sûre d’elle, a conféré un éclat particulier au rôle-titre, diva chantant une diva. Ses graves profonds, sa musicalité aiguë alliée à un sens dramatique direct, nous valut un vibrant Vissi d'arte, mais aussi et surtout une formidable présence dans les duos, tant avec Cavaradossi qu'avec Scarpia. Celui-ci, Pierre-Yves Pruvot, impressionna vivement, dès son entrée fracassante dans l'église Sant'Andrea della Valle. Il s'empare avec force du baron vénal et concupiscent, en accentue le côté maléfique (aidé par les costumes de Michel Fresnay qui lui donnaient un petit côté Méphisto), et domine le rôle par un legato admirable, souvent remarqué chez ce baryton : son récent Nelusko du Vasco de Gama de Meyerbeer en est une nouvelle preuve. En outre, il articule parfaitement, et le public ne perd pas un mot du terrible affrontement au deuxième acte. Le Mario Cavaradossi de Calin Bratescu semblait un peu en retrait face à ces deux monstres de théâtre. Dommage, car, après un premier acte timide, il s'affirma au deuxième pour terminer en beauté au château Saint-Ange par un fort beau E lucevan le stelle : le magnifique duo qui suivait, avec une Kabatu incandescente, figura assurément parmi les moments musicaux les plus intenses du spectacle. Comprimari impeccables : longiligne et hypocrite Sacristain de Laurent Kubla, Angelotti sauvage et efflanqué de Roger Joakim, Spoletta roux et égaré de Giovanni Iovino, Sciarrone veule de Marc Tissons, et geôlier adéquat de Pierre Gathier. Tous étaient judicieusement choisis, jusqu'au petit berger et au tortionnaire Roberti (rôle muet). L'orchestre a brillé : quels cors au prélude de l'acte III et quelle clarinette dans l'introduction de l'air de Mario un peu après ! Le directeur musical de l'Opéra Royal de Wallonie, Paolo Arrivabeni, a souligné aussi bien la beauté de l'écriture instrumentale de Puccini que sa redoutable efficacité dramatique. Les mille et une variations harmoniques du thème de Scarpia en sont un parfait exemple. Un autre est la légère influence wagnérienne, perceptible au tout début de la dernière rencontre entre Tosca et Mario. En un mot comme en cent, voilà une production en tous points digne de la réputation de la maison liégeoise : elle a eu bien raison de la reprendre.
Bruno Peeters
Opéra Royal de Wallonie, Liège, le 21 décembre 2015

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