Quand une certaine tradition a du bon...

par

J. Wilson, F. Hawlata et C. Forte © Croisier

Fidelio à Liège
On a beaucoup médi sur les mises en scène actuelles, où les maîtres-d’œuvres tirent la couverture à eux, subliment leurs propres fantasmes, lancent sexe et politique à jets continus et dénaturent la pièce qu'ils sont censés illustrer. Il est en ce sens rassurant d'assister à une lecture claire, nette et respectueuse de ce Fidelio. Pilier du répertoire grâce à sa musique sublime, le seul opéra de Beethoven souffre d'un livret bancal : il débute par un côté léger hérité de l'opéra-comique et se poursuit par un drame très noir pour aboutir à un hymne à la liberté des hommes. C'est une "pièce à sauvetage" typique de son époque avec happy end imprévu, inspirée d'un fait divers survenu durant la Terreur. Mais c'est aussi un thème toujours actuel : une femme risque le tout pour le tout afin de tirer son mari de prison et le sauver d'une mort certaine. Cela arrive encore aujourd'hui, c'est sûr. Une mise en scène trop conventionnelle -comme l'ORW en produit de temps en temps- est apaisante pour un certain public mais court le risque d'être soit désespérément redondante, soit platement illustrative. Voilà ce qu'évite celle fort habile de Mario Martone. En axant sa vision sur l'ensemble de l’œuvre, et surtout sur sa finalité, il se montre non seulement respectueux de l'esprit du compositeur mais frappe juste, et là où il faut. Le décor est simple, intemporel : une arche/pont métallique, des escaliers, des haut-parleurs, l'univers carcéral est bien là, froid, neutre et inhumain. À gauche, la cellule de Florestan dont les mains agrippent les barreaux. La direction d'acteurs, dans cette vision, n'a pas trop d'importance par rapport à la thématique à dessiner tout d'abord, puis à incarner. Le célèbre chœur final des prisonniers aspirant à la lumière -fin du premier acte-, n'en est que plus impressionnant par sa grandeur statique. Cette idée se poursuit à l'acte II où nous entendons mais ne voyons pas tout de suite Florestan. Son air fameux est chanté de l'intérieur de sa geôle et, du prisonnier mystérieux, nous ne voyons toujours que les mains : il n'y a pas plus fort symbole. Florestan est enfin tiré hors des grilles par le bon Rocco. N'ayons crainte, il y a aura bien ensuite la tombe creusée par Fidelio et Rocco, le revolver pointé par l'épouse héroïque vers l'infâme gouverneur Pizzaro, l'appel de trompette tant attendu, l'arrivée du ministre et la sortie finale de tous les prisonniers, sur un fond blanc éclatant. Tout cela ne surprend guère, mais se voit parfaitement mis en place pour le plus grand bonheur d'un public très nombreux et attentif. La distribution réunie témoigne, à une exception près, d'une belle homogénéité. Elle était bien entendu dominée par la soprano américaine Jennifer Wilson (Léonore/Fidelio) au jeu un peu sommaire sans doute, mais dardant des aigus de Walkyrie à faire pâlir Birgit Nilsson. Le Florestan de Zoran Todorovitch, longtemps invisible, est un beau ténor héroïque, plus fragile que son épouse, et dont la voix rend admirablement la longue souffrance. Au pur niveau dramatique, la palme va d'évidence au Rocco de Franz Hawlata qui a construit un beau personnage tour à tour goguenard, familier (aussi de la dive bouteille), paternel, un peu veule sans doute, mais connaissant la compassion. La voix a gardé un souvenir de ses incarnations wagnériennes. Cinzia Forte a fort à faire au début de l'opéra et le fait très bien, jouant et incarnant une Marzelline sérieuse et amoureuse du prisonnier inconnu. Sa déconvenue finale n'en sera que plus émouvante. Thomas Gazheli compose un Pizzaro féroce, brutal, bien sonore et Laurent Kubla déroule le sermon ministériel final avec l'onction requise. Seul déçoit le Jacquino de Yuri Gorodetski, quasiment inaudible. Au crédit de Paolo Arrivabeni, le très apprécié directeur musical de l'ORW : une entente fosse-plateau parfaite, l'idéal tant recherché et si rarement obtenu par un chef d'opéra. Cette réussite a été essentielle pour ce spectacle remarquable tant scéniquement que musicalement. L'ORW accomplit ici sa mission: faire (re)découvrir les grandes œuvres du répertoire au plus grand nombre en reliant une mise en scène actuelle, mais totalement lisible, à une exécution musicale impeccable.
Bruno Peeters
Opéra Royal de Wallonie, le 2 février 2014

 

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