La Belgique à l’honneur : connaissez-vous Georges Lonque et Éric Feldbusch ?
« The Cello in Madness » Pietro LOCATELLI (1695-1764) – Sonata da camera op.6, Georges LONQUE (1900-1967) – Vieux Quai op.9, Éric FELDBUSCH (1922-2007) – Mosaïque pour violoncelle seul op.24, Trois mouvements pour piano op.19, Cadence et Allegro op.13. Olsi Leka (violoncelle), Piet Kuijken (piano), 63’04, Texte de présentation en français, néerlandais, anglais et allemand, Phaedra, In Flanders’ Fields vol. 101
Locatelli, Lonque et Feldbusch : trois compositeurs oubliés, dont deux de notre patrimoine musical belge. Olsi Leka, violoncelle-solo de notre Belgian National Orchestra et le pianiste Piet Kuijken mettent à profit leur talent considérable pour faire découvrir ces compositeurs et leurs œuvres incroyables.
Commençons avec la Sonata da camera op.6 de Pietro Locatelli (1695-1764). En réalité, l’œuvre est une sonate composite, combinant des mouvements des 6e et 12e sonates pour violon de Locatelli avec des éléments propres d’Alfredo Piatti (1822-1901), le Paganini italien du violoncelle. Sous la plume commune de ces deux compositeurs, les doubles cordes, ricochets, et fusées d’arpèges foisonnent -éparpillées au sein de la partition « baroque », on retrouve aussi des cadences opératiques, charmants anachronismes de la main de Piatti.
Georges Lonque semble être un des grands oubliés de l’histoire musicale belge -né à Gand en 1900 dans une famille musicienne et décédé à Bruxelles en 1967. Son 9e opus, Vieux Quai, est inspiré par le poème éponyme du poète tournaisien Georges Rodenbach. Écrit en 1891 (et très heureusement reproduit dans le livret), ce poème dépeint magnifiquement le passage de l’aurore rosée à la sombre nuit brumeuse à Bruges. La musique de Lonque suit de près les vers de Rodenbach, passant de l’univers onirique initial aux vitraux coloriés, vieux quais dormants et canaux bleuis avant de clore avec le triste flûtiste solitaire, faisant chanter de l’ombre. Son post-romantisme nimbé d’influences impressionnistes laisse entrevoir la nostalgie et la mélancolie du poème.
Les trois œuvres finales, de la main du violoncelliste belge Éric Feldbusch, sont toutes des premiers enregistrements. Chef d’orchestre, soliste, compositeur, professeur et directeur de conservatoire, la vie d’Éric Feldbusch était aussi variée que son œuvre. Né à Liège en 1922, décédé à Wavre en 2007, son histoire et ses compositions ont été profondément marquées par la 2e Guerre Mondiale. Membre de la résistance pendant l’Occupation, il fut dénoncé puis arrêté par les Nazis en août 1944 en tant que prisonnier politique. Condamné à mort, il fut heureusement libéré le 6 septembre 1944, la veille de son exécution, dans la précipitation du départ de la Gestapo, par un élan d’humanité du gardien des cellules qui lui confie la clé du cadenas de son cachot. Dans Mosaïque pour violoncelle seul créé en 1961, Feldbusch puise dans la tradition musicale juive. Un thème juif allemand forme la base de la première Improvisation mélancolique, le deuxième mouvement Ismakh Moshe est une invocation séfarade à Moïse. La troisième page, Ana pana dodech, une dance traditionnelle polonaise. Vous ne pourrez pas sortir ces mélodies de votre tête ! Changement radical avec les deux dernières pièces : dans les 3 mouvements pour piano seul et Cadence et Allegro pour violoncelle et piano, on sort de la tonalité folklorique pour entrer dans l’atonalité libre. La dissonance est de mise, mais toujours dans une optique mélodique et harmonique. Dans les superbes 3 mouvements pour piano seul, le pianiste Piet Kuijken use d’une large palette sonore pour rendre hommage à cette musique libre, imaginative et particulièrement narrative. Visions de simplicité, Satiesque, vite déformés en moments de violence granitique, moments de tendresse… L’alternance structurelle entre ces diverses atmosphères magnifie d’autant plus leur intensité. Le CD s’ouvre peut-être avec le soleil baroque italien, mais se termine dans le désespoir terne et une rage folle. Cadence et Allegro, sans aucun doute une des partitions les plus difficiles du répertoire du violoncelle, évoque Berg dans les méandres du lyrisme atonal du 1er mouvement et Schostakovitch dans l’énergie et la virtuosité indomptable du 2e mouvement.
Mélomanes amateurs de la découverte, musicologues à la recherche de compositeurs injustement oubliés, interprètes en quête de nouveau répertoire… Tous trouveront leur compte dans cette belle parution discographique.
Pierre Fontenelle