La Messe des morts de Dvorak
Antonin Dvorak (1841-1904)
Requiem, op. 89
Collegium Vocale Gent – Royal Flemish Phlharmonic, Philippe Herreweghe, direction – Ilse Eerens, soprano – Bernarda Fink, alto – Maximilian Schmitt, ténor – Nathan Berg, basse
2015-DDD-2 CD-93’22-texte de présentation en anglais, français, allemand et néerlandais-PHI-LPH016
On ne change pas une équipe qui gagne. Deux ans après l’enregistrement très réussi du Stabat Mater de Dvorak, Philippe Herreweghe réunit à nouveau le Collegium Vocale Gent et le Royal Flemish Philharmonic, cette fois pour le Requiem du compositeur tchèque. Œuvre de grande dimension, le Requiem de Dvorak prend place à une époque du renouveau allemand de la musique baroque religieuse. C’est en Angleterre que Dvorak élabore, à la demande du Festival de chœur de Birmingham, un projet d’oratorio sur The Dream of Gerontius, poème du cardinal Newman. L’auteur des Danses slaves, qui lui vaudront notamment d’être considérés comme un compositeur « étranger » en Autriche, noue des liens très forts avec « sa seconde patrie », pour laquelle il apprend la langue et reçoit un diplôme honorifique de l’Université de Cambridge. Après des considérations personnelles sur la conception de l’œuvre, il abandonne le projet et décide d’écrire un Requiem. Ecrit en neuf mois, il est créé en octobre 1891 et est dirigé par le compositeur. L’œuvre débute par un motif chromatique de quatre notes dessiné par les violons et violoncelles, motif étendu traversant l’œuvre en entier avant une entrée des plus funèbre par le chœur. Mais c’est par cette écriture très naturelle et spontanée que ce Requiem est bouleversant. Il y a dans cette messe des morts une sensibilité proche de l’opéra tout en suivant les contrastes et innovations de l’époque, notamment par certaines séquences évoquant le style opératique de Wagner, ou encore la richesse mélodique, harmonique et instrumentale de Mahler, comme le témoignent les cloches à la fin du « Tuba mirum ».
De manière très habile, Philippe Herreweghe manie l’interprétation de ses musiciens avec finesse et clarté tout en allégeant le discours pour au contraire appuyer l’effet dramatique. Il transcende ici la quête d’une atmosphère triste, funèbre, tout en colorant les voix et pupitres avec une palette riche de couleurs. Compréhension sans failles de l’architecture, maniement des textures idéal, balance parfaite entre les différentes voix et l’orchestre, et un tout homogène et expressif. L’atmosphère installée est inquiétante mais néanmoins animée par des colorations majeures et des enchainements harmoniques surprenants. Le chœur excelle tout autant : timbre précis, belle homogénéité des pupitres, texte clair et belle intonation. Il fait place à quatre voix solistes exceptionnelles et matures. S’agissant d’une messe des morts, on se surprend à apprécier le côté humain et expressif qu’instaurent les artistes, non pas affectés d’une quelconque vulgarité mais davantage d’une transcendance du discours.
Ayrton Desimpelaere
Son 10 – Livret 10 – Répertoire 10 – Interprétation 10