La musique chorale sacrée de Penderecki, au miroir de l’histoire

par

Krzysztof Penderecki (1933-2020). Œuvres chorales sacrées : O gloriosa virginum ; De profundis ; In pulverem mortis ; Chant de Cherubim ; Veni Creator ; Miserere ; Agnus Dei ; Missa brevis. Chœur de la Radio lettonne, direction Sigvards Klava. 2023. Notice en anglais. Textes des chants, avec traduction anglaise. 60’ 46 ‘’. Ondine ODE 1435-2. 

La capacité de Penderecki à donner des réponses qui relèvent de l’émotion aux événements historiques, passé et présents, trouve peut-être sa meilleure démonstration dans sa musique chorale, la voix humaine étant connectée de l’esprit au cœur. Cette judicieuse remarque d’Anastasia Belina, insérée dans la notice, est tout à fait en situation avec le contenu du présent album. Celui-ci propose un éventail de pièces chorales sacrées qui couvrent plus de cinq décennies de la carrière du compositeur, entre 1965 et 2012. Elles sont un beau témoignage de la foi qui habitait Penderecki et de ses liens avec l’église catholique, exprimés avec courage et sans ambages pendant la période communiste. 

La Passion selon Saint-Luc (1965-66), majoritairement atonale et utilisant des clusters, a toujours eu sur le public un impact qui n’est pas seulement religieux, mais aussi émotionnel. Commande de la Radio de Cologne pour les 700 ans de la Cathédrale de Munster, où elle a été créée le 30 mars 1966, elle célébrait dans le même temps le millième anniversaire de la christianisation de la Pologne. Le Miserere de la première partie, qui s’inspire du deuxième verset du Psaume 55 et évoque la supplication de façon poignante, et la lamentation In pulverem mortis de la seconde partie, figurent ici. Ces deux extraits peuvent vivre très bien de façon autonome. L’intensité fervente des chœurs de la Radio lettonne répond à celle du Chœur de la Philharmonie de Varsovie que l’on avait découverte en 2002 (Naxos), dans l’enregistrement de cette Passion par Antoni Wit. 

Autre extrait, du Requiem polonais cette fois, l’Agnus Dei de 1981, cri de douleur atténué par une paisible introspection, a été écrit en hommage à la figure charismatique du cardinal Wyszyński (19011981), primat de Pologne de 1948 jusqu’à son décès, qui avait affronté le régime communiste, ce qui lui avait valu quelques années de prison. La construction de ce Requiem, dans lequel est inséré cet Agnus Dei en suspension, s’est étalée sur treize ans, Penderecki assurant lui-même la création de l’œuvre complète à Stockholm en novembre 1993. Plus tard, il en fera un arrangement pour huit violoncelles à l’occasion du décès de Mstislav Rostropovitch, pour lequel il avait écrit le séraphique Chant de Cherubim, extatique mais aussi débordant de la joie de l’Alleluia, à l’occasion du 60e anniversaire du virtuose en 1986. 

Le programme de cet album Ondine n’est pas bâti selon un ordre chronologique ; il alterne les périodes d’écriture, parfois avec de grands écarts d’années. L’ensemble ainsi constitué, qui serait aussi convaincant dans une autre nomenclature, montre une continuité de l’inspiration du compositeur en termes d’expression de la permanence de la foi et de transparence. Ce dont témoignent aussi bien le Veni Creator de 1987 pour chœur mixte, sur un texte du moine bénédictin Hrabanus Maurus, figure de la période carolingienne qui fut archevêque de Mayence, que la fine composante sentimentale d’O gloriosa Virginum de 2009, également pour chœur mixte. On s’imprègne encore du De Profundis de 1996, inspiré du Psaume 130, qui implore l’Éternel ; il figure dans l’oratorio Les Sept Portes de Jérusalem, dans lequel Penderecki a célébré le troisième millénaire de la ville sainte, où il s’était rendu en 1974, un séjour qui l’avait marqué. 

Toutes ces pages chorales, qui ont leur poids de densité sacrée, sont assez brèves (d’un peu plus de trois minutes à moins de huit minutes). Le programme se conclut par une partition plus longue, qui dépasse les dix-sept minutes, la Missa brevis. C’est encore une commande pour un anniversaire, celui des Archives Bach de Leipzig pour fêter les 800 ans de l’église Saint-Thomas. Faisant l’impasse sur le Credo, Penderecki a réuni six pièces écrites à des époques différentes, entre 1992 (Benedicamus Domino) et 2012 (Kyrie, Gloria et Agnus Dei), le Benedictus datant de 2002 et le Sanctus de 2008. Ici, des rappels de la Renaissance s’invitent, dans une polyphonie claire mais sobre, empreinte d’une profonde et sincère religiosité.

Cet album cohérent, dépouillé mais jamais austère, est interprété avec clarté, pureté et limpidité par le remarquable Chœur de la Radio lettonne, fondé en 1940 par Teodors Kalnińs (1890-1974), qui l’a dirigé pendant plus de vingt ans. L’actuel directeur artistique, Sigvards Kļava (° 1962), est en poste depuis une trentaine d’années. Avec cette formation, il a notamment signé des disques consacrés à des créateurs du XXe siècle, comme Rautavaara ou Vasks, mais aussi des Vêpres de Rachmaninov très réussies. On appréciera tout autant ce Penderecki, miroir d’une foi véritable au service de l’histoire, rendue ici avec un goût très sûr. 

Son : 9  Notice : 9  Répertoire : 10  Interprétation : 10

Jean Lacroix 

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