Le Chant de la nuit : « phénomène naturel »

par

JOKERGustav Mahler
(1860-1911)
Symphonie n°7 en mi mineur
Gewandhaus Orchester Leipzig, Riccardo Chailly, direction
2015-DVD-83’35-Textes de présentation en anglais, allemand et français-Accentus Music-ACC20309

Riccardo Chailly nous revient au DVD pour notre plus grand bonheur avec une lecture magistrale de la Symphonie n°7 de Gustav Mahler, aussi nommée « Chant de la nuit ». Commencée durant l’été 1904, achevée en 1905 et seulement créée sous la direction du compositeur à Prague en 1908, l’ouvrage se compose de cinq mouvements pour une durée moyenne, selon l’interprétation, de 75 à 85 minutes. Sans doute la symphonie la moins jouée du catalogue de Mahler, notamment pour ses redoutables difficultés liées tant à l’interprétation qu’à l’exécution et nécessitant aussi un effectif instrumental imposant (cuivres et bois nombreux, cordes, percussions mais aussi guitare, mandoline, tenorhorn…), sa structure évolue de manière symétrique : deux « Allegros » qui entourent deux « Nachtmusik » et un « Scherzo » des plus noirs. L’écriture de Mahler ici n’est plus celle des premières symphonies, on oscille entre le jour et la nuit, dans des tonalités sombres ou au contraire très éclairées avec des ambiances dramatiques et parfois pesantes. Le langage, entre romantisme et modernité, tend ici à évoluer de manière linéaire vers le « Rondo » final, sorte d’apothéose orchestrale où se juxtaposent de nombreux éléments thématiques, qui ne sont pas sans rappeler les fêtes foraines et autres festivités de Nuremberg telles qu’on peut les entendre dans les Maitres Chanteurs de Richard Wagner, un constat qui n’est pas anodin, nous rappelle Julie Spinola dans l’excellente description, si l’on tient compte du fait que Mahler a programmé en première partie du concert le « Prélude » de l’opéra. Cette intensité dramatique, agissant presque comme une source d’angoisse néanmoins atténuée par des épisodes calmes et doux, aura attiré de nombreuses critiques, positives et négatives, et aura permis à d’autres écoles, comme la seconde école de Vienne, de s’en inspirer. Schönberg écrit un an plus tard sa Symphonie de chambre opus 9 qui reprendra entre autre l’intervalle de quarte agissant comme moteur, et qui organisera des concerts du « Chant de la nuit » pour deux pianos à huit mains.
Le pari était donc de taille pour Riccardo Chailly et le Gewandhaus Orchester qu’on retrouve à nouveau en pleine forme. Tant dans l’architecture générale que dans la recherche des dynamiques « justes » et des nombreux contrastes, le chef d’orchestre se doit d’analyser l’œuvre avec une finesse hors pair. Chailly parvient très justement à faire la part entre l’aboutissement d’une interprétation et l’immense étendue des possibilités techniques et expressives laissées au bon vouloir des musiciens. C’est ainsi que l’orchestre et son chef ne font qu’un et vont au bout des choses. Chailly redonne vie à l’un des sommets de la littérature musicale qui aura sans doute accueilli le plus de divergences. Adorno parlait d’échec pour le dernier mouvement tandis que d’autres montrèrent plus d’enthousiasme. Comme le souligne la brochure, Chailly focalise son travail sur les qualités essentielles de la partition sans se heurter à des doutes sur la coloration d’un intervalle de tierce ou d’une modulation. Il agit plus en laissant les choses aller naturellement, ce qui fait de cette version une référence incontestable. L’expression est ici autonome et se laisse aller d’un bout à l’autre des cinq mouvements, sans pour autant rentrer dans une sorte de sentimentalisme exacerbé, avec naturel et décontraction. N’oublions pas pour autant le côté dramatique et l’urgence de certains motifs, interprétés à la perfection par des pupitres homogènes et à l’écoute. Du point vue technique, la vidéo présente de très nombreuses qualités : des plans larges permettant d’apprécier l’orchestre en action et au complet, quelques plans fixes des instrumentistes, jamais trop longs ou trop courts et des moments passionnants sur le chef qui affiche, comme toujours, une gestique sobre, animée et respectueuse de ses musiciens. Il s’oriente vers la lumière avec une attention particulière sur les valeurs de notes et les dynamiques grâce à la confiance réciproque évidente.
Ayrton Desimpelaere

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