Peut-être la meilleure version avec contreténor

par

Christoph Willibald von GLUCK
(1714-1787)
Orfeo ed Euridice
Franco FAGIOLI (Orfeo), Malin HARTELIUS (Euridice), Emmanuelle de NEGRI (Amore), Accentus, Insula Orchestra, dir.: Laurence EQUILBEY
2015-Live-66' 38", 38' 02'' et 47' 18''-Textes de présentation en anglais, allemand et français-chanté en italien-3 CD Archiv Produktion 479 5315

La question des versions a toujours été centrale pour l'opéra que Gluck a consacré au mythe d'Orphée, et qui lança sa réforme du genre. Créé en italien à Vienne en 1762, il subit de profondes modifications lorsque son auteur le présenta, en langue française, à Paris en 1774. De castrat, le rôle-titre passa au ténor, et de nombreuses pages furent ajoutées. En 1859, Berlioz l'adapta pour mezzo-soprano, version qui à son tour fut retraduite en italien. Il existe enfin une version pour baryton, en... allemand. Celle que voici est sans doute la plus authentique, le contre-ténor remplaçant le castrat d'origine. Elle fait l'objet des deux derniers CD. Le premier, lui est un amalgame : il reprend textuellement la version de Vienne, en y ajoutant les morceaux suivants (mais en italien !) provenant de la version de Paris : l'air d'Orphée  à la fin de l'acte I, la scène des furies et le ballet des ombres heureuses de l'acte II. En outre tous les récitatifs sont supprimés. L'intérêt de ce CD 1 m'échappe quelque peu, car l'"intégrale" des CD 2 et 3 se suffit à elle-même. La notice ne sera pas plus explicite à ce sujet, Laurence Equibey se contentant  de mentionner sa proposition d'inclure "un CD de "highlights" de sa version de concert, alliage inédit des versions de Vienne et de Paris". La chef française commença sa carrière en tant que chef de choeurs et cela se sent : Accentus se surpasse dans cette oeuvre qui les sollicite souvent, de la plainte initiale aux joyeux ballets conclusifs. Admirable est la scène des furies, tendue à l'extrême, et, plus encore, la sublime page finale de l'acte II Vieni a regni del risposo.   On sent le choeur vraiment sensible aux chants d'Orphée, et acceptant, petit à petit "une trève à notre éternelle fureur". Excellent et très vif orchestre Insula, qu'Equilbey, nerveuse et attentive, dirige de main de fer. Si le contrechant du hautbois enjolive doucement l'air de l'Amour, les cordes acérées entrecouperont les furies avec violence, soutenues par des trombones rageurs et de curieuses explosions ! Le rôle d'Orfeo est essentiel, réduisant les deux autres au rang de comprimarii. Franco Fagioli parvient à concilier un timbre ravissant (et quels beaux graves !) avec la rigueur dramatique exigée par Gluck pour le personnage. Si le grand air attendu Che faro senza Euridice sent un peu trop le concert, le contreténor émeut les êtres infernaux (et l'auditeur !) à l'acte II, et son Che puro ciel est sublime (comme il se doit). Très ressenti également son duo avec Euridice à l'acte III. Malin Hartelius incarne son personnage avec une évidence toute féminine et une aisance désarmante : son air Che fiero momento procure une grande émotion, presque romantique. Amour pointu et charmeur d'Emmanuelle de Negri, qui souligne le caractère un rien populaire de ses interventions. Interprétation passionnante et fort réussie donc, qui paraît atteindre le sommet de la discographie... avec contreténor, s'entend. Chacun choisira, d'après son affinité envers les timbres des "grands anciens" René Jacobs, Jochen Kowalski ou James Bowman, comparés à celui de Franco Fagioli. Mais la perfection des choeurs et orchestre d'Equilbey pourrait bien faire pencher la balance pour cette dernière version.
Bruno Peeters

Son 9 - Livret 8 - Répertoire 10 - Interprétation 10

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