Le cycle des six symphonies de Joseph Lauber est complet

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Joseph Lauber (1864-1952) : Symphonies n° 4 en si mineur et n° 5 en ré majeur. Orchestre Symphonique de Bienne Soleure, direction Kaspar Zehnder. 2021. Notice en en allemand, en français et en anglais. 73.26. Schweizer Fonogramm 7629999179615.

La majorité des compositions du Suisse Joseph Lauber, en particulier ses symphonies, sont demeurées inédites, à l’abri au milieu d’archives que le chef d’orchestre Kaspar Zehnder […] et le label Schweizer Fonogramm ont eu le flair d’exhumer, écrivions-nous le 27 août 2021 en présentant l’album qui regroupait les Symphonies n° 3 et 6. Quelques mois auparavant, le 20 avril, Patrice Lieberman, en recensant le CD consacré aux deux premières symphonies, soulignait le talent manifeste d’un compositeur à la grande facilité d’écriture et bien ancré dans la tradition symphonique de son temps. Notre collègue ajoutait que Lauber avait une superbe aisance mélodique et de remarquables talents d’orchestrateur. Ces qualités sont confirmées dans ce troisième volet qui clôture le cycle des six symphonies, dont l’intégrale est désormais disponible, rendant justice à ce créateur méconnu.

Nous invitons le lecteur à consulter les deux articles cités ci-avant pour ce qui concerne la biographie de Lauber. Pour rappel, ce natif de la région de Lucerne a étudié plusieurs instruments à Zurich et s’est perfectionné, à Munich avec Joseph Rheinberger, et à Paris, avec Jules Massenet pour la composition et Louis Diémer pour le piano. Il aura lui-même une longue carrière de pédagogue à Genève.

La notice du musicologue Martin Kaltenecker, maître de conférences à l’Université Paris-Diderot, précise que, bien que composées pour grand orchestre à l’approche et au cours de la Première Guerre mondiale, les deux symphonies ici couplées ne participent ni de la vaste dimension à la manière de Mahler, ni de « messages » plus ou moins universels, mais tendent de leur côté vers une forme de réduction. Le commentateur explique : Chaque mouvement est finement ouvragé et coloré, la forme demeure intelligible et peut être saisie à la première écoute, la musique ne déborde jamais ni ne s’impose à l’auditeur ; les rythmes de danse forment un contrepoids à ce qui risquerait de pencher vers le sérieux d’une confession pesante.

La Symphonie n° 4 de 1913 se révèle en tout cas bien séduisante. Lauber manie l’art de l’instrumentation : l’Allegro moderato initial se déploie dans une atmosphère à la fois sereine, dansante et évocatrice, avec un thème de fanfare qui éveille le souvenir de la suite symphonique Die Alpen, qui était en complément de programme des symphonies 3 et 6. On est touché par des mélodies au sein desquelles la dimension imaginative, marquée par une diversité des couleurs, est présente, traversée par des moments plus éloquents ou plus sombres, avec une conclusion qui s’installe dans la nostalgie. L’Allegretto scherzando est inspiré par une mélodie de carillon entendue lors d’un séjour de ski au Valais. La percussion (xylophone, grosse caisse, triangle) anime presque avec ivresse un mouvement très enlevé. Lauber a la capacité de faire ensuite naître l’émotion dans un Andante con moto à résonance brucknérienne (ce qui était déjà le cas pour l’Andante maestoso de la Symphonie n° 3) ; la musique de chambre n’est pas loin, dans l’esprit comme dans la densité. Quant à l’Allegretto giocoso, qui est une tarentelle, avec un tambour de basque pittoresque, il prend des accents ludiques irrésistibles, vigoureux ou chaleureux, parfois langoureux, avant de s’achever dans une plénitude apaisée.

Ecrite en 1918, la Symphonie n° 5 n’évoque pas les temps terribles qui viennent de secouer le monde. De plus longue durée que la précédente (elle dépasse les quarante minutes), elle apparaît toutefois plus sérieuse et plus dramatique, toujours orchestrée avec habileté et faisant appel à une émotion contrôlée. Si l’Allegro moderato demande de la concentration pour saisir les nuances d’un créateur qui semble se chercher quelque peu, l’Allegro scherzando s’emballe tout de suite dans un contexte joyeux, que la petite caisse initie et relance de temps à autre. C’est encore une tarentelle, avec une ivresse maîtrisée qui n’est pas sans rappeler Massenet, le professeur de composition de Lauber. Ce dernier a la capacité de donner à ses mouvements lents une profondeur qui impose un lyrisme d’une belle intensité, sans s’égarer dans l’épanchement. Ici, c’est un solo de violon qui nourrit une rêverie ciselée de moments quasi extatiques. L’orchestre chante alors abondamment et avec finesse, le compositeur proposant à d’autres instruments d’ajouter à la mélodie prenante une couleur particulière. 

Dans l’Allegro con brio qui clôture la symphonie, les aspects lyriques, légers, dansants vont permettre aux différents groupes d’instruments (dont une superbe section pour les cuivres) de se mettre en valeur et d’alimenter un discours tumultueux qui débouche sur un solo de violon, à la fois intime et même voluptueux, déroulant son chant avec une remarquable grâce. Lauber s’épanche, et apporte de la lumière avant de conclure, avec force et élan, mais dans la sobriété. 

Comme le souligne avec opportunité la notice, les deux symphonies montrent que Lauber a bien assimilé la profondeur germanique qu’il réussit à maîtriser par une élégance très française, rappelant ainsi qu’il a été formé aux deux sources. La découverte de ces pages confirme l’impression positive que Patrice Lieberman et nous-même avions déjà soulignée. L’intégrale du massif symphonique de Lauber, en trois albums, est maintenant inscrite au catalogue ; elle est servie avec éloquence et un engagement de chaque instant par la phalange de Bienne-Soleure, menée avec aisance par Kaspar Zehnder. Peut-on rêver d’entendre l’une ou l’autre de ces six œuvres en concert ? 

Son : 9  Notice : 9  Répertoire : 8,5  Interprétation : 10

Jean Lacroix        

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