Le Lélio de Berlioz, de retour à la vie avec Michael Gielen en concert à Vienne

par

Hector Berlioz (1803-1869) : Lélio ou Le Retour à la Vie, opus 14bis. Joachim Bissmeier, récitant. Herbert Lippert, ténor. Geert Smits, baryton. Heinz Ferlesch, Wiener Singakademie. Michael Gielen, Orchestre symphonique de la Radio de Vienne. Enregistrement public au Konzerthaus de Vienne, 17 décembre 2000, édition 2021. Livret en allemand, anglais ; texte de l’œuvre en français traduit en allemand et anglais. TT 55’22. Orfeo C210071

L’opus 14 s’adjoint ce Lélio, œuvre que Berlioz qualifiait de mélologue et qui « doit être entendue immédiatement après la Symphonie Fantastique, dont elle est la fin et le complément ». Pourtant, rares sont les enregistrements qui respectent cette logique : Pierre Boulez (CBS), Jean Martinon (Emi) ou Charles Dutoit (Decca) comptent parmi ceux qui balisèrent la discographie du diptyque. Les amours contrariées avec Harriet Smithson et Camille Moke, exploitées dans les visions psychédéliques et autodestructrices des Épisodes de la Vie d’un artiste, sont ici transcendées par l’auteur qui se réfugie dans la littérature (Goethe, Shakespeare) et la musique, moyennant quelques emprunts à ses créations antérieures : le motif de l’idée fixe, ses cantates La Mort d’Orphée et La Mort de Cléopâtre écrites pour le Prix de Rome.

Le chef Hamilton Harty (1879-1941), spécialiste de Berlioz qu’il idolâtrait, insistait sur la dimension illustrative de son univers : « Berlioz était d'abord un poète et ensuite un musicien ; ou peut-être vaudrait-il mieux dire qu'il utilisait la musique comme un moyen d'illustrer des idées littéraires et picturales qui n'ont souvent, en elles-mêmes, aucun rapport évident avec la musique ou l'expression musicale. Très peu de sa musique, en effet, semblerait pleinement satisfaisante si elle était considérée comme purement abstraite... Il s'est plutôt efforcé d'écrire une musique qui exprime des scènes, des images littéraires et poétiques, des émotions et des états d'âme ». Lélio est l’archétype de cette singularité : elle réclame un récitant, auquel s’identifie le compositeur, tandis que le support musical est véhiculé par chanteurs, chœurs et orchestre cachés par un rideau jusqu’au tableau final. Pierre Boulez soulignait la difficulté à trouver la juste dimension performative : selon lui, toutes les circonstances qui font du concert et du théâtre ce qu'ils sont semblent trop restrictives pour cette forme de fiction. Toujours est-il selon lui que « dans la Fantastique, le théâtre est imaginaire, dans Lélio il est réel ».

D’où l’importance du récitant, sa compréhensibilité, ses qualités d’acteur. Dans la mesure où ce CD documente un concert viennois, on admet le choix de l’allemand comme langue narrative, accessible en cette circonstance au public autrichien. Même si l’alternance allemand/français (chant) est assez cocasse à l’écoute ! En ce sens, on peut préférer la version de Rolf Reuter (Berlin Classics, 1994) qui optait intégralement pour une traduction allemande. En tout cas, face à un Jean-Louis Barrault patricien et distant chez Boulez (octobre 1967), face à un Lambert Wilson affecté et transi chez Dutoit (Decca, Octobre 1996), Joachim Bissmeier assume ici un zèle dramaturgique qui correspond aux exigences de l’incarnation. Peut-être le plus convaincant, avec Daniel Mesguich et Eliahu Inbal (Denon, septembre 1987). Son verbe flamboyant surmonte même les encombrants artifices de son texte, on ne s’en plaindra pas.

Frais et limpide, Herbert Lippert se partage le rôle d’Horatio et le Chant de bonheur, suavement dessiné même si la partition le voudrait « à voix éteinte ». Comparé à Jean-Philippe Lafont chez Thomas Dausgaard (Chandos, 2004), le Capitaine de Geert Smits manque un peu de force et netteté de projection mais sa Chanson de brigands est bien enlevée, avec l’appoint de la Wiener Singakademie qui y brûle les planches. Le Chœur d’ombres, dense et glacé, fait froid dans le dos. Les mélomanes qui admirent la finesse de la célèbre version de Colin Davis (Philips, juillet 1980, tronquée hélas) trouveront ici une alternative autrement consistante et vivifiée. Michael Gielen s’était déjà mesuré au Requiem à Stuttgart en 1979, il confirme ici encore son expérience berliozienne, aux commandes d’un orchestre suggestif (la Harpe éolienne) et en plein relief : la Fantaisie sur La Tempête, quelle invention, quel chatoiement ! Dommage que la salle soit un peu tousseuse, ce que dédouane une magnifique captation : claire, ferme, spacieuse, contribuant au réalisme de ce témoignage vraiment stimulant.

Son : 9 – Livret : 8 – Répertoire : 7 – Interprétation : 9,5

Christophe Steyne

 

 

 

 

 

 

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