Alain Altinoglu et l’Orchestre symphonique de la Monnaie brillent dans le répertoire français (et belge)

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C’est à l’Orchestre Symphonique de la Monnaie et à son directeur musical Alain Altinoglu que revenait l’honneur (on est tenté de dire : le bonheur, l’orchestre et son chef -comme le rappela ce dernier en début de seconde partie- s’étant produits pour la dernière fois au Palais des Beaux-Arts il y a un an déjà) d’ouvrir la saison musicale de Bozar.

Après les annulations en cascade que nous a values le covid, il y a largement de quoi se réjouir de pouvoir assister à un concert symphonique dans des conditions à peu près normales, même si quatre parcours distincts -en fonction des places occupées- étaient prévus pour les spectateurs depuis l’entrée du Palais jusqu’à la grande salle Henry Le Boeuf qui présente encore à certains endroits les stigmates des dégâts des eaux consécutifs à l’incendie du 18 janvier. Le port du masque est bien sûr imposé au public durant toute la durée du concert (les cordes de l’orchestre faisant d’ailleurs de même) et des sièges vides séparent les différentes « bulles » familiales ou amicales.

Néanmoins, il est impossible de nier que même s’il est encore trop tôt pour parler d’un retour à la normale, quelque chose comme un vent de liberté mêlé d’un profond soulagement souffle sur la salle bruxelloise après ces si longs mois de restrictions.

Et c’est un programme de ce répertoire français (et même un petit peu belge) qui leur convient si bien que le chef français avait choisi pour débuter cette nouvelle saison dans la bonne humeur avec un répertoire aussi accessible que de qualité.

Le Chasseur maudit de César Franck est devenu trop rare en concert, et c’est dommage car ce poème symphonique du maître liégeois offre quantités d’occasions de briller à un orchestre. L’argument en est simple : pour avoir préféré un dimanche aller à la chasse plutôt qu’à la messe, un Comte impie se retrouvera poursuivi sans cesse par des démons. Même si la partition permet à chaque section de l’orchestre de briller, Franck confie un rôle de premier plan aux cors, forcément associés à la chasse. Le pupitre de cors de la Monnaie se montra tout à fait à la hauteur de la tâche dans une interprétation caractérisée, comme si souvent chez Altinoglu, par un parfait naturel et ce don de parvenir à nous faire croire que la musique se joue toute seule. L'oeuvre était proposée dans la toute nouvelle édition révisée co-éditée par La Monnaie et l'éditeur belge XXI Music  Publishing.  

Le soliste du Concerto en sol de Ravel était l’excellent Cédric Tiberghien. Soutenu à la perfection par un orchestre en grande forme et un chef distillant une véritable alchimie sonore, le pianiste français impressionna par son irréprochable technique et, plus encore, par sa parfaite intelligence du texte. Sa façon d’aller chercher et ensuite sculpter le son dans le clavier impressionne fortement tout comme son infaillible compréhension de l’oeuvre, comme il le démontra dans ces inflexions inspirées par le jazz dans le premier mouvement, soulignées juste ce qu’il faut et sans la moindre lourdeur (et on sait à quel point Ravel est un maître de l’allusion comme de l’illusion). De même, il fit montre d’une rare subtilité dans le mouvement lent, déclamant la musique comme le ferait un grand acteur grâce à une délicatesse de toucher où, dans l’introduction confiée au piano seul, sous la cantilène de la main droite les accords de la main gauche marquaient finement le rythme plutôt que de plomber le discours. Sa façon de parfaitement s’intégrer à l’orchestre et sa qualité d’écoute (comme dans le merveilleux dialogue avec le cor anglais) contribuèrent beaucoup à faire de cet Adagio assai un moment de grâce. Le concerto se termina sur un finale brillamment enlevé, gai et insouciant. La partition était proposée dans l'édition révisée de la Ravel Edition dont Cédric Tiberghien est membre du Comité de lecture.    

Après une brève pause tenant lieu d’entracte, Altinoglu et Tiberghien prirent place aux deux pianos pour nous offrir -soutenus par l’Orchestre de la Monnaie en formation réduite- une exquise version du Carnaval des animaux de Saint-Saëns. Le chef/co-soliste ayant encouragé dans ses propos liminaires les spectateurs à ne pas hésiter à applaudir entre les parties de cette délicieuse partition, il fut suivi au mot, ce qui ne fit qu’accroître la bonne humeur qui se dégage de la spirituelle composition de Saint-Saëns (on a vraiment du mal à croire qu’il l’ait reniée). Outre la prestation impeccable et d’un chic fou des deux pianistes, on eut droit à de très belles interventions des solistes de l’orchestre. Le violoncelle solo du Cygne bien sûr, élégant et sans pathos indu, mais aussi la contrebasse de l’Eléphant, la clarinette minimaliste en coulisses du Coucou au fond des bois dialoguant avec les deux pianos (et où on se dit que Saint-Saëns n’a jamais été aussi proche de Satie), les amusants relents d’études de Czerny dans Pianistes (avec Altinoglu et Tiberghien résolument pince-sans-rire), le tout s’achevant sur un Finale d’un entrain irrésistible.

Le concert se termina en beauté sur un très subtil Bolero de Ravel, où, pouvant compter sur un orchestre dont tous les solistes des vents et des percussions sont à féliciter de même que les cordes souples et disciplinées, le chef impressionna autant par sa superbe maîtrise que par la finesse d'une conception qui nous rappela que Bolero est un bien un ballet est non pas une démonstration de virtuosité et de toute-puissance orchestrale.

Bruxelles, Bozar, le 5 septembre 2021.

Patrice Lieberman

Crédits photographiques : © Hugo Segers

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