Le minimalisme de l’Est !
Jaan RÄÄTS (°1932) : Kaleidoskoopilised etüüdid – Arvo PÄRT (°1935) : Mozart-Adagio – Henryk GÓRECKI (1933-2010) - Recitatives and Ariosos "Lerchenmusik" op. 53. Patrick Messina (clarinette), Henri Demarquette (violoncelle), Fabrizio Chiovetta (piano)– DDD – 60’48 – Textes de présentation en français et anglais– AP187
Arvo Pärt est mondialement connu pour son esthétique tintinnabuli, Henryk Górecki a eu son heure de gloire éphémère en 1992 lors d’une parution discographique de sa 3e Symphonie, mais… Jaan Rääts ? Cet Estonien est peut-être le moins connu des trois compositeurs présents sur ce CD dédié aux œuvres pour violoncelle, clarinette et piano, mais sa seule œuvre présentée ici, Kaleidoskoopilised etüüdid, écrite en 1996, se démarque à chaque écoute ! Des harmonies post-minimalistes adamsiennes se mêlent à des fragments mélodiques expressionnistes et sinueux, poussant les instrumentistes au bout de leurs retranchements techniques. Ici, des courts passages de répit évoquent agilement la pureté et l’innocence des œuvres de l’Anglais Michael Nyman. Là, ils suggèrent le son des cloches aiguës de son compatriote Arvo Pärt… Si l’on pouvait entendre dans cette boule d’énergie détonante une sorte d’hommage au minimalisme dans toutes ses formes, le plus important serait plutôt de constater que Rääts parle avec sa propre voix.
Composé en 1992 à la mémoire du grand violoniste russe Oleg Kagan, le Mozart-Adagio d’Arvo Pärt est une transcription libre de l’Adagio de la 2e Sonate pour piano de W.A. Mozart (compositeur fétiche du défunt). Initialement pour violon, violoncelle et piano, cet arrangement de Pärt lui-même remplace le violon par la clarinette, mettant à profit la douceur mélancolique de l’instrument à vent pour mieux communiquer l’ambiance endeuillée. Les détracteurs obtus de Pärt seront frustrés -il est impossible de ne pas apprécier le véritable travail d’orfèvre dans cette adaptation de l’œuvre du jeune Mozart. Les textures sont élargies, quelques dissonances sont éparpillées dans la partition et Pärt insère trois courtes sections douloureuses de sa propre main : une introduction, un interlude et une coda. Les langages musicaux classiques et tintinnabuli fusionnent en toute beauté.
Si les deux œuvres précédentes font l’objet de leur premier enregistrement, la dernière œuvre au programme, Lerchenmusik op. 53 du Polonais Henrik Mikolaj Górecki fut déjà enregistré sur le label Nonesuch Records en 1991. Peu accessible au premier abord, cette musique des extrêmes bouleverse l’auditeur : de longues mélodies solitaires et contemplatives alternent avec des passages d’une violence et d’une énergie brûlantes. Chaque mouvement est dominé initialement par un instrument différent avant d’atteindre un climax d’une expressivité tranchante -au premier mouvement, le violoncelle monologue, grave et menaçant, tandis qu’au deuxième, la clarinette flotte, rêveuse, au-dessus de l’accompagnement messianique du piano. Dans le dernier mouvement, le piano transforme une mélodie litanique en une citation de la superbe introduction du 4e concerto pour piano de Beethoven. Voici une œuvre radicale qui nécessite un investissement considérable de la part de l’auditeur -sinon, il risque soit de s’endormir ou de s’énerver.
Bien évidemment, avec de tels solistes, on n’est nullement déçu. Henri Demarquette, Patrick Messina et Fabrizio Chiovetta s’investissent pleinement, tant sur le plan technique que musical, dans ces partitions exigeantes.
Pierre Fontenelle, Reporter de l’IMEP