Le retour à La Monnaie d'un chef-d'oeuvre du répertoire

par

Jean Teitgen (Le Souverain Pontife), Alexandra Deshorties (Julia)

La Vestale de Gaspare Spontini    
Deux ans après la première au Théâtre des Champs-Elysées, à Paris, voici le chef-d'oeuvre de Spontini en coproduction à Bruxelles. Jusqu'au printemps 2016, La Monnaie, en travaux, délocalise : voilà pourquoi cette Vestale est donnée au Cirque Royal, vaste salle plus familière au public de variétés qu'aux lyricomanes. Eric Lacascade, dont c'est ici la première mise en scène d'opéra, a dû l'adapter à ce cadre particulier. Le décor d'Emmanuel Clolus s'est fait plus austère, mais la scène baigne dans un halo varié, tantôt glacial, tantôt chaleureux : Philippe Berthomé a bien su modifier ses éclairages. La dramaturgie ne change pas vraiment : la primauté est toujours donnée à l'expression du sentiment, suivant la volonté même du compositeur. Simplement, vu le cadre rigoureux, cette expression ressort bien plus qu'au TCE. Tout décorum est banni au profit de l'inexorable drame, dont l'étau se resserre sur l'héroïne. L'avancée cruelle de l'intrigue frappe d'autant plus que la distribution est intégralement francophone : l'articulation est soignée, en particulier par Licinius et le Souverain Pontife. Tous ces éléments combinés se réunissent pour renforcer la puissance expressive de l'oeuvre, de sorte que l'absence d'une direction d'acteurs fouillée ne nuit pas à l'ensemble : chaque soliste est conscient de son impact sur la destinée de Julia. Car La Vestale, c'est Julia, avant tout. Créé par l'illustre Caroline Branchu, ce rôle fascina la Callas, Montserrat Caballé ou Renata Scotto. A Paris, ce fut la chanteuse albanaise Ermonela Jaho, qui y donna une magnifique leçon de chant. Alexandra Deshorties témoigne de la richesse du chant canadien actuel : sa Julia alliait à la perfection la beauté de la ligne à la tension dramatique (Je confesse que j'aime), et sa grande scène à l'acte II, ainsi que son finale violent n'ont pu que frapper un public attentif à l'extrême. Une belle incarnation. Les autres rôles pâlissent un peu à ses côtés. Contrairement à la version parisienne, qui inverse les tessitures, Licinius est ici baryton et Cinna ténor, suivant la récente édition critique. Rien à dire sur l'énergie convaincante du Cinna de Julien Dran, ni sur le Licinius de Yann Beuron, dont la grande scène au début de l'acte III se révéla un modèle d'action dramatique, et un des plus forts moments du spectacle. La Grande Vestale de Sylvie Brunet-Grupposo était peut-être moins touchante que celle de Béatrice Uria-Monzon à Paris, mais beaucoup plus imposante : et quel art de la déclamation ! Art que l'on retrouvait chez Jean Teitgen, Souverain Pontife exemplaire, qui reprend le flambeau de l'autorité religieuse au dernier acte, et qui, par la puissance de sa voix, augmente encore d'un cran la tension de la terrible scène de la condamnation de Julia. Choeurs et orchestre sont très sollicités dans cet opéra  majeur, que l'on a pu présenter comme le précurseur du grand opéra français. Si les choeurs se sont fort bien tirés de leur partition épineuse et éprouvante, il faut avouer que l'orchestre de La Monnaie, malgré d'excellents pupitres individuels (clarinettes, bassons, harpes) n'a pas atteint la performance remarquable du Cercle de l'Harmonie de Jérémie Rhorer au TCE. L'inutile divertissement final a été coupé. Le chef était souvent dos à ses instrumentistes et face à la scène. Nous n'en voyons pas l'intérêt. L'ouverture était assez brouillonne, et les décalages ont été très nombreux durant toute la soirée. Malgré ce manque de direction ferme du chef Alessandro de Marchi, le sens si neuf de cette tragédie lyrique de Spontini (1807) a pu apparaître aux yeux et aux oreilles du public de 2015. Rappelons à cet égard qu'un autre opéra de Spontini, Olympie, sera donné cette saison, le 3 juin 2016, au... Théâtre des Champs-Elysées.
Bruno Peeters
Bruxelles, La Monnaie, Cirque Royal, le 13 octobre 2015

Les commentaires sont clos.