Une ‘NIOBE’ scénique mi-figue mi-raisin

par

Agostino Steffani (1654-1728)  
Niobe, regina di Tebe  
Dramma per musica en 3 actes (Munich, 1688) Livret de Luigi Orlandi d’après les Métamorphoses d‘Ovide.
Véronique Gens (Niobe),  Jacek Lasczkowski (Anfione), Iestyn Davies (Creonte), Alastair Miles (Poliferno), Delphine Galou (Nerea), Lothar Odinius (Tiberino), Amanda Forsythe (Manto), Bruno Taddia (Tiresia), Tim Mead (Clearte)  /Balthasar-Neumann-Ensemble /dir. Thomas Hengelbrock.
Enregistrement ‘live’ au Royal Opera House du 23 IX 2010   DDD 3 CD de 57’17  71’10 & 38’51   Textes de présentation en anglais, allemand, français / Livret italien /anglais   Ouvrage chanté en italien - OPUS ARTE OA CD9008D

Le nom d’Agostino Steffani figure dans l’histoire de l’opéra comme l’un de ces musiciens italiens établissant la transition entre l’époque de Monteverdi et Cavalli et celle de Haendel. Homme d’église et diplomate, il est un voyageur infatigable qui est formé à Padoue, débute à Venise  puis poursuit ses études à Paris et à Rome, avant de se fixer à Munich et Hanovre pour des raisons politiques. Et c’est le Hoftheater de Munich qui ouvrira sa salle restaurée le 5 janvier 1688 avec sa ‘Niobe, regina di Tebe’ ; ce dramma per musica, d’une durée de plus de quatre heures, était destiné à mettre en valeur les effets de machinerie suggérant tremblements de terre, foudre, dragons surgissant du sol, jets de pierre et planètes en mouvement. La trame relate l’histoire de Niobé, épouse d’Amphion, gouverneur de Thèbes. Par arrogance, elle renverse les statues de la déesse Latone avec la prétention que ses enfants soient déifiés : en lieu et place, les malheureux seront foudroyés ; et Niobé elle-même sera pétrifiée.
En mai 2008, le chef Thomas Hengelbrock et son Balthasar-Neumann-Ensemble (utilisant des instruments anciens) avaient exhumé cette partition ensevelie depuis trois siècles lors du Festival de Schwetzingen ; pour des raisons d’ordre scénique, plus de trois quarts d’heure de musique avaient été coupés.  Et c’est de cette version que Covent Garden a donné six représentations à partir du 23 septembre 2010. Pourquoi la firme Opus Arte a-t-elle attendu cinq ans avant d’en livrer l’enregistrement ? Est-ce la concurrence  d’une récente publication Erato réalisée en studio avec Karina Gauvin et Philippe Jaroussky sous la direction de Stephen Stubbs qui en est la cause ?
Il est vrai que la Niobe de Véronique Gens paraît en retrait, même si le timbre a un coloris chaleureux exprimant son humanité et que son style vocal est impeccable ; mais son ‘aria di furore’ « Contro il ciel che m’ha schernita » (CD 3 pl.4) taxe lourdement  sa technique de vocalisation ; et sa dernière aria « Funeste immagini » (CD 3 pl.9) se contente d’un beau chant sans susciter l’émotion. L’Anfione du sopraniste Jacek Laszczkowski n’a à disposition que la teinte élégiaque ; mais dans les pages virtuoses telles que « Tra bellici carmi »  (CD 2 pl.20), sur un medium et un grave inexistants, l’aigu souvent hurlé bouge à en donner le mal de mer ! Par rapport à lui, les deux contre-ténors Iestyn Davies (Creonte) et Tim Mead (Clearte) font figure d’antidote par la suavité de leur émission et par  leur lyrisme. Delphine Galou fait de la nurse Nerea une nouvelle Despina, alors qu’Alastair Miles prête un grain rocailleux un peu creux à Poliferno et que Bruno Taddia a l’aplomb de Tiresia, le grand-prêtre de Latone. Et, finalement, se juchent en tête de distribution le ténor Lothar Odinius et la soprano Amanda Forsythe (Manto) par la qualité de leur ligne de chant. Et c’est la direction nerveuse de Thomas Hengelbrock qui maintient la tension dramatique qu’il laisse éclater dans les séquences ‘catastrophe’ !
Paul-André Demierre

Son 9 - Livret 9 - Répertoire 9 - Interprétation 8

Les commentaires sont clos.