Le violoncelle noble et généreux de l’Anglais Tim Posner 

par

Ernest Bloch (1880-1959) : Schelomo, B. 39. Max Bruch (1838-1920) : Kol Nidrei op. 47. Ernö Dohnányi (1877-1960) : Konzertstück op. 12. Tim Posner, violoncelle ; Orchestre Symphonique de Berne, direction Katharina Müllner. 2023. Notice en français et en anglais. 56’ 34’’. Claves 50-3079.

Cofondateur et directeur artistique des Sommets Musicaux de Gstaad, village suisse du canton de Berne, Thierry Scherz est décédé prématurément en 2014, à l’âge de 41 ans. Parmi les objectifs de ce festival hivernal initié en 2001, des concerts donnent la possibilité à de jeunes musiciens prometteurs de se produire. Chaque année, l’un d’entre eux est sélectionné pour enregistrer un disque avec orchestre, produit par le label Claves. Il est récompensé par le Prix Thierry Scherz, qui rend hommage au disparu. Le 27 mars 2023, nous avons fait écho à l’album gravé par la violoniste distinguée en 2022, la Danoise Anna Agafia, dans des concertos de Nielsen et de Szymanowski. La session 2023 a couronné le violoncelliste britannique Tim Posner (°1995). Né dans une famille de musiciens (père altiste et mère violoncelliste qui lui a donné ses premières leçons), il a étudié à Hanovre avec Leonid Gorokhov, un élève d’Anatoli Nikitin, et a suivi dans son pays natal des masterclasses de Steven Isserlis. Ce jeune virtuose, qui est violoncelliste solo à l’Amsterdam Sinfonietta, mais aussi un chambriste convaincu, a bénéficié de la mise en valeur qui lui était offerte, en choisissant un programme évocateur, enregistré en septembre 2023 dans la Diaconis-Kirche de Berne. Le résultat est éloquent.

Le Genevois Ernest Bloch, qui s’est formé notamment à Bruxelles pour le violon auprès d’Eugène Ysaÿe, a passé une vingtaine d’années aux Etats-Unis à partir de 1916 ; il a été directeur du Conservatoire de Cleveland, puis de celui de San Francisco. C’est du début de son séjour américain que date la rhapsodie hébraïque Shelomo, pour laquelle Bloch s’est inspiré d’une méditation sur la pensée et l’œuvre du roi Salomon, et dont il dirigea lui-même la création le 3 mai 1917 au Carnegie Hall, avec Hans Kindler (1892-1949), qui venait d’être choisi comme soliste par Leopold Stokowski pour l’Orchestre de Philadelphie, après avoir occupé la fonction à la Philharmonie de Berlin. Cette page intensément chaleureuse et expressive, d’un peu plus de vingt minutes, fait chanter le violoncelle dans un registre émotionnel que Tim Posner installe au sein d’un climat philosophique qui possède des accents bouleversants. La déclamation de l’instrument relève de l’incantatoire et s’élève à un vrai degré de spiritualité.

Une réussite confirmée dans les dix minutes intenses du Kol Nidrei de Max Bruch. Cette commande de 1880 pour la société juive de Liverpool s’aligne sur une prière hébraïque qui appelle à la pitié de Dieu. Le risque d’épanchement est tentant dans cette page au sein de laquelle le soliste peut se laisser aller à un excès de ferveur ou de sentimentalisme. Tim Posner évite l’écueil en jouant la carte de la retenue et de la pudique invocation. 

Quant au Konzertstück d’Ernö Dohnanyi, il a été écrit en 1903-04 par un jeune compositeur d’un peu plus de 25 ans, né à Presbourg (aujourd’hui Bratislava), dans une famille anoblie au XVIIe siècle. Ce futur pédagogue recherché (il compta Georg Solti ou Géza Anda parmi ses élèves), qui avait étudié à Berlin avec Eugen d’Albert, un disciple de Liszt, était, au début du XXe siècle, un pianiste de concert renommé. Mais aussi un compositeur qui s’était fait connaître dès ses 18 ans par un quintette avec piano. L’influence viennoise est perceptible dans les vingt-cinq minutes du Konzertstück, œuvre au lyrisme qui se déploie dans un esprit brahmsien. Tim Posner construit cette grande architecture en lui insufflant des accents nobles et ardents. Sa lecture se nourrit d’une ample générosité.

Avec cet album riche en univers lyriques, Tim Posner signe bien plus qu’une carte de visite : il fait la démonstration d’un talent déjà affirmé. L’Orchestre symphonique de Berne, en belle forme, est mené par la baguette attentive de Katharina Müllner (°1992), qui a étudié la direction d’orchestre, mais aussi la philosophie et la psychologie, à Vienne, sa ville natale. Cette jeune cheffe, autre belle découverte de l’album, s’est déjà vu confier des opéras de Mozart, Suppé, Britten ou Bizet sur des scènes suisses, autrichiennes et allemandes. Sa carrière, comme celle de Tim Posner, est à suivre.

Son : 9    Notice : 8    Répertoire : 10    Interprétation : 9

Jean Lacroix

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