Premier disque Byrd des Gesualdo Six, tissé autour de la Mass for five voices

par

William Byrd (c1540-1623) : Mass for five voices ; Ave Verum Corpus ; Afflicti pro peccatis ; Tristitia et anxietas ; Ave Maria ; Circumdederunt me ; Emendemus in melius ; De Lamentatione Jeremiae prophetae. Owain Park, The Gesualdo Six. Guy James, contre-ténor. Joseph Wicks, Josh Cooper, ténors. Michael Craddock, baryton. Samuel Mitchell, Owain Park, basses. Septembre 2022. Livret en anglais ; paroles en latin traduit en anglais. TT 66’13. Hyperion CDA68416

Fondé en 2014, The Gesualdo Six va bientôt fêter son dixième anniversaire, et presque autant d’albums à l’actif de sa discographie. Voici le premier qu’ils consacrent à un seul compositeur. En l’occurrence un des emblèmes de la Renaissance élisabéthaine et jacobéenne, dont la foi catholique le situait dans la périlleuse position de recusant, dans ce royaume coupé de la papauté par la complexe réforme amorcée par Henry VIII. Le programme du CD s’articule autour de la Mass for five voices et, à l’instar de Stephen Darlington (Nimbus) et des Sixteen d’Harry Christophers (Virgin), inclut une série de motets latins, choisis pour leur lien thématique, tonal et textural avec la messe, selon la notice d’Owain Park. On saluera la vocation vulgarisatrice de ce texte de présentation, aussi documenté qu’imagé, très stimulant et accessible aux néophytes, pourvu qu’ils soient anglophones.

Le récital commence par l’Ave Verum Corpus, une des pages les plus raffinées de Byrd, et se poursuit par l’Afflicti pro peccatis à six voix, –deux œuvres que les Gesualdo Six ont l’habitude de proposer en concert, selon un certain effet de scène. Le choix de partitions empruntées à divers recueils (Cantiones sacrae de 1575 et 1589, Gradualia de 1605…), de pièces relevant de diverses époques et esthétiques, parfois fort dramatiques (l’intense Circumdederunt me), tend à corrompre l’unité stylistique et le cadre liturgique de la Mass for five voices, d’une veine plutôt dépouillée. Ce qui permet du moins de moduler le relief au long du de parcours. Cette anthologie affiche même une intelligence certaine : déjà incluses dans le CD du Hilliard Ensemble (Emi, capté en octobre 1983) en complément de cette Messe, les Lamentations de Jérémie pour la Semaine Sainte proposent une transition cohérente après le Emendemus in melius pour la veine pénitentielle du Mercredi des Cendres. Et concluent l’album sans incongruité symbolique, après le recueillement de l’Agnus Dei.

Depuis le témoignage à la fois solennel et distancié du King’s College de Cambridge à l’ère de David Willcocks (Argo, juillet 1959), la Messe a connu dans son terreau d’Outre-Manche divers enregistrements pour chœurs (ceux des Cathédrales d’Oxford, de Winchester…). Son contexte de publication au milieu des années 1590, quand Byrd avait pris ses distances de la capitale londonienne, et alors qu’elle devait se chanter dans la quasi-clandestinité, probablement recluse dans des chapelles domestiques, l’associerait pourtant à des effectifs bien plus réduits. Voire sans garçons pour les hauteurs, tel que des troupes d’élite comme les Tallis Scholars (Gimell, 1985) en fournirent l’exemple.

À une voix par partie, les Gesualdo Six s’inscrivent donc dans une pratique des plus légitimes quant aux circonstances historiques. Pour autant, Owain Park précise que leur interprétation entend se démarquer de cette discrétion, pour mieux valoriser le plein potentiel expressif de l’écriture. L’ample et transparente spatialisation l’église d’All Hallows’ Gospel Oak contribue à ce déploiement acoustique. Pas toujours sobre, l’interprétation affirme de brillantes individualités, au prix d’un superius un peu surexposé. Elle vit globalement d’un contraste entre l’intimisme du propos, la droiture des exposés, et une éloquence volontiers expansive, ainsi que les Hilliard en avaient déjà tenté et réussi la démonstration pour la Messe. Semblable dialectique s’applique ici à l’exécution des Lamentations, où la pulpe vocale des Gesualdo Six épouse généreusement le tracé de ses chantres, ventilé sur un onctueux bassus.

Christophe Steyne

Son : 9 – Livret : 8,5 – Répertoire : 8-9,5 – Interprétation : 8,5

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